J’ai d’autres griefs que j’aurai l’occasion d’évoquer durant les débats, concernant notamment la protection des données personnelles, qui est absente du texte. Mais je voudrais aborder un troisième point, qui est peut-être plus important encore.
Il y a l’amont de l’interception avec l’autorisation de la Commission, mais il y a aussi l’aval de l’interception : la conservation des données et la constitution des fichiers. Le premier garde-fou absolument indispensable est que l’ensemble des éléments interceptés puissent être contrôlés facilement et à tout moment par la Commission nationale. Il doit y avoir une traçabilité totale et la possibilité d’un contrôle permanent par celle-ci. En clair, les interceptions doivent être concentrées dans un même lieu et accessibles à tout moment afin de vérifier que les données collectées soient bien conformes à l’autorisation accordée par le Premier ministre.
Le deuxième garde-fou absolument indispensable, monsieur le ministre de l’intérieur, est le contrôle des fichiers constitués et des données qui y sont inscrites. Je me suis opposé, lorsque j’étais au gouvernement, au fichier EDVIGE : on considérait que, pour des raisons de sécurité, l’on pouvait inscrire dans ce fichier le patrimoine, la voiture ou les orientations sexuelles de tel ou tel responsable socio-professionnel.
Compte tenu des procédés technologiques permettant la pêche au chalut d’informations, du droit ouvert par la loi de mettre sur écoute des personnes involontairement et indirectement associées à des risques criminels et de la mise en place possible d’algorithmes sur ce qu’on appelle d’une formule étrange « la captation des signaux faibles », il est absolument indispensable que la CNIL ou tout autre organisme indépendant puisse accéder à tous les fichiers de la police, les fichiers CRISTINA and co et les autres.
Madame la ministre, messieurs les ministres, la France et les Français ont besoin d’être protégés mais ils ont aussi besoin de voir leur démocratie protégée sur le long terme : en 2015 comme dans les années et les décennies qui viennent. La démocratie, ce n’est pas la faiblesse du pouvoir ni l’organisation de l’impuissance, mais c’est la mise en place, à de nouveaux pouvoirs attribués légitimement à l’exécutif, de contre-pouvoirs aussi forts que les nouveaux pouvoirs de surveillance. À l’hyper-surveillance possible doit correspondre la mise en place d’hyper-moyens de contrôle de la surveillance, seuls remparts contre l’arbitraire.
C’est pourquoi je vous demande simplement d’aborder avec attention les trois sujets que j’ai évoqués. Pour ma part, je ne voterai ce projet de loi que si, à la fin de l’examen du texte, de nouvelles garanties sont apportées à la protection de nos libertés fondamentales. En effet, la France et les Français doivent être protégés mais ceux-ci n’ont pas vocation à vivre dans les prochaines décennies dans une société de surveillance.