Je souhaite prendre le temps de présenter de manière précise la position du Gouvernement dans cet amendement qui concerne la question de l’urgence.
Rappelons d’abord que la question des procédures d’urgence est une question particulièrement sensible, car il s’agit de concilier les exigences du contrôle – une technique ne doit être mise en oeuvre qu’après autorisation par un responsable politique, le Premier ministre, éclairé par l’avis d’une commission indépendante – et la nécessité de pouvoir agir de manière suffisamment rapide lorsque des circonstances particulières l’exigent.
Nul ne comprendrait en effet que, confrontés, par exemple, à une menace terroriste imminente, nos services se trouvent contraints d’attendre que telle ou telle formalité ait été accomplie. Je remarque, d’ailleurs, que cette question ne fait pas débat dans le cadre juridique actuel et que chacun s’accorde à dire que les choses fonctionnent plutôt bien sur ce point. Pourquoi ? D’abord, parce que le Gouvernement a choisi de saisir systématiquement la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité – la CNCIS – avant d’autoriser une interception de sécurité, alors que rien, dans la législation, n’oblige à une consultation préalable. Ensuite, parce que la CNCIS s’est mise en situation de répondre très vite à ses sollicitations. Dès lors, le Gouvernement sait qu’il peut disposer très rapidement d’un avis qui sécurise sa décision, mais il sait aussi qu’en cas de nécessité, il peut agir sans violer la loi. En pratique, l’avis de la CNCIS est rendu avant autorisation dans la quasi-totalité des cas.
Il ne s’agit pas du tout pour le Gouvernement de remettre en cause cette situation, mais de la conforter, s’agissant des interceptions de sécurité, et de l’adapter, s’agissant de certaines autres techniques qui, en raison de leurs conditions de mise en oeuvre, ne peuvent être régies par la même procédure. Sur ce point, le Gouvernement estime que la solution adoptée par la commission des lois ne parvient pas tout à fait à l’équilibre entre les exigences du contrôle et celles de l’efficacité opérationnelle. C’est pourquoi le Gouvernement soumet un nouvel amendement.
Le texte adopté par la commission des lois prévoit l’institution d’une seule procédure d’urgence, qui permet au chef de service d’autoriser lui-même l’opération, à charge pour lui de la justifier dans les vingt-quatre heures auprès du Premier ministre. Comme je l’ai déjà indiqué en commission, cette solution présente deux inconvénients : d’une part, elle permet que, pour toutes les techniques, des autorisations soient données par les services eux-mêmes. Encore faudrait-il que l’on s’entende sur la notion de « chef de service ». De qui s’agit-il : du directeur général, du responsable de l’opération ? Or, l’une des garanties centrales prévues par la loi de 1991 tient à ce qu’une interception de sécurité ne peut être demandée que par un ministre et autorisée par le Premier ministre ou l’un de ses proches collaborateurs. Les possibilités de délégation sont étroitement encadrées. D’autre part, cette solution ne permet pas, dans certaines situations opérationnelles, de s’adapter à l’urgence, car l’agent sera, dans tous les cas, contraint de solliciter une autorisation : ce ne serait simplement plus celle du Premier ministre, mais celle de son chef de service.
Par conséquent, l’amendement présenté par le Gouvernement vise à réattribuer au Premier ministre le pouvoir de délivrer les autorisations. Toutefois, il distingue deux cas d’urgence. En présence d’une urgence absolue, l’autorisation pourra être délivrée sans attendre l’avis de la CNCTR. Celle-ci sera cependant immédiatement avisée et il faudra justifier devant elle du recours à l’urgence. Elle pourra se prononcer a posteriori, y compris sur le bien-fondé du recours à l’urgence, recommander l’interruption de la mesure, voire saisir, dans le cadre de la mise en oeuvre du contrôle juridictionnel, le Conseil d’État. Je répète que cette situation doit demeurer totalement exceptionnelle. Il est paradoxal de penser que le Gouvernement se passera demain de l’avis préalable de la CNCTR alors qu’il attend aujourd’hui celui de la CNCIS, sans être obligé de le faire.
En cas d’urgence opérationnelle – deuxième situation – la mesure pourra faire l’objet d’une autorisation a posteriori. Cette urgence opérationnelle ne concerne que deux techniques, qui présentent la particularité d’être mises en oeuvre par les services opérationnels sur le terrain, dans le cadre de filatures. En quoi consistent-elles ? On peut prendre l’exemple d’un objectif qui est amené à rencontrer un nouveau comparse venu à bord d’un véhicule non repéré préalablement. L’intérêt de la surveillance peut se reporter sur le nouvel arrivé. Si l’opportunité survient de baliser ce nouveau véhicule, il peut être difficilement envisageable pour les agents de solliciter toute la chaîne hiérarchique afin d’obtenir l’autorisation de procéder, alors, au balisage. Il s’agit en effet d’une opération qui peut être risquée, et l’opportunité de procéder à l’intervention technique peut se présenter de manière extrêmement brève et, parfois, imprévisible. Ainsi, la possibilité d’agir sans autorisation préalable est étroitement circonscrite.
Voilà pourquoi, très précisément, le Gouvernement vous propose cet amendement, en vous demandant, bien entendu, de l’adopter.