Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 16 avril 2015 à 9h30
Renseignement — Avant l'article 12

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Le présent amendement, qui a été modifié ultérieurement à son dépôt initial, est, j’en conviens, substantiel. Il a pour objet des dispositions relatives à un fichier en cours d’élaboration qui permettra de suivre les personnes condamnées pour des actes de nature terroriste.

Nous avions pris la décision d’élaborer ce fichier et de le mettre en oeuvre ; le Premier ministre l’avait annoncé dès la présentation du plan antiterroriste le 21 janvier 2015. Vous conviendrez qu’entre l’annonce de la création du fichier et les débats d’aujourd’hui, les délais étaient extrêmement contraints. Néanmoins, nous avons tenu à respecter les règles, y compris éthiques, auxquelles nous sommes très attachés.

Le Gouvernement a ainsi souhaité consulter, d’une part, la Commission nationale informatique et libertés, la CNIL, et, d’autre part, le Conseil d’État. C’est du fait de cette consultation que nous n’avons pu introduire dans le projet de loi les dispositions concernant la création de ce fichier ; nous avons en effet reçu les avis de la CNIL et du Conseil d’État ultérieurement aux travaux de la commission des lois de l’Assemblée nationale, respectivement le 7 et le 9 avril. Nous avons donc déposé l’amendement que je vais vous présenter sur la base de l’avis, lequel n’est pas assorti d’observations conséquentes.

Après les tragiques événements de janvier, nous avons rigoureusement évalué la situation et sommes convenus que l’autorité publique, c’est-à-dire tant les services d’enquête de la police que les services de l’autorité judiciaire, n’avait pas eu connaissance de déplacements qui avaient été effectués par une personne ayant déjà été condamnée pour actes terroristes. Nous restons bien entendu attachés à la liberté de déplacement, et considérons qu’une personne qui a fait l’objet d’une condamnation pour un acte de délinquance ordinaire doit pouvoir circuler librement. En revanche, une personne ayant déjà fait l’objet d’une condamnation pour des actes de nature terroriste ne doit pas être perdue de vue par les services d’enquête et l’autorité judiciaire.

Les événements de janvier, disais-je, nous ont donc conduits à procéder à l’examen rigoureux des enquêtes et des procédures qui avaient été suivies. Cela nous a amenés à nous demander si notre arsenal législatif était bien adapté aux besoins des enquêteurs et des magistrats. À la suite de réunions avec les intéressés, il s’est avéré que cet arsenal est complet, notamment grâce aux lois de décembre 2012 et de novembre 2014. En revanche, la question des personnes qui se déplacent à l’étranger alors qu’elles ont déjà fait l’objet d’une condamnation pour actes de terrorisme restait pendante. Nous avons donc décidé la création de ce fichier, à la fois dans le respect de la préservation des libertés individuelles et dans un souci d’efficacité, afin que ces personnes n’échappent pas à l’autorité publique.

Tel est l’objet de cet amendement. Seront inscrites au fichier les personnes mises en examen si le juge d’instruction en décide – puisque la mise en examen ne vaut pas condamnation –, ainsi que les personnes condamnées, sauf si la juridiction décide qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette inscription. Pour les mineurs, l’inscription devra faire l’objet d’une décision expresse de la juridiction.

Les délais de maintien dans le fichier sont de vingt ans pour un majeur et de dix ans pour un mineur à compter de la décision.

Les obligations sont de deux ordres.

La première obligation consiste à informer les autorités de tout projet de déplacement à l’étranger, quelle que soit la durée de ce déplacement.

La seconde, très contraignante, consiste à informer les autorités de sa domiciliation tous les trois mois et, le cas échéant, de tout changement d’adresse.

Ce fichier est placé sous l’autorité du ministère de la justice. Toute interconnexion avec un autre fichier est interdite, sauf avec le fichier des personnes recherchées, le FPR.

Le non-respect des obligations prévues dans cet amendement serait constitutif d’un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Je le répète, le Gouvernement a tenu absolument à ce que la CNIL et le Conseil d’État examinent ces dispositions. Nous pensons avoir trouvé la bonne mesure entre la nécessité de fournir aux services d’enquête et aux juridictions les éléments leur permettant d’être efficaces d’une part, la préservation des libertés individuelles d’autre part.

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