Au moment de nous prononcer sur ce projet de loi relatif au renseignement, nombre d’entre nous ont en tête la célèbre formule de Benjamin Franklin selon laquelle « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité, ne mérite ni l’un ni l’autre et finit par perdre les deux ». Ceux qui ont réfléchi, conçu, élaboré, puis discuté et amendé ce texte, se sont pleinement imprégnés de cet état d’esprit.
Notre droit avait besoin d’une loi traitant de la question du renseignement. Peu le contestent, parce que l’existence de règles claires est une garantie de liberté, en cette matière comme dans beaucoup d’autres, parce que notre pays est l’un des derniers à n’en pas disposer.
De ce retard, nous nous sommes efforcés de faire un atout : puisque nous figurons parmi les dernières grandes nations à légiférer en matière de renseignement, nous avons pu emprunter ce qu’il y avait de plus solide dans les législations étrangères, nous placer dans le haut des standards en matière de protection des libertés, nous inspirer de la jurisprudence désormais conséquente de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le sujet. Légiférer, c’est faire entrer l’État de droit là où les fantasmes l’attendent le moins.
Les techniques d’écoute, de sonorisation, de géolocalisation, les algorithmes et autres Imsi-catchers existent. Leur usage est largement répandu, par des États, démocratiques ou pas, amis ou non, mais aussi malheureusement par des individus animés de motivations très éloignées de l’intérêt général, que leurs intentions soient simplement commerciales, économiques ou dramatiquement criminelles. Qui peut imaginer raisonnablement un monde débarrassé de ces pratiques, fussent-elles interdites par toutes les dispositions possibles et imaginables ?
Notre propos, par cette loi, consiste à fixer le cadre dans lequel une République telle que la France, pour défendre ses intérêts, pour protéger les Français, donc pour des motifs d’intérêt général précis, peut recourir à de telles techniques, de manière encadrée, contrôlée et sanctionnée en cas de manquement à ce corpus de règles.
Tel a été tout l’objet du long débat parlementaire qui s’est déroulé en commission puis en séance, à partir d’un projet gouvernemental mûri de longue date et déjà lui-même très largement inspiré de cette philosophie de protection des libertés.
C’est ainsi que nous avons précisé les finalités de la politique du renseignement de manière à ne laisser aucune place aux interprétations trop extensives et donc potentiellement abusives. Toutes les notions contenues dans la loi ont désormais une portée claire, que le travail de l’actuelle commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité – CNCIS – a contribué à calibrer depuis 1991.
C’est ainsi que nous avons renforcé les dispositifs de contrôle, en étendant notamment les prérogatives de la future commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – CNCTR –, tant dans son rôle de conseil du Gouvernement que dans sa fonction de signalement des éventuels manquements aux règles édictées. De ce point de vue, la CNCTR aura incontestablement davantage de pouvoirs que l’actuelle CNCIS. Là où la loi de 1991 était extrêmement avare en matière de prérogatives, ce texte est au contraire prolixe.
C’est ainsi que nous avons clarifié les modalités de saisine du Conseil d’État et renforcé les règles déontologiques, grâce en particulier à la création d’un statut de lanceur d’alerte pour tout agent des services de renseignement. Du fait de la question préjudicielle, le secret défense ne sera plus un obstacle pour le juge administratif, ni pour le juge civil ou pénal.
D’autres étapes permettront sans doute d’améliorer ce projet de loi avant son adoption définitive. Pour qu’aucun doute ne subsiste avant son entrée en vigueur, le Président de la République a pris l’engagement de saisir lui-même le Conseil constitutionnel avant de le promulguer.
Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, j’appelle donc l’ensemble de la représentation nationale à voter en faveur de ce texte nécessaire qui, en dépit de tous les commentaires dont il fait l’objet, marque un réel progrès pour notre État de droit.