Intervention de Chantal Guittet

Séance en hémicycle du 13 mai 2015 à 15h00
Délais de paiement interentreprises pour le grand export — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour examiner une proposition de loi qui donnera, j’en suis sûre, une bouffée d’oxygène aux sociétés de négoce international. Le rôle de ces sociétés est souvent méconnu. Elles sont pourtant des maillons indispensables du commerce international. Elles favorisent la conquête de nouveaux marchés, lointains et difficiles d’accès, et contribuent à la réduction du déficit de notre balance commerciale.

C’est une satisfaction personnelle de voir en passe d’aboutir un texte que je porte depuis longtemps, avec mon collègue Jean-Pierre Le Roch. Cette proposition de loi s’inscrit dans l’ambition générale du Gouvernement et de la majorité de lever tous les obstacles législatifs et réglementaires auxquels sont confrontées les entreprises. Elle n’ouvre aucune boîte de Pandore, ne menace aucun droit, ne contient aucun recul.

Il est simplement proposé à l’Assemblée nationale un ajustement à la loi de modernisation économique, dite « LME », pour tenir compte des spécificités du commerce en dehors de l’Union européenne. Les bénéfices attendus seront, sans nul doute, un gain de compétitivité pour les sociétés exportatrices, une augmentation des achats faits en France – les entreprises françaises n’iront plus chercher de meilleurs délais de paiement chez les fournisseurs étrangers – et, à terme, des investissements et des emplois. J’espère donc susciter l’enthousiasme sur tous les bancs de l’hémicycle, comme ce fut le cas en commission des lois.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie en 2008, le délai de paiement entre entreprises est borné à quarante-cinq jours fin de mois ou à soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Toutes les transactions entre entreprises françaises sont soumises à cette règle, sauf si elles concernent des denrées périssables. Le dépassement du délai est durement sanctionné : l’article L. 441-6 du code de commerce prévoit une amende importante de 375 000 euros pour une personne morale. Cette disposition a eu beaucoup de vertus en matière d’assainissement des délais de paiement sur le marché domestique. Elle est, a contrario, un frein puissant, un handicap face à nos concurrents internationaux quand il s’agit d’entreprises actives à l’international.

Le droit international – en l’occurrence, la convention de Vienne de 1980 – laisse aux parties une totale liberté de choix pour la fixation des délais de paiement, sous réserve que personne ne soit lésé dans la négociation. Quant au droit européen, une directive du 16 février 2011 fixe un délai de soixante jours, tout en laissant aux cocontractants la possibilité de s’entendre sur un délai.

Ainsi, alors que la France ordonne un délai de quarante-cinq jours fin de mois ou de soixante jours à compter de la facture, le reste du monde, y compris nos voisins européens comme la Belgique, l’Allemagne ou l’Italie, laisse une entière liberté aux commerçants. L’entreprise française subit alors un effet ciseau : elle doit payer ses fournisseurs rapidement alors qu’elle ne peut imposer le même délai à ses clients étrangers. Le faire reviendrait, dans la plupart des cas, à faire payer à ceux-ci les commandes avant réception, ce qui est totalement inconcevable. En Afrique, par exemple, les clients étrangers ont coutume de payer dans un délai de 90 à 180 jours pour tenir compte des délais d’acheminement, longs de dix semaines en moyenne.

En France, une telle situation entraîne des frais de trésorerie, évalués autour de 10 %. Elle nuit donc à la compétitivité de nos entreprises, leur fait manquer des contrats et détruit des emplois.

Les exportations indirectes réalisées par nos sociétés de négoce indépendantes atteignent un montant de 36 milliards d’euros par an. De nombreuses entreprises – environ 5 000 – employant un grand nombre de salariés sont placées dans une situation de faiblesse concurrentielle. Bizarrement, notre code de commerce les incite à choisir un fournisseur étranger, avec qui les délais de paiement sont négociables, plutôt qu’un fournisseur français, pour lequel ces délais sont imposés. Selon les opérateurs spécialisés du commerce international, chaque fois que les négociants indépendants substituent à 1 % de leurs achats auprès des producteurs français des achats à l’étranger, ce sont 360 millions d’euros de chiffre d’affaires qui sont perdus par les usines et les agriculteurs français. Cela représente des manques à gagner importants. Cette hémorragie doit cesser.

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi visait à dispenser les entreprises de « grand export », c’est-à-dire exportant hors de l’Union européenne, de l’encadrement des délais de paiement prévu par la loi de modernisation de l’économie. Cette initiative inquiétait leurs fournisseurs, qui redoutaient de voir la charge de trésorerie se reporter sur eux. Nous avons entendu cette inquiétude : la commission des lois y a répondu en adoptant des amendements qui, au lieu de supprimer l’encadrement réglementaire, font le choix de l’assouplir. Les délais de paiement légaux seront un peu plus longs pour les entreprises exportatrices : quatre-vingt-dix jours à compter de la facture si le fournisseur est une PME, et cent vingt jours s’il s’agit d’une grande entreprise. Nous offrirons ainsi plus de liberté aux exportateurs tout en maintenant le contrôle auquel sont attachés les fournisseurs.

Du fait de l’adoption de ces amendements en commission, l’article 2 de la proposition de loi a perdu sa raison d’être. Pendant un temps, j’ai envisagé de le supprimer, mais la proposition formulée par M. Le Roch et le groupe SRC m’a fait changer d’avis en faveur d’une réécriture. J’indique d’ores et déjà que je serai favorable à l’amendement no 1 , qui étend le dispositif aux exportations de denrées alimentaires périssables, sous réserve de deux précisions mineures.

La législation actuelle constitue, de fait, un véritable barrage à l’achat des productions françaises destinées au grand export, donc à la valorisation de ce que nous appelons le « made in France » à l’international. Les productions étrangères se voient conférer un avantage comparatif évident à cause d’une malheureuse distorsion légale. La présente proposition de loi rend à nos entreprises la possibilité de lutter à armes égales avec leurs concurrents internationaux, sans pour autant sacrifier la sécurité économique apportée aux fournisseurs par la loi de modernisation de l’économie.

Je tiens à remercier le groupe SRC et son président, Bruno Le Roux, d’avoir inscrit ce texte important à l’ordre du jour. Je remercie tous les autres groupes qui composent l’Assemblée nationale, de la majorité comme de l’opposition, de l’avoir unanimement adopté en commission des lois. J’espère qu’il en sera de même, dans quelques minutes, en séance publique.

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