Intervention de Jean-Pierre Le Roch

Séance en hémicycle du 13 mai 2015 à 15h00
Délais de paiement interentreprises pour le grand export — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Le Roch :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes ici aujourd’hui pour réaliser une avancée très attendue par les entreprises exportatrices françaises, fruit d’un travail mené avec ma collègue rapporteure Chantal Guittet.

Je tiens tout d’abord à saluer et à remercier pour la qualité de leur travail et de leur engagement les chefs d’entreprise conseillers du commerce extérieur de la France ainsi que la fédération professionnelle des opérateurs spécialisés du commerce international, qui représente 20 000 entreprises de négoce françaises.

Ce sont eux qui, en 2013, nous ont alertés sur les conséquences dramatiques de l’application uniforme des dispositions de la loi de modernisation de l’économie, dite LME, sur les délais de paiement pour les sociétés de négoce exportant à l’international.

Depuis l’entrée en vigueur en 2008 de la loi LME, les délais de paiement entre les entreprises ne peuvent excéder quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Cette disposition vise à éviter qu’une grande entreprise, en réglant ses factures en retard, ne mette en péril les TPE et PME qui la fournissent.

La loi relative à la consommation, que nous avons adoptée le 17 mars 2014, est venue renforcer cette règle en créant un régime de sanctions administratives.

Au niveau européen, la directive de 2011 relative à la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales fixe également un délai de soixante jours. Mais elle fait primer la liberté contractuelle des sociétés de négoce et fournisseurs, qui peuvent s’entendre sur un délai supérieur, à condition qu’il n’y ait pas d’abus.

Ainsi, ces dispositions apportent une sécurité bienvenue aux opérateurs économiques, aussi bien au niveau national qu’au niveau intra-européen. Dans un contexte où le crédit interentreprises engendré par ces délais de paiement est évalué à plus de 600 milliards d’euros, soit environ 30 % du PIB, cette mesure est une bonne mesure, attendue par les entreprises.

Cependant, elle pose un problème de taille pour les entreprises pratiquant le « grand export », c’est-à-dire la vente hors de l’Union européenne.

Le droit international, par la convention de Vienne de 1980, laisse une complète liberté de choix aux parties dans la fixation des délais de paiement. Nos entreprises doivent donc composer avec des délais de paiement hors Union européenne significativement plus longs, ceux-ci pouvant courir jusqu’à cent vingt jours, cent cinquante jours ou plus encore.

Ainsi nos entreprises se voient confrontées à un effet ciseau. Elles doivent rémunérer leurs fournisseurs français immédiatement, mais accepter d’être elles-mêmes payées par leurs clients bien plus tard, afin de s’adapter aux réalités du marché international.

Ce hiatus entre délais de paiement européens et extra-européens entraîne des frais de trésorerie pour l’entreprise française, nuit à sa compétitivité, l’empêchant de se positionner sur certains contrats et à terme, détruit des emplois.

En effet, cette situation conduit nécessairement les entreprises de négoce à rechercher, de la part de leurs fournisseurs, de la flexibilité. Chez nombre de nos partenaires européens, tels que le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie ou encore l’Autriche, elles en disposent. Ce n’est pas le cas en France. L’absence de flexibilité qui interdit, même au producteur français qui le désire de partager l’effort financier de son négociant exportateur, constitue, de fait, un barrage à l’achat des productions françaises destinées au grand export, et donc à la valorisation du made in France à l’international.

Nous parlons ici de près de 10 % des exportations françaises. La demande à satisfaire atteint environ 36 milliards d’euros, ce qui représente des perspectives de croissance et d’emploi considérables.

Les entreprises de négoce au « grand export » sont en effet un des piliers de l’appareil exportateur français, contribuant à la réduction du déficit de notre balance commerciale. Elles offrent à nos entreprises, en particulier à celles qui débutent à l’export, des compétences ainsi qu’une interface pour le développement de leurs exportations. Véritables bras armés commerciaux de beaucoup de PME, elles sont une des forces des économies allemande et japonaise, qui se sont appuyées très tôt sur des entreprises spécialisées dans la commercialisation de produits, pour pallier l’inexpérience de leurs acteurs nationaux.

Or ces 4 600 entreprises françaises, qui emploient plus de 35 000 personnes, doivent arbitrer entre les trois options suivantes : acheter en France dans des conditions qui, compte tenu du cadre légal, sont particulièrement coûteuses en termes de trésorerie ; jouer d’artifices légaux afin de contourner cette contrainte, en ayant par exemple recours à des contrats de droit étranger ou en délocalisant leur siège ; ou acheter chez nos partenaires européens cités précédemment, avec lesquels il est possible de négocier, par voie contractuelle, des conditions mutuellement plus équitables.

Quelle que soit l’option choisie, les conséquences ne peuvent être que funestes pour l’activité de nos territoires. Ainsi, comme le rappelait Mme Chantal Guittet lors de l’examen de notre texte en commission des lois, chaque fois que les négociants indépendants choisissent de remplacer 1 % de leurs achats en France par des achats à l’étranger, s’envoleraient près de 360 millions d’euros de chiffre d’affaires pour nos entreprises. En termes d’emplois, ce sont ainsi entre 3 500 et 7 000 postes qui seraient détruits.

Cette terrible faiblesse concurrentielle et ses répercussions néfastes sur le tissu économique français ne sont pourtant dues qu’à une simple distorsion légale. Il était donc nécessaire d’ajuster la législation, afin de donner un peu d’air à nos entreprises.

Durant les deux dernières années, nous avons mené un long travail de concertation, au cours duquel nous avons dialogué et rencontré le soutien de nos entreprises exportatrices, des ministères et de nos collègues socialistes, ainsi que l’appui renouvelé du président de la commission des affaires économiques, M. François Brottes, que je tiens à remercier encore ici.

Nous avons également levé quelques inquiétudes. En effet, afin d’apaiser les craintes des fournisseurs de nos entreprises exportatrices, nous avons choisi, en commission des lois, d’assouplir l’encadrement réglementaire plutôt que de le supprimer. Ainsi, les délais de paiement s’élèveront à 90 jours à compter de la facture si le fournisseur est une PME, et à 120 jours s’il s’agit d’une grande entreprise. Il reviendra ensuite aux commissaires aux comptes et au ministère de l’économie de vérifier le respect de ces nouvelles prescriptions.

L’équilibre trouvé en commission des lois est ainsi plus que satisfaisant, comme l’a montré son adoption unanime et transpartisane.

Cependant, l’extension des délais légaux de paiement que nous avons votée voilà maintenant un mois ne concerne que le commerce des biens autres qu’alimentaires. Compte tenu du fait que les exportations françaises comprennent pour une large part des denrées alimentaires et des boissons alcooliques, et afin de parfaire ce texte, je vous proposerai donc un amendement visant à ce que ces productions, très appréciées à l’international, bénéficient des mêmes facilités d’exportation que celles des autres secteurs.

Nous avons aujourd’hui l’occasion de donner à nos entreprises la possibilité d’être au plus près des réalités du marché international et, ainsi, de lutter à armes égales avec leurs concurrents étrangers. Dans le même temps, nous pouvons sécuriser l’accès des producteurs français à des marchés qui, jusque-là, leur échappaient au profit de fournisseurs étrangers non soumis aux dispositions de la loi de modernisation de l’économie.

Lever les obstacles réglementaires à la croissance économique et favoriser l’activité de nos entreprises, tels sont nos objectifs et ceux de notre Gouvernement.

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