Intervention de Ary Chalus

Séance en hémicycle du 13 mai 2015 à 15h00
Délais de paiement interentreprises pour le grand export — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAry Chalus :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen de la proposition de loi relative à l’instauration d’une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de grand export, à l’initiative des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen.

Cette proposition vise les activités de grand export, à savoir les activités commerciales exercées hors de l’Union européenne avec des clients étrangers, afin que les entreprises françaises puissent déroger à l’obligation de paiement dans les soixante jours suivant la date d’émission de la facture, les exportations hors de l’Union européenne étant les plus longues à honorer.

En effet, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a instauré des délais de paiement entre entreprises fixées à quarante-cinq jours. Or, les entreprises ont critiqué le préjudice lié à l’instauration de telles contraintes, notamment en comparaison avec les pays où les délais de paiement des factures peuvent être de quatre-vingt-dix, voire de cent vingt jours, en fonction des réglementations applicables.

Ces différences de traitement entre pays entraînent de fait un effet de ciseau pour les entreprises concernées. Mais toutes les entreprises ne subissent pas les mêmes contraintes avec cette législation. Si les grandes entreprises ou les grands groupes peuvent imposer leurs délais de paiement issus de la réglementation française aux entreprises étrangères, les petites et moyennes entreprises n’en ont pas la possibilité et se retrouvent dans une situation financière complexe, renforçant de fait l’hégémonie des grandes entreprises sur le marché du négoce international.

De la même manière, les grandes entreprises disposent d’une trésorerie suffisante leur permettant de payer les factures de leurs fournisseurs, avantage dont les petites entreprises ne peuvent se prévaloir. Ces contraintes temporelles constituent également un frein au développement des activités par les entreprises, celles-ci se retrouvant dans une situation moins favorable que leurs homologues d’entreprises étrangères, non contraintes par les mêmes délais.

Ces contraintes pèsent également sur les capacités d’investissement des entreprises, celles-ci ne pouvant lever de fonds sur le long terme et devant faire face à des contraintes de trésorerie importantes. Or le renforcement de la compétitivité des entreprises françaises, souhaité par le Gouvernement, passe aussi par la simplification des contraintes et des entraves au développement des activités et de l’exportation par les entreprises françaises.

De fait, imposer des contraintes temporelles et financières aux entreprises va à l’encontre de cette politique. S’il apparaît impératif de soutenir les entreprises françaises exportatrices tout en protégeant les fournisseurs français, il apparaît pertinent de lever les freins à l’exercice effectif des activités commerciales et au développement des exportations.

En effet, les entreprises françaises recourent parfois à des techniques dérivées afin de contrer les délais de paiement entre entreprises. La délocalisation partielle des activités à l’étranger afin de traiter avec les entreprises étrangères par le biais de leurs filiales est une technique légale utilisée par les entreprises. Les contrats ainsi passés par des filiales étrangères pour le compte d’entreprises mères françaises ne se voient pas appliquer les mêmes obligations en matière de délais de paiement et permettent aux entreprises françaises d’être actrices sur le marché de l’exportation.

Toutes ces difficultés démontrent les entraves que constitue la persistance de délais de paiement trop courts par rapport aux autres pays, constituant alors des freins à la croissance de l’activité économique française.

Cela autant, une harmonisation des législations au niveau européen pourrait constituer un moyen de contrer ces difficultés. Si la directive 20117UE du 16 février 2011 a prévu un plafonnement des délais de paiement à soixante jours suivant l’émission de la facture, les États se sont vus reconnaître la possibilité de déroger à ces délais de paiement par voie contractuelle. Ce fut chose faite par certains pays, à l’instar du Royaume-Uni ou de l’Italie, entraînant une concurrence déloyale entre les entreprises européennes.

Les entreprises françaises, se trouvent ainsi plus réticentes à recourir aux services des entreprises nationales et se retournent vers des entreprises de sous-traitance ou d’approvisionnement issues d’autres pays de l’Union européenne, fournissant le même service mais disposant d’une législation plus flexible.

De plus, la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a renforcé les contraintes applicables aux entreprises en prévoyant que si elles ne respectent pas les délais de paiement, elles encourent une amende administrative d’un montant prohibitif. Mais il faut noter que ces délais peuvent être réduits ou ne commencer à courir qu’à la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation, sous réserve d’accords sectoriels homologués par décret après avis de l’Autorité de la concurrence.

Cette proposition de loi déposée par nos collègues socialistes a fait l’objet d’un large consensus en commission des lois. Telle qu’issue des travaux de la commission et adoptée à l’unanimité par celle-ci, la proposition vise, en son article 1er, à permettre, pour les exportations réalisées hors de l’Union européenne, d’augmenter les délais de paiement.

Ce délai passerait de soixante à quatre-vingt-dix jours à compter de la date d’émission de la facture pour les achats effectués auprès d’une micro-entreprise et d’une petite ou moyenne entreprise, et passerait à cent vingt jours lorsque les achats sont effectués auprès d’une entreprise de taille intermédiaire ou d’une grande entreprise.

Toutefois, il est précisé que des pénalités de retard seront appliquées si les biens concernés ne justifient pas l’application de la dérogation. De même, la dérogation n’est pas applicable aux achats effectués par les grandes entreprises. Cela se justifie, les grandes entreprises ayant des possibilités de trésorerie plus importantes et pouvant faire face à des contraintes de délais de paiement plus strictes que les structures les plus petites.

Aussi le deuxième article de la proposition de loi vise-t-il à encadrer les pénalités applicables si les biens ne reçoivent pas la destination justifiant l’application de la dérogation, à savoir les seuls achats destinés à l’exportation hors de l’Union européenne. Ces précisions visent à se prémunir de l’exercice d’un abus manifeste à l’égard des créanciers par le débiteur acheteur.

Cette dérogation limitée tant dans les nouveaux délais proposés que dans les activités concernées nous semble aller dans le sens de l’amélioration des exportations par les entreprises françaises.

Toutefois, un mot de procédure : comme l’ordre du jour parlementaire est très chargé jusqu’à la fin de la session et qu’une session extraordinaire tout aussi chargée s’annonce, et alors que le Gouvernement est constamment à la recherche de créneaux dans les semaines qui ne relèvent pas de l’ordre du jour prioritaire, peut-être cette heureuse initiative du groupe socialiste aurait-elle pu faire l’objet d’un amendement judicieusement incorporé au projet de loi « Macron ». Cela nous aurait fait gagner un peu de temps !

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