Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi relative à la clarification de la procédure de signalement des situations de maltraitance par les professionnels de santé a pour objet de permettre à l’ensemble des professionnels de santé, par différents moyens, de signaler les actes de maltraitance auxquels ils peuvent être confrontés, en les sécurisant en matière d’atteinte au secret professionnel.
Le signalement des cas de maltraitance par les médecins est déjà prévu par l’article 226-14 du code pénal. S’ils signalent des cas de maltraitance au procureur de la République ou à l’autorité administrative, notamment à travers la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP, ils n’encourent pas les sanctions applicables à la violation du secret professionnel prévues à l’article 226-13 du code pénal, à savoir une année d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Toutefois, méconnue, cette procédure de signalement est peu utilisée par les médecins, pour plusieurs raisons. En premier lieu, les médecins n’ont pas connaissance des outils mis à leur disposition et ne sont pas familiers de l’institution judiciaire. En deuxième lieu, les formations relatives à la détection des situations de maltraitance ne sont pas dispensées lors des études de médecine. En troisième lieu, les conséquences d’un signalement sans suite sont redoutées par les médecins, cela peut altérer la confiance qu’ont en eux leurs patients.
Afin de combler ce vide, les sénateurs ont souhaité introduire un texte visant à renforcer les dispositifs de signalement des situations de maltraitance.
Ainsi, la proposition vise à modifier la procédure de l’article 226-14 du code pénal en accordant l’immunité pénale en cas de violation du secret professionnel à l’ensemble des professionnels de santé et des auxiliaires médicaux et non plus seulement aux médecins.
Elle prévoit la possibilité pour les auteurs du signalement de s’adresser à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, et non plus au seul procureur de la République, comme c’est le cas actuellement.
Le texte réaffirme également l’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire de l’auteur du signalement, sauf s’il n’a pas agi de bonne foi. En cas de signalement sans suite ou d’absence de signalement, la responsabilité du professionnel de santé ne pourra être engagée.
Or force est de constater que les professionnels de santé ont recours à l’autorité administrative pour signaler des cas de maltraitance, notamment en cas de doute, plus facilement qu’ils ne saisissent directement le procureur de la République, par crainte ou méconnaissance de l’institution judiciaire.
Initialement cantonnée aux atteintes portées à la personne mineure ou à la personne n’étant pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique – je pense en particulier aux personnes âgées pour lesquelles le phénomène de la maltraitance est aussi une réalité à prendre en compte –, le texte modifié que nous examinons aujourd’hui traite de l’ensemble des situations de maltraitance pouvant être connues par les professionnels de santé et subies par leurs patients.
Les violences faites aux enfants sont non seulement un grave problème de société, mais encore une question de santé publique, car elles ont des conséquences catastrophiques à l’âge adulte. Tous les enfants maltraités ne deviennent pas des délinquants, bien sûr, ni à leur tour des parents violents, mais de nombreux travaux scientifiques confirment les liens qui existent entre les maltraitances subies dans l’enfance et les troubles graves du comportement à l’âge adulte. Les enfants maltraités seront davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques : désordres affectifs, mais aussi troubles du comportement, penchants pour des actes violents, dépression, toxicomanie, désocialisation.
Selon les associations spécialisées dans la protection de l’enfance, plus de 100 000 enfants seraient en danger et, parmi eux, 20 000 seraient maltraités. Cette maltraitance au sein des familles, souvent cachée, inconnue ou ignorée nous pose à tous question. Les faits divers de maltraitance, violence ou viol effectués au sein des familles et médiatisés nous interpellent à juste titre.
L’obligation de signaler les cas de maltraitance concerne tous les individus, et pas seulement les professionnels de santé, tant les conséquences sur les victimes sont désastreuses, notamment en cas de sévices sexuels, d’autant plus lorsque les victimes étaient mineures au moment des faits.
Une question se pose alors : comment de telles atrocités peuvent-elles se dérouler durant plusieurs années sans que personne en prenne conscience ?
Il apparaissait donc nécessaire de rendre le signalement des situations de maltraitance par les professionnels de santé plus aisé, en matière d’atteintes aux enfants. Étendre ce dispositif à l’ensemble des personnes soumises à des violences est une bonne chose. Lever les freins à la révélation des violences passe par l’exonération des médecins des sanctions pour atteinte au secret professionnel.
Adeline Gouttenoire a souligné dans son rapport, rendu en avril 2014 au ministère des affaires sociales et de la santé, que le domaine médical est un maillon particulièrement important de la protection de l’enfance. Or, selon l’Ordre des médecins, seuls 5 % des signalements d’enfants en danger sont effectués par le secteur médical, dont 1 % seulement par les médecins libéraux. Les auteurs de la proposition de loi avaient d’ailleurs fait remarquer que les médecins fonctionnaires étaient tenus à une obligation de signalement de tout acte de maltraitance, en vertu de l’article 40 du code pénal. Ils ont donc souhaité étendre à tous les médecins cette obligation, en cas de maltraitance sur les mineurs. Ils avaient également supprimé dans un premier temps la nécessité de recueillir l’accord préalable de la victime majeure.
Nous sommes satisfaits que le Sénat ait introduit un deuxième article à la proposition de loi, complétant l’article 21 de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Le texte prévoit également une formation professionnelle obligatoire pour tous les professionnels pouvant être confrontés à cette situation, notamment une formation à la détection des violences intra-familiales, des violences faites aux femmes ainsi que des mécanismes d’emprise psychologique.
Toutefois, souvent, la maltraitance n’est pas évidente à détecter. Il faut donc éviter l’automaticité des signalements, qui peut avoir des conséquences catastrophiques, pour laisser au médecin un temps de réflexion. Les signalements hâtifs et les interpellations par les forces de police pourraient avoir des conséquences catastrophiques sur des familles ou des proches et des impacts psychiques redoutables sur les auteurs de ces signalements erronés. Comme je l’ai déjà dit, nous souscrivons à la réaffirmation du besoin de formation des professionnels. Nous savons qu’un signalement effectif suppose nécessairement une connaissance des situations et de causes de la maltraitance par les professionnels de santé.
Enfin, il faut être prudent quant aux obligations pesant sur les professionnels de santé et tout particulièrement sur les professions libérales. En effet, les cas de maltraitance sont difficiles à appréhender. Dans le milieu hospitalier, les cas de suspicions de maltraitance peuvent être analysés de manière collégiale. En revanche, la question est plus délicate pour des médecins généralistes isolés. Un renforcement du dialogue entre les professionnels de santé, avec davantage de concertation, pourrait permettre une évolution positive des cas de signalement de maltraitance. Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera en faveur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.