Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd’hui une proposition de loi adoptée par le Sénat le 10 décembre dernier en première lecture. La Haute assemblée avait modifié substantiellement le texte de la proposition initiale et la commission des lois de l’Assemblée nationale s’est rangée à ces évolutions. Le présent texte propose donc une réécriture du délit de violation de domicile.
La question des squats est éminemment sensible. Elle touche à l’articulation évidemment complexe entre le droit de propriété et d’autres principes à valeur constitutionnelle. Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reconnaît-elle le droit de propriété comme essentiel dès son article 2, ainsi qu’à l’article 17 ; il doit, à ce titre, être protégé.
Je mesure la colère de ceux qui, de bonne foi, voient leur logement occupé par des inconnus. Des exemples, souvent médiatiques, d’ailleurs, viennent nous rappeler le caractère inacceptable de ces comportements. C’est d’ailleurs ici qu’entre en considération la notion de domicile : nombre de squats, dont nous parlons tous les jours, sont, en réalité, des occupations d’immeubles vacants, de bureaux vides, de bâtiments désaffectés et ne peuvent être considérés comme des occupations de domiciles. Ils n’en demeurent pas moins problématiques, bien évidemment, et donnent lieu à la mise en oeuvre de procédures judiciaires. En revanche, l’occupation illicite du domicile, du lieu de son principal établissement, est, elle, d’une telle gravité qu’elle doit cesser le plus rapidement possible.
Parallèlement, l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946 pose en principe que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »
En 2011, l’INSEE recensait près de 9 millions de pauvres. Pour ces Français dont le revenu n’excède pas 977 euros pour une personne seule, l’effort financier à consentir pour le logement est souvent très difficile. Rien d’étonnant à ce que 3,5 millions de personnes soient mal logées, en 2014, selon le rapport de la Fondation Abbé-Pierre. Ils sont 3,5 millions aujourd’hui, alors qu’ils étaient moins de 3 millions en 2001. Le mal logement est donc un phénomène massif, qui s’étend. Le nombre de sans domicile a presque doublé, de 86 000 en 2001 à 141 000 en 2014. Pourtant, élus de nos territoires, nous savons tous combien avoir un toit est un préalable, une condition essentielle à l’insertion professionnelle ou à l’éducation des enfants. Nous savons tous les conséquences sanitaires d’un logement insalubre. Nous savons tous comment un logement indécent est une atteinte à la dignité d’hommes et de femmes. Si je me permets de faire cette incise sur les chiffres de la crise du logement, c’est pour souligner que la problématique évoquée aujourd’hui, celle de l’occupation illicite de logements, ne peut s’accommoder de réponses rapides et parfois trop simples. On ne squatte pas par plaisir, du moins d’une façon générale.
Le Gouvernement est convaincu que la première des réponses est celle de la politique publique du logement. Sans me livrer à un inventaire exhaustif, je me bornerai à rappeler que le Gouvernement a déployé un vaste plan de relance de la construction, qui s’articule autour de cinq priorités : favoriser l’accession à la propriété, simplifier les règles de construction et développer l’innovation, augmenter l’offre de logements neufs, sociaux et intermédiaires, renforcer la mobilisation du foncier et, enfin, rénover les logements. Cette majorité a renforcé les dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain – SRU – pour qu’enfin, les communes récalcitrantes se plient à leurs obligations en matière de construction de logements sociaux. C’est aussi ce gouvernement qui met en oeuvre la taxe sur les logements vacants depuis plus de deux ans.
La réponse pénale à un problème social ne nous paraît pas toujours appropriée à la gravité des enjeux. Les chiffres sont éclairants : en 2013, les condamnations prononcées du seul chef de l’article 226-4 du code pénal, que cette proposition de loi se propose de modifier et qui vise l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui, se sont élevées à 543, chiffre relativement stable. On ne saurait donc nier l’existence de ce phénomène ; même s’il demeure limité, il est inacceptable.
Le texte issu du Sénat et adopté par votre commission se limite désormais à une refonte de cet article 226-4 du code pénal pour consacrer définitivement le caractère continu de la violation de domicile. Le Sénat s’est fondé sur un arrêt du 22 février 1999 de la cour d’appel de Paris, qui juge que la violation de domicile n’est pas une infraction continue. Or, cette jurisprudence est totalement isolée et n’a jamais été reprise. Mieux, la Cour de cassation ne s’est jamais prononcée sur la question, signe qu’elle ne fait pas l’objet de débats juridiques dans les juridictions. D’ailleurs, une circulaire vient même de compléter l’application de cet article 226-4 en précisant qu’il étend la répression à l’hypothèse du maintien dans le domicile d’autrui, transformant ainsi cette infraction instantanée en délit continu. Cette modification a principalement pour objet de rendre plus efficaces les procédures engagées contre les squatteurs. Elle permettra en effet de diligenter des enquêtes de flagrance à leur encontre, alors même que l’occupation sans droit ni titre a commencé depuis un certain temps.
L’article 1er de la proposition de loi, tel qu’issu de la commission des lois, vient donc consacrer définitivement le caractère continu du délit de maintien dans le domicile d’autrui. Même si les difficultés d’interprétation étaient rares, cette rédaction est bienvenue. Elle sécurisera les poursuites dans le cadre de la flagrance contre le maintien dans le domicile d’autrui, même si l’introduction date de plusieurs jours.
C’est pourquoi le Gouvernement, si le texte devait rester en état, voit cette proposition d’un oeil bienveillant.