Intervention de Marie-Hélène Fabre

Séance en hémicycle du 12 juin 2015 à 9h30
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Hélène Fabre :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous retrouvons aujourd’hui est un rescapé législatif, longtemps porté disparu dans les sables mouvants de la procédure et des navettes parlementaires.

Je veux tout d’abord saluer le Gouvernement qui, en inscrivant ce texte à l’ordre du jour, a manifesté son engagement de voir, enfin, les choses avancer sur ce dossier. Aussi permettez-moi de vous dire ma satisfaction de débattre dans cet hémicycle d’une proposition de loi transpartisane. Cette loi est une grande loi d’émancipation humaine. Je rappelle que la position abolitionniste a été adoptée par la France dès 1960 face à la situation désespérée d’un grand nombre de femmes.

Je le répète aujourd’hui, nous pensons que ce qui permet à la prostitution de subsister dans nos sociétés, c’est la méconnaissance profonde de la réalité du phénomène. Face à ce déni de réalité, qui génère parfois une représentation incroyablement idéalisée de la prostitution, nous nous devons de combattre pour rétablir les faits.

Mon propos n’est pas idéologique, il est pragmatique. Avec cette loi, nous allons poser un interdit, envoyer un signe, comme vous l’affirmiez au Sénat, madame la secrétaire d’État.

La réalité de la prostitution actuelle, c’est une prostitution de plus en plus délocalisée, qui met encore plus les femmes en danger. Par ailleurs, comme cela peut se voir dans mon département de l’Aude, situé à quelques kilomètres de la Jonquera en Espagne, c’est une prostitution essentiellement organisée par des réseaux, dont la grande majorité concerne des jeunes femmes parfois mineures et étrangères, souvent en situation irrégulière. C’est une prostitution dont le coût s’élève, selon une étude commandée par le Mouvement du Nid, à 1,6 milliard d’euros par an à la charge de la société. Personne, ou presque personne, ne peut décemment croire que la prostitution relève du droit chèrement acquis à disposer librement de son corps, que les prostituées sont libres et qu’elles ont consenti à exercer leur activité.

Le dispositif législatif en vigueur est, de l’aveu général, parfaitement incapable d’endiguer le développement de ces réseaux. Plus grave, il ne fait absolument aucune place à la protection des personnes prostituées et à leur réinsertion.

Sans intervention de notre part, ces réseaux vont continuer à prospérer, voire se renforcer. Pour tous ceux qui estiment qu’un encadrement du commerce de la prostitution pourrait être une solution, il faut bien garder en tête les exemples de nos voisins, où ces réglementations n’ont pas permis de lutter efficacement contre les réseaux, bien au contraire. En Allemagne, par exemple, le trafic de la traite a sans doute été multiplié par soixante-dix en quelques années. Le système existant, qui fait peser la présomption de culpabilité par le délit de racolage sur la personne prostituée, est inefficace et injuste. C’est la raison pour laquelle je suis opposée au texte issu des travaux du Sénat.

Entériner le délit de racolage, c’est continuer à se voiler la face et cautionner un système qui fait, jour après jour, la preuve de sa monstruosité, car la prostituée est avant tout une victime. Je souhaite que nous changions de logique pour lutter contre la prostitution. Notre solution consiste à reconnaître la responsabilité du client, complice de ce système de violence, comme c’est le cas en Suède et dans une partie du monde anglo-saxon.

Mes chers collègues, il est temps de changer, dans les faits, notre regard, et de responsabiliser la société tout entière à la réalité du système prostitutionnel, et cela dès l’école.

Comment, en effet, persister à ignorer le rôle que joue l’argent des clients dans le financement des réseaux criminels ? À cet égard, il faut rétablir les articles 16 et 17 de cette proposition de loi. Ils sont un outil indispensable dans la lutte contre la traite, mais ils ont également une portée symbolique et pédagogique pour les jeunes, en ce qu’ils fixent clairement l’interdit dans la loi.

J’espère que, sur tous les bancs, nous nous rallierons à cette solution. Il est impératif d’interdire l’achat d’actes sexuels et de lutter contre l’abolition du système prostitutionnel pour conforter la loi sur l’égalité réelle des femmes et des hommes que nous avons votée ici même.

« Au procès de mon mari proxénète, c’est moi qu’on a mise en accusation. » « On m’a jetée en prison et traitée comme une criminelle. » Mes chers collègues, ce sont ces paroles de prostituées que nous ne pouvons plus entendre. Redonnons à cette proposition de loi toute la portée qu’elle avait à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale.

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