Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 11 décembre 2012 à 15h00
Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d'aide au séjour irrégulier — Présentation

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Cette évolution a placé l'ensemble des services de police et de gendarmerie et des préfectures dans un cadre d'intervention très fragilisé. Ils ne disposent plus que du délai, très contraint, de quatre heures prévu dans le cadre de la procédure de vérification d'identité pour établir la situation de la personne interpellée au regard du droit de séjour. Ce cadre juridique n'est pas adapté à la complexité des interventions à réaliser pour procéder à l'éloignement d'un étranger.

La décision d'éloigner un étranger est, en effet, une décision lourde, qui doit être pleinement motivée. Elle requiert une action coordonnée entre les forces de l'ordre et l'autorité préfectorale, qui doivent, dans un temps restreint, procéder à de multiples vérifications et répondre à un certain nombre de demandes bien précises.

Toute procédure, je veux le rappeler, commence par un contrôle d'identité ou par une vérification du titre de séjour de l'étranger. Il convient d'ailleurs – j'y reviendrai – que cette mesure de police ne soit pas assimilée à un contrôle effectué en fonction de l'apparence physique de l'étranger. À l'issue de ce contrôle, si la personne n'est pas en mesure de justifier son droit au séjour, elle est conduite vers le local de police. Là, il faut prévoir un temps afin de l'informer sur ses droits. Commence ensuite la phase de dialogue. Débute également l'investigation menée par l'officier de police judiciaire. Il peut s'agir, notamment, de consulter les différents fichiers. Au terme de cet examen, les services de police doivent coordonner leur action avec les services des préfectures afin de déterminer et motiver les mesures qui s'imposent.

C'est une évidence : on ne peut respecter les droits de l'étranger et procéder à un traitement équitable qu'à la condition de bénéficier d'un temps de retenue suffisant, permettant de procéder à un examen approfondi. C'est ce constat qui a amené le Gouvernement à proposer la création, dans le code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un nouveau cadre juridique pour vérification du droit au séjour. Il prévoit une retenue d'une durée maximale de seize heures, sous le contrôle continu de l'autorité judiciaire.

Cette durée constitue d'ailleurs, je veux le souligner, une durée maximale et les services de police n'ont, bien entendu, aucun intérêt à prolonger une retenue à partir du moment où les vérifications nécessaires ont été accomplies. D'autre part, cette durée est décomptée dès le contrôle d'identité. Par conséquent, si au terme d'une vérification d'identité de quatre heures, l'étranger est placé en retenue, ces quatre heures s'y imputent. Il en va de même si, au terme de la retenue, l'étranger est placé en garde à vue.

Cette durée de seize heures correspond d'ailleurs aux préconisations de l'ensemble de ceux qui travaillent dans ce domaine, à commencer par les forces de l'ordre et, évidemment, les préfets.

Cette durée est, bien sûr, un temps de privation de liberté – mais proportionné aux objectifs poursuivis. Cette retenue de seize heures constitue un progrès évident par rapport au cadre juridique appliqué auparavant, dans lequel une garde à vue de vingt-quatre heures renouvelable tendait à devenir la norme. Elle est, bien sûr, compatible avec nos engagements constitutionnels et conventionnels et permet de concilier l'efficacité administrative et la garantie des droits de l'individu.

Avoir une vision apaisée de l'immigration, c'est aussi gommer ce qui, dans notre droit, peut apparaître comme disproportionné, excessif, contraire à notre idéal de solidarité. Apporter assistance et soutien, de manière désintéressée, à une personne en situation irrégulière sur notre territoire ne saurait être puni. Car ce n'est simplement pas cela la République. Ce n'est pas cela la France.

Ce projet de loi vise donc, dans son article 8, à abroger ce qu'on a appelé le délit de solidarité. Un délit dénoncé depuis longtemps, à raison, par les associations, qui revenait à mettre sur un même plan pénal ceux qui aident de bonne foi et ceux qui, sans foi ni loi, exploitent la misère des hommes.

Le Gouvernement a fait de la lutte contre les filières d'immigration clandestine et contre le travail illégal une priorité. Il était nécessaire, cohérent, de lever toute incompréhension. Quand une personne est face à l'épreuve, à la difficulté, il est normal, humain, de lui venir en aide. Il convient, par conséquent, de protéger les associations, les particuliers, les élus parfois qui, partout sur le territoire, sans considération de la nationalité, de la situation administrative des personnes, apportent une aide à l'hébergement, une aide alimentaire, des soins médicaux, des conseils juridiques pour préserver les droits et la dignité des étrangers.

Le texte soumis à votre examen est un élément au service d'une vision d'ensemble. C'est un texte d'équilibre entre la nécessité d'assurer l'effectivité des procédures d'éloignement et le respect des libertés fondamentales et du droit communautaire.

La retenue qu'il prévoit est entourée de garanties très fortes pour l'étranger. Elle s'effectue sous le contrôle du procureur de la République, garant du bon déroulement de la procédure – à laquelle il peut mettre fin à tout moment. L'étranger y bénéficie de droits étendus : droit à un avocat, droit à un interprète, droit de prévenir à tout moment une personne de son choix. L'étranger retenu pourra également, à sa demande, être examiné par un médecin. Les mesures de contrainte sont strictement limitées et proportionnées à la sécurité des personnes et aux nécessités de l'enquête.

Ce texte comporte d'autres dispositions essentielles sur lesquelles je souhaite insister.

Le Gouvernement a souhaité, par le biais d'un amendement adopté par le Sénat, qu'y figure la jurisprudence de la Cour de cassation visant à encadrer les contrôles des titres de séjour et à éviter qu'ils ne soient assimilés à des contrôles « au faciès ». La vérification des titres doit reposer sur des éléments objectifs et extérieurs à la personne même de l'intéressé. Si cette disposition ne bouleverse pas le droit positif, puisqu'il s'agit de codifier une jurisprudence existante, elle constitue un signal attendu qui fera oeuvre de pédagogie pour chacun.

Le projet de loi met fin également au délit de séjour irrégulier, conformément à nos engagements européens. Toutefois, afin de respecter les prescriptions de la Cour de justice de l'Union européenne, un délit de maintien irrégulier sur le territoire est prévu. Il ne concernera que les étrangers qui se sont maintenus sur le territoire alors que l'administration avait mis en oeuvre l'ensemble des mesures permettant leur éloignement et les avait notamment placés en rétention ou assignés à résidence. Très résiduelle, cette nouvelle incrimination constituera un élément utile de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Adopté en première lecture par le Sénat, à une très large majorité, par le groupe socialiste mais aussi les groupes RDSE, de l'UDI et de l'UMP, ce texte a été amélioré par les travaux accomplis par votre commission des lois, dont je veux souligner la pertinence. Je tiens à saluer tout particulièrement le travail remarquable mené par votre rapporteur, Yann Galut, qui a veillé, de manière très attentive et pragmatique, à ce que ce texte comprenne de nouvelles garanties sans que cela nuise à son équilibre originel.

Ainsi, conformément à une demande de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la commission des lois a souhaité que la personne retenue soit en mesure de prendre les dispositions nécessaires à la garde de son enfant pendant le temps de la retenue. Cette garantie supplémentaire était utile. Ceci ne dispense naturellement pas les forces de l'ordre de saisir le procureur de la République dès lors qu'une situation de garde d'enfants ne pourrait être rapidement résolue. Ce dernier point pourra faire l'objet d'une clarification si vous l'estimez nécessaire.

La commission des lois a également, et je crois que c'était indispensable, précisé les conditions dans lesquelles la personne retenue devait être placée à la disposition des services de police. Enfin, elle a accepté un amendement du Gouvernement visant à clarifier le délit de maintien sur le territoire. Là aussi, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ce délit de maintien irrégulier me semble, aujourd'hui, mieux encadré, plus clair et plus précis.

Je serais incomplet si je n'ajoutais que les travaux de la commission ont permis de clarifier l'ensemble des activités humanitaires ou de soutien désintéressé aux étrangers en situation irrégulière. Je sais sur ce point ce que nous devons, pour cette législature comme pour la précédente, aux travaux de Daniel Goldberg, député de la Seine-Saint-Denis, qui, depuis longtemps, agit pour la suppression du délit de solidarité. Sa réflexion sur le sujet a été très précieuse.(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

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