Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités, pour la troisième fois au cours de cette législature, à examiner un projet de loi visant à transposer des textes européens dans notre législation pénale.
Comme l’a indiqué notre collègue sénateur et rapporteur François Zocchetto, on ne peut que regretter l’inscription tardive de ce texte à l’ordre du jour, alors même qu’il avait été déposé au Sénat dès le mois d’avril 2014. Cette situation nous oblige, une fois encore, à examiner un projet de loi de transposition dans une certaine précipitation.
Nous sommes en effet sous la menace d’actions en manquement engagées devant la Cour de justice de l’Union européenne par la Commission européenne. Ces textes européens auraient dû être transposés depuis longtemps dans notre droit, avant 2011 pour certains, avant 2012 pour d’autres, et avant décembre 2013 s’agissant de la directive.
Souvenons-nous qu’il y a un an, lors de l’examen du projet de loi relatif au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, cette même urgence nous avait contraints à légiférer dans la précipitation.
Malgré une amélioration dans la transposition des textes européens, le nombre de procédures d’infractions qui touchent la France demeure élevé. En la matière, des progrès sont encore à faire.
Quoi qu’il en soit, en transposant en droit interne trois décisions-cadres et une directive, le présent projet de loi constitue une étape indispensable si l’on veut construire un véritable espace européen et mettre notre législation pénale en conformité avec nos engagements européens. En faisant en sorte que les mêmes règles de procédure s’appliquent aux nationaux des différents États de l’Union, il contribuera à construire un espace juridique pénal européen et donnera une consistance à la construction européenne.
Les dispositifs que transpose le projet de loi visent à donner corps à l’espace judiciaire européen en améliorant la coordination entre les magistrats des différents États membres et en étendant le champ des décisions des procédures pénales susceptibles d’être exécutées dans un autre État que dans celui qui les a prononcées. Ces objectifs sont tout à fait louables. Cependant, l’enjeu d’un tel texte est aussi de procéder à une transposition suffisamment fidèle au droit européen, tout en l’adaptant à notre droit national et sans céder à la tentation de la « surtransposition ». Si le Sénat y était parvenu, nous regrettons que notre commission des lois ait apporté, sur proposition du rapporteur, des modifications substantielles. Prenons garde à ne pas, sous prétexte de transposition, introduire dans le texte des dispositions sans rapport avec le sujet.
L’article 1er transpose une décision-cadre dont l’objectif est de limiter les situations dans lesquelles deux procédures pénales parallèles, portant sur les mêmes faits et mettant en cause les mêmes personnes, seraient conduites indépendamment dans deux États différents. Une telle disposition paraît nécessaire car il n’existe pas, au sein de l’Union européenne, de mécanismes de dessaisissement d’une autorité judiciaire d’un État membre au profit de celle d’un autre État membre. Certaines affaires ont ainsi révélé qu’il pouvait y avoir des confusions lorsque deux juridictions dans deux pays s’intéressaient au même dossier. Il s’agit donc d’apporter une réponse, à l’échelle européenne, à une question qui est résolue, dans notre système judiciaire national, par le mécanisme du dessaisissement d’un juge au profit d’un autre. Le ressort de la procédure proposée est l’échange d’informations, dont on espère qu’il conduira l’un des magistrats enquêteurs à suspendre ses investigations dans l’attente des conclusions de son homologue européen.
Alors que le Gouvernement avait fait le choix d’une transposition a minima, le Sénat a enrichi ces dispositions, d’une part en distinguant mieux les deux phases de la procédure, d’autre part en prévoyant une obligation d’informer les parties de la décision de suspendre les investigations.
Les articles 2 et 3 renforcent la coordination entre les magistrats des différents États membres de l’Union. Ils étendent ainsi le champ des décisions pénales susceptibles d’être exécutées dans un autre État que celui qui les a initialement prononcées.
Le Gouvernement a fait adopter au Sénat deux articles supplémentaires, les articles 4 bis et 4 ter, afin de procéder à la transposition de deux autres directives dont le délai de transposition arrivait à échéance en 2015. La première définit la procédure de reconnaissance, au sein de l’Union européenne, de la décision de protection européenne dont peut bénéficier une victime. La seconde a pour objet d’établir des normes minimales, dans le droit de chaque État membre, pour la protection des victimes d’infractions pénales. Ajouter ainsi deux dispositions supplémentaires nous semble, sur la forme, contestable ; toutefois, il est vrai qu’il s’agit d’améliorer le droit des victimes.
Le Sénat a également introduit les articles 5 bis et 5 ter afin de garantir une sécurité maximale aux procédures judiciaires en cours. Il s’agit d’apporter quelques corrections à deux dispositions du code de procédure pénale rendues nécessaires, l’une par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, rendant impossible le recours à la garde à vue de quatre-vingt-seize heures en matière d’escroquerie en bande organisée et, l’autre, par le nouveau dispositif de la contrainte pénale.
S’agissant de l’article 6 qui allongeait la durée de titre de séjour délivré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et à étendre aux parents des mineurs non mariés bénéficiaires de cette protection le droit à la délivrance d’un titre de séjour, il ne présentait aucun lien avec les autres dispositions du projet de loi.
En effet, il transposait la directive du 13 décembre 2011 sur l’asile. Notre commission des lois a opportunément supprimé cet article dont les dispositions figurent désormais dans le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, en cours d’examen.
Enfin, pas moins de douze nouveaux articles ont été introduits en commission des lois, à l’initiative de M. le rapporteur. Certains portent sur des sujets aussi divers que l’accomplissement d’un stage de citoyenneté, la conversion des peines d’emprisonnement en sursis avec mise à l’épreuve ou en contrainte pénale ou encore l’allongement du délai d’examen des requêtes en dessaisissement d’un parquet.
Monsieur le rapporteur, vous avez d’ailleurs vous-même reconnu en commission utiliser ce véhicule législatif pour introduire des réformes qui dépassent de loin la simple transposition des directives qui sont l’objet de nos débats d’aujourd’hui. Au groupe de l’Union des démocrates et indépendants, nous regrettons un tel procédé.
Même s’il s’agit d’un texte nécessaire au regard de nos engagements européens et utile pour renforcer l’entraide judiciaire européenne, compte tenu des articles ajoutés ainsi par la commission, notre groupe choisira de s’abstenir.