Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 6 juillet 2015 à 16h00
Règlement du budget et approbation des comptes 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, voici venu le moment de l’analyse politique de la loi de finances pour 2014 au regard de l’exécution du budget qui nous est présentée par le Gouvernement.

Celle-ci se caractérise tout à la fois par des engagements tenus et un excès d’optimisme, partagé, au-delà du Gouvernement, par de nombreux analystes financiers. Cela ne serait pas grave s’il ne s’agissait que de quelques exercices budgétaires. Le problème est que cet optimisme sévit depuis trente-cinq ans et qu’il est en grande partie responsable des déséquilibres auxquels nous devons faire face. J’observe cependant qu’il se tempère au fil des ans, au moins depuis 2012 – année depuis laquelle je siège dans cet hémicycle.

Ces deux caractéristiques se vérifient à la lumière des chiffres les plus marquants des comptes du budget 2014.

S’agissant du respect des engagements, l’évolution de la dépense publique a été conforme aux annonces faites en loi de finances, soit 0,9 %.

Pour ce qui est de l’excès d’optimisme, une fois encore, la prévision de croissance a été bien au-dessus de la réalité. La conséquence immédiate aura été une moindre recette fiscale, à hauteur de 9,7 milliards d’euros, ce qui pèse bien entendu sur la trajectoire de réduction des déficits publics.

Encore faudrait-il être en mesure d’indiquer la part de moindres recettes liées à la faible croissance et celle qui pourrait être due à d’autres mécanismes, telle la modification du comportement des agents économiques pour éviter l’impôt. Sur ce point, je rejoins la question régulièrement posée par le président de la commission des finances, Gilles Carrez. J’y reviendrai ultérieurement.

Bref, avec des recettes moindres, la réduction des déficits ne peut pas être au niveau attendu. À cet égard, il n’est pas inutile de mettre en regard ce manque à gagner fiscal de 9,7 milliards d’euros avec les dépenses fiscales votées en loi de finances. Je pense en particulier au CICE, à l’origine d’une perte de 6,5 milliards d’euros, et à l’allégement fiscal pour 1,3 milliard d’euros pour les ménages les plus modestes. Nous sommes à peu près dans les mêmes valeurs : 8 milliards d’un côté, 9,7 milliards de l’autre.

Alors que la prévision de déficit était de 3,6 % en loi de finances initiale, ce taux a été constamment revu à la hausse au fur et à mesure que la situation économique ne se redressait pas pour culminer dans les estimations à 4,4 %. Ce qui aurait constitué un très mauvais signal en comparaison du déficit de 2013, arrêté à 4,1 %. Heureusement, quelques ajustements budgétaires et un léger redémarrage de l’activité fin 2014 auront permis de passer juste en dessous de la barre des 4,1 % pour terminer à 4 % : bref, pour sauver la face.

Cela dit, il faut bien prendre en considération que les avantages fiscaux consentis aux agents économiques – 6,5 milliards d’euros aux entreprises au titre du CICE en dépenses nettes et 1,3 milliard d’euros aux ménages par le biais du pacte de solidarité –, tout en marquant une totale rupture avec la logique fiscale qui avait prévalu depuis les années 2010, ont privé l’État d’une recette équivalente aux moindres rentrées fiscales. Autrement dit, sans les baisses d’impôts – certes prises en compte en loi de finances initiale, mais uniquement pour le CICE –, le déficit serait, pour la loi de règlement 2014, très proche des 3,6 % attendus.

À l’inverse, les recettes liées à la lutte contre l’évasion fiscale des particuliers résultant de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière sont venues compenser pour partie ces dépenses fiscales, ce qui permet au passage de souligner la réussite de cette politique qui aura précisément permis, dès 2014, de financer la totalité de la baisse d’impôt – 1,9 milliard d’euros de recettes s’agissant de la lutte contre la fraude fiscale, 1,3 milliard d’euros s’agissant des ménages – pour 4,2 millions de ménages modestes par la réintégration dans l’assiette fiscale de revenus détournés par les personnes les plus argentées.

Finalement, si 2014 marque une sorte de pause dans la réduction des déficits budgétaires, c’est avant tout le résultat d’un choix politique consistant à ne pas peser trop fortement sur l’activité économique. Mais il faut insister sur le fait que cette pause aura été le résultat non d’un relâchement dans l’objectif d’économies des dépenses publiques, mais d’un soutien aux entreprises et aux ménages.

Seule cette stratégie pouvait recueillir l’assentiment de l’Union européenne et permettre de repousser à 2017 l’objectif des 3 %. Il faut d’ailleurs expliquer à cette occasion, puisque l’on fait souvent le reproche au Président de la République et au Gouvernement de ne pas avoir renégocié le pacte de stabilité, que cela a néanmoins été réalisé – certes sournoisement –, puisque l’échéance de 2013 pour les 3 % a d’abord été repoussée à 2015, puis à 2017. Mais il ne faut pas le dire trop fort !

L’orthodoxie budgétaire de l’Union européenne aura donc conduit à biaiser pour ne surtout pas faiblir sur la trajectoire de baisse des dépenses publiques, quitte à lâcher du lest sur les recettes fiscales. L’optimisme en matière de recettes et de croissance a contribué à préparer cet ajustement s’agissant de l’inflexion de la trajectoire de la baisse des déficits publics.

Le Gouvernement aura tenu bon sur ses objectifs de baisse de dépenses même si le ralentissement économique et la baisse de l’inflation l’auront aidé. C’est le revers positif de la médaille qui, sur l’autre face, réduit les rentrées fiscales.

Pour autant, la baisse des dépenses publiques peut avoir un effet récessif sur l’activité et sur l’emploi. Il n’est pas certain que ce risque soit bien mesuré – sans doute pas par la droite parlementaire, qui propose constamment d’amplifier les baisses de dépenses, à un niveau deux fois supérieur au processus en cours. Ce serait une folie absolue et le résultat d’un dogme qui consiste à penser que l’emploi privé est systématiquement source de richesse quand l’emploi public ne serait qu’une charge.

Si l’on tente de mesurer l’impact direct des politiques publiques sur l’emploi, on observe un coût pour la collectivité des emplois aidés de 10 000 à 15 000 euros par an – emplois d’avenir, contrats de génération – et un coût se situant entre 70 000 à 100 000 euros pour l’emploi privé – CICE et autres dispositifs, tout en sachant que, pour les premiers, l’effet est précis et immédiat, alors que, pour les seconds, il est décalé et incertain.

Il ne s’agit pas dans mon propos de caricaturer tel ou tel dispositif, mais d’approcher le sujet avec le plus d’objectivité possible, sachant que ces chiffres doivent sans doute être modulés. A contrario, on ne connaît pas avec suffisamment de précision le coût en emplois de la baisse de la dépense publique. Monsieur le secrétaire d’État, il serait utile que la représentation nationale et peut-être même le Gouvernement puissent être mieux éclairés sur ce point.

Concernant la croissance – et je veux terminer sur ce point essentiel –, elle est toujours plus faible que prévu et qu’annoncé depuis trente-cinq ans. Elle conduit d’année en année à reproduire les mêmes déséquilibres budgétaires. En 2014, on constate 9,7 milliards d’euros de moindres recettes fiscales pour une moindre croissance de 0,7 % – 0,2 % au lieu de 0,9 %. En 2013, c’était environ 15 milliards d’euros de manque à gagner pour un déficit de croissance de 0,5 %, avec une croissance annoncée à 0,8 % et une croissance constatée à 0,3 %.

L’on pourrait constater le phénomène inverse en 2015, puisque la croissance sera sans doute un peu supérieure à ce qui a été annoncé et il sera alors particulièrement intéressant d’observer et surtout d’analyser la réalité des recettes fiscales au regard des prévisions. Dès lors, nous pourrons apporter un début de réponse à la question régulièrement posée par Gilles Carrez et que, pour ma part, je relaie aussi, qui est de savoir si, en dépit d’une croissance plus élevée, nous continuons à avoir des pertes fiscales par rapport à ce qui a été annoncé. Je parie que tel ne sera pas le cas. L’option avancée par Gilles Carrez ne représente sans doute qu’une petite partie de l’explication de ces moindres recettes fiscales.

Cette embellie – modeste – de la croissance nous fera du bien, surtout à l’emploi, mais nous devons rester lucides et ne pas retomber dans les travers habituels d’un optimisme systématiquement « douché » et démobilisateur quand vient le moment des bilans. En effet, nombre d’observateurs avisés nous prédisent une croissance de long terme plutôt molle, autour de 1 %, et il ne faudrait pas que le rebond de 2015-2016 nous conduise à une nouvelle illusion. Au demeurant, ces prévisions doivent nous conduire à relativiser et à repenser les notions de déficits structurel et conjoncturel. Comme je le dis souvent, quand le structurel devient conjoncturel, il y a un problème.

L’enjeu est bien de construire une société de l’activité et de l’emploi avec une croissance faible, sur la base de nouveaux indicateurs de richesse qui prennent réellement en compte le développement durable et les formes émergentes de l’économie.

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