Le peuple grec a donné une leçon à cette caste de financiers qui n’ont que le niveau du CAC 40 ou de la bourse de Francfort comme horizons.
Le peuple grec a dit non à des mesures qui ont fait tant de mal, avec des droits humains bafoués, des salaires et pensions des couches moyennes ou modestes rabotés de 25 % à 50 %, un accès aux soins mis en cause et des riches toujours plus riches.
Le peuple grec a dit non, car il est insupportable de voir M. Juncker, qui a organisé la fraude et l’évasion fiscales lorsqu’il était Premier ministre au Luxembourg, jouer les pères-la-vertu. Il est aussi insupportable de voir M. Draghi et la BCE se montrer inflexibles, alors même que l’actuel président de la BCE était responsable de Goldman Sachs en 2006 et a contribué à falsifier les comptes de l’État grec pour favoriser son entrée dans l’euro. Il est, enfin, encore plus insupportable de voir Mme Lagarde aussi intransigeante pour 1,6 milliard d’euros dus au FMI, alors qu’elle était si conciliante avec Bernard Tapie quand elle était ministre de M. Sarkozy.
Pourtant, la question de la dette grecque, comme celle du financement de son économie, n’est pas une question d’argent, mais une question politique.
Les Grecs ont fait confiance à un gouvernement et à un Premier ministre qui proposent d’emprunter un chemin différent de celui des libéraux, qu’ils soient conservateurs ou sociaux-libéraux : voilà qui fait désordre et risquerait de mettre à mal le petit monde de l’entre-soi maastrichtien et les fameux 3 % de déficit budgétaire.
Pourtant, depuis trente ans que la contre-révolution des libéraux est en route, qu’avons-nous en Europe ? Un chômage de masse endémique, avec un pic de plus de 5 millions de chômeurs en France qui marque l’échec de l’orientation actuelle, laquelle s’inscrit malheureusement dans la ligne de l’orientation précédente. Des inégalités qui ne cessent de se creuser partout en Europe, avec un taux de pauvreté inégalé en Allemagne, mais avec aussi des riches de plus en plus riches, comme le prouvent par exemple les études de M. Piketty. Une guerre économique destructrice, mortifère, avec un système de politiques à court terme qui crée des divisions entre les peuples et à l’intérieur des peuples, faisant peser un risque politique majeur sur le projet commun. Des dettes souveraines, enfin, qui ont explosé sous l’effet des pressions exercées par les plus fortunés pour diminuer leur contribution et de l’addiction aux marchés financiers.
Dans le même temps où la dette française a été multipliée par huit en trente ans, le patrimoine des 1 % les plus riches a été multiplié par dix, les deux chiffres s’établissant à un peu plus de 2 000 milliards d’euros. C’est éclairant !
Voilà les résultats des doctrines et des dogmes hérités de la révolution conservatrice de M. Reagan et de Mme Thatcher, qui ont mené à la déroute et continuent de conduire l’Europe dans le mur – mais la plupart des dirigeants européens s’y cramponnent, persuadés que ce n’est pas la doctrine qui a tort, mais la réalité qui se trompe.
La gouvernance par les traités alimente l’illusion d’une technicisation des choix politiques et explique sans doute pour une large part l’incompréhensible alignement des sociaux-démocrates, à l’échelle de l’Europe, sur la droite déflationniste et ultralibérale.
En France comme ailleurs en Europe, les politiques budgétaires restrictives n’ont pas produit les effets attendus : nombre de nos concitoyens ont vu leurs impôts augmenter, les prestations dont ils bénéficient diminuer, les salaires stagner. Rien n’a été fait pour les inciter à consommer et investir.
Dès lors, les entreprises restent, elles aussi, prudentes, malgré les cadeaux fiscaux qui s’accumulent avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et le pacte dit improprement « de responsabilité ». Les entreprises n’utilisent toujours pas ces cadeaux fiscaux pour investir et embaucher, mais pour baisser leurs prix ou, pour les plus grandes d’entre elles, rémunérer leurs actionnaires. Il faudra y revenir, car les 15 milliards d’euros qu’il reste à restituer pourraient servir enfin à conforter la demande, et non l’offre – j’ai cru lire cela dans certain programme politique.
La baisse des dépenses publiques et sociales accentue, de son côté, la stagnation. Toute reprise durable est aujourd’hui tuée dans l’oeuf. Il ne s’agit pas de pinailler sur les calculs de la Cour des comptes, sur l’opportunité d’intégrer ou de ne pas intégrer les programmes d’investissement d’avenir dans les déficits ou sur la question de savoir si le déficit supplémentaire pour l’État sera de 10,7 milliards ou de 5 milliard d’euros, compte non tenu des collectivités locales, dont l’endettement baisse parce que leur investissement s’assèche.
Au-delà des déficits, la dette continue de s’accroître et les recettes fiscales s’effondrent, car on tend à éteindre l’impôt sur les sociétés au moyen du CICE. En fait, c’est : « ceinture » pour les salariés, les retraités et les chômeurs, et « open bar » pour les milliardaires !
Il est un chiffre qui ne figure ni dans le rapport de la Cour des comptes ni dans le rapport parlementaire : c’est le nombre de milliardaires en euros que l’on trouve en France, passé de 45 en 2013 à 55 en 2014. Quant au patrimoine des cent plus grandes fortunes en France, il a atteint 320 milliards d’euros : le niveau de la dette grecque – comme c’est bizarre !
Les piètres résultats enregistrés sont emblématiques de la déshérence des politiques économiques et budgétaires à l’heure de l’austérité européenne. Notre politique budgétaire est ainsi contre-productive à la fois économiquement – on le voit avec l’explosion des chiffres du chômage et la croissance durablement anémique – et au regard de l’objectif principal qu’elle affiche. En réalité, elle empêche le désendettement public qu’elle est censée favoriser.
Cela n’empêche ni la Cour des comptes ni la Commission européenne de réclamer plus d’efforts et de continuer à promouvoir une diminution drastique des dépenses publiques et sociales.
Ce sont nos médecins de Molière modernes, si friands de saignées.
Face à cet échec, et en réponse aux exigences de la Commission européenne, qui exige des réductions de dépenses publiques et sociales, notamment dans le secteur de la Sécurité sociale et des collectivités locales, le chemin emprunté par le Gouvernement est malheureusement celui d’une austérité renforcée. Cela s’est traduit par l’annonce de 50 milliards d’économies d’ici à 2017. Et l’on nous promet plus de larmes encore, en accroissant l’assèchement des comptes sociaux et le dépeçage des collectivités locales.
Pourtant, la baisse des dotations de l’État est en train de faire des ravages dans certains territoires : fermetures d’équipements publics, restriction de l’accès à la culture et de sa diffusion, ou encore effondrement de l’investissement public local de près de 10 %, selon les données de la Cour des comptes. Ces évolutions auront des conséquences très négatives sur l’emploi dans le BTP et sur la cohésion sociale – qui plus est dans les territoires où le capital privé investit peu, comme c’est le cas dans les zones hors métropoles.
Monsieur le secrétaire d’État, les comptes du budget 2014 que vous nous présentez ne peuvent être lus et compris qu’à l’aune de ce qui s’est passé en Grèce, mais aussi de ce qui ne manquera pas de se produire en Espagne très bientôt.
La gauche européenne a aujourd’hui une grande responsabilité. Il faut cesser la course à l’échalote libérale à laquelle se livrent les sociaux-libéraux et les conservateurs : elle conduit aux pires régressions sociales.
Nous n’attendons rien d’une droite revancharde et d’une extrême droite haineuse qui, pour l’une, veut en finir avec notre modèle socio-économique, et pour l’autre, se complaît dans la division et la haine, qui sont le carburant de leur progression.
Monsieur le secrétaire d’État, la renégociation du traité de stabilité, de coordination et de gouvernance, qui n’a pas été engagée par le Président Hollande, fait cruellement défaut.
Il existe pourtant une fenêtre pour remettre en place une vraie Europe solidaire, redéfinir ses objectifs, réorienter la monnaie, permettre un véritable plan d’investissement vers la transition écologique, lancer le chantier de l’harmonisation fiscale, briser le scandale de l’évasion et de la fraude fiscales organisées par l’oligarchie financière, qui pèsent tant sur les budgets publics, entendre les peuples européens qui, du « non » français au TCE il y a dix ans, au « non » grec d’hier, n’en peuvent plus de cette Europe des financiers.
La social-démocratie européenne ne peut pas se contenter des déclarations de M. Dijsselbloem, ministre social-démocrate des finances néerlandais, inflexible partisan de l’austérité, ou de M. Schulz, président du Parlement européen, membre du SPD allemand, qui s’est prononcé pour la nomination d’un gouvernement de technocrates à la tête de la Grèce – on croit rêver !
Monsieur le secrétaire d’État, la France doit offrir une autre voie, celle de la contestation de la domination de la finance, pas seulement dans les mots, mais dans les actes. Il nous faut désormais avoir le courage de dire non au coup d’État financier permanent orchestré par les institutions telles que la BCE, le FMI ou la Commission européenne.
La dette est une chose trop importante pour qu’on la laisse aux seuls banquiers et financiers. C’est pourquoi nous vous invitons, comme nous l’avons fait il y a quelques semaines, à tout mettre en oeuvre pour que la France prenne l’initiative d’une grande conférence européenne sur la dette, réunissant gouvernements, associations, citoyens et parlementaires, afin de sortir de cette spirale, restructurer la dette en en effaçant une part et remettre l’Europe sur le seul chemin de l’espoir, celui de la démocratie, de la solidarité et de l’écologie !
Dans le même esprit, nous jugeons indispensable que le Parlement puisse débattre dans les prochains jours de l’avenir de l’Europe, à la lumière du vote grec de dimanche.
Dans la période qui vient, vous pourrez compter sur la détermination des députés Front de gauche. Nous ne nous résignerons jamais à voir le projet européen devenir la propriété d’une oligarchie financière, qui s’en sert allègrement, au risque de jeter les peuples les uns contre les autres.
Oui, monsieur le secrétaire d’État, en ces moments de crise, la France doit être à la hauteur, pour choisir le seul chemin qui vaille, celui de la solidarité, de la paix, de la coopération ; celui de l’humain, qui passe avant les marchés financiers.