Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, voici plus de dix ans que la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a vu le jour. Cette loi indispensable, très attendue par les personnes handicapées, leurs familles et les associations, a suscité beaucoup d’espoir après des années de combat. En consacrant la notion d’accessibilité universelle, la loi du 11 février 2005 dite « loi handicap » a posé les fondements d’un changement d’état d’esprit dans notre société. Il s’agit de traiter l’accessibilité globalement, non seulement physique mais aussi à la vie en société dans son ensemble. Si les personnes handicapées, quel que soit leur handicap, sont les plus concernées par ce sujet, toute personne confrontée un jour ou l’autre à des difficultés de déplacement, de manière temporaire ou durable, l’est aussi. En outre, au regard du vieillissement de la population, l’enjeu est considérable.
L’accessibilité ne doit donc pas être perçue comme une contrainte. Elle fait partie des éléments de fonctionnement d’une société inclusive laissant une place à chacun, attentive aux plus fragiles, prenant en compte leurs contraintes et considérant que leur différence est un apport pour toute la société et que nous sommes tous riches de cette différence. Malheureusement, dix ans après avoir été votée, force est de constater que la loi du 11 février 2005 n’a pas donné lieu aux avancées qu’elle laissait espérer ni bénéficié des moyens nécessaires à sa mise en oeuvre, ce qu’on ne peut que regretter. De nombreux bâtiments publics ou privés recevant du public ne sont pas encore accessibles. De nombreux moyens de transport ne le sont pas davantage. Les voiries sont encore trop souvent dangereuses et l’accessibilité à la vie sociale et professionnelle, ou à l’éducation pour les plus jeunes, améliorable.
Comme l’ont montré nos débats, des avancées ont été réalisées par certaines collectivités ou par des enseignes bien souvent précurseurs au cours des dernières années. Je ne voudrais surtout pas que mes propos les découragent mais au contraire les encouragent à poursuivre. Pourtant, la semaine dernière encore, j’ai entendu un maire déclarer : « Monsieur le préfet, vous nous condamnez à l’accessibilité ! ». Immédiatement, M. le préfet a réagi avec détermination mais cet exemple montre incontestablement qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Les travaux de notre collègue Claire-Lise Campion, à laquelle beaucoup d’entre vous ont rendu un hommage légitime, ont montré que seulement 15 % des travaux nécessaires étaient réalisés en 2012, soit trois ans avant l’échéance, en dépit de la dynamique engagée et des efforts consentis par certains maîtres d’ouvrage.
Le rapport intitulé « Réussir 2015 » qu’elle a remis en mars 2013 au Premier ministre Jean-Marc Ayrault a été suivi d’une large concertation dont sont issues des préconisations, en particulier les agendas d’accessibilité programmée permettant aux maîtres d’ouvrage de s’engager sur un échéancier de travaux et sur un calendrier de financement précis et l’adaptation des normes existantes dont certaines se sont révélées trop rigides ou trop peu pragmatiques et donc inopérantes. Bien évidemment, il n’était pas envisageable de renoncer au principe de la loi du 11 février 2005 mais il ne l’était pas davantage, comme l’a très bien rappelé notre rapporteur, de prendre le risque de la multiplication des contentieux et des condamnations pénales des entreprises, commerces et collectivités territoriales n’ayant pas rempli leurs obligations au 1er janvier 2015.
Dans ce contexte, la loi habilitant le Gouvernement à élaborer des mesures législatives de mise en accessibilité des établissements recevant du public a été adoptée. Cette loi du 10 juillet 2014 est allée au-delà des préconisations issues de la concertation en rendant les Ad’AP obligatoires alors qu’il était envisagé qu’ils demeurent facultatifs. Je salue avec gratitude l’engagement de notre rapporteur Christophe Sirugue sur ce point. Les ordonnances ont vu le jour le 26 septembre 2014. Les Ad’AP doivent donc être déposés dans les préfectures au plus tard le 27 septembre prochain et les demandes de dérogation devaient être sollicitées avant le 27 juin dernier.
Les ordonnances ont suscité un vaste débat à propos des délais de mise en oeuvre. Notons le travail positif accompli par le Sénat visant à bien encadrer la prorogation du délai de dépôt. Fixé par l’ordonnance à trois ans, il a été ramené à douze mois en cas de difficulté technique liée à l’évaluation après programmation des travaux et à six mois si un premier projet d’Ad’AP a été rejeté. Un délai de trois ans est accordé en cas de difficultés financières. Seule une décision expresse et motivée du préfet peut l’allonger. En aucun cas le maître d’ouvrage ne peut décider de son propre chef sans garde-fous de prolonger les délais. Ne pas déposer un Ad’AP expose à des sanctions financières, administratives et pénales, tout comme son non-respect après son dépôt. Tous les établissements recevant du public demeurent soumis à l’obligation d’accessibilité. Il y a là selon moi des points très positifs. Je vous remercie par ailleurs, madame la secrétaire d’État, de la mise en place de l’outil d’auto-diagnostic.
Comme ma collègue Véronique Massoneau, j’appelle votre attention, chers collègues, sur les dérogations que les communes sont susceptibles d’obtenir. Certaines prétendent déjà être dans l’incapacité d’agir. Il existe pourtant des critères. Il faut donc missionner clairement les préfets afin qu’ils répondent dans des délais ne permettant pas d’invoquer la règle selon laquelle le silence vaut accord.
Le Sénat a également introduit des points négatifs dans le texte présenté par le Gouvernement mais notre commission a eu à coeur de revenir à un texte plus équilibré dans le respect de la loi d’habilitation inspirée de la large concertation de l’hiver 2013. Elle a aussi cherché à améliorer le texte initial du Gouvernement. En voici quelques exemples, sans exhaustive. Notre rapporteur a suggéré la suppression du dispositif voté par le Sénat appliquant aux organismes et sociétés de logements locatifs sociaux des dérogations particulières de mise en accessibilité lors de la construction de maisons individuelles vendues en l’état futur d’achèvement.
Le groupe RRDP a suggéré de remettre en vigueur la conformité de l’avis de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, ce qui est une très bonne chose. J’ai proposé une disposition, qui a été acceptée, interdisant aux autorités organisatrices de transports d’appliquer aux personnes handicapées un prix supérieur à celui appliqué aux autres voyageurs. Il s’agit là d’une question de principe et de justice. Pas de double peine ! Si l’on veut bien regarder les choses avec un peu de distance et ne pas se cacher derrière son petit doigt, ce n’est que justice ! La prise en charge par la collectivité de ces services est souvent dérisoire au regard des montants qu’elle consacre à la charge de l’AOT pour les autres usagers. Il me semble néanmoins que le débat est susceptible d’améliorer l’article 4 en limitant les motifs que les assemblées générales de copropriété peuvent invoquer pour refuser la mise en accessibilité des parties communes.
À l’heure où nous allons adopter le texte, je mesure l’attente des personnes touchées par un handicap et de leurs familles, en souhaitant que ce texte donne lieu rapidement à des avancées positives et directes. Je mesure aussi la détermination qu’elles exigeront des maîtres d’ouvrage. La démarche proposée est la seule susceptible d’aboutir à une avancée pragmatique et concrète sans rogner sur l’ambition initiale car elle seule nous permet d’avancer vers l’accessibilité universelle sans nier les difficultés et en proposant des solutions encadrées dans le temps et des moyens pour les lever. C’est la raison pour laquelle je vous invite, chers collègues, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, à vous inscrire dans la dynamique proposée par le Gouvernement et par notre rapporteur, en soulignant l’implication de l’un comme de l’autre pour arriver à un résultat et à des solutions équilibrés.
Certains doutent de la portée, dans la durée, du texte sur lequel nous devons nous prononcer. Beaucoup diront qu’il ne va pas assez loin, d’autres qu’il va trop loin. La grande difficulté était justement de parvenir à un consensus acceptable par tous afin de continuer d’avancer. Je crois que nous avons réussi. J’espère néanmoins que chacun se prononcera ici sans retirer quoi que ce soit des points positifs issus des débats du Sénat ou de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et en adoptant les quelques améliorations suggérées par les amendements supplémentaires proposés par les différents groupes visant à améliorer encore la qualité de vie des personnes handicapées, à leur donner plus d’autonomie et plus d’espoir dans leurs possibilités de réaliser leur projet de vie et à faire évoluer le regard de la société sur les personnes porteuses d’un handicap.