Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 26 septembre 2014 et la décision du Gouvernement de procéder par voie d’ordonnance découle d’une constatation, celle de l’impossibilité dans laquelle se trouvent les collectivités territoriales, les services de l’État, les entreprises, les professions libérales, les artisans et les commerçants de mettre en oeuvre au 1er janvier 2015 les dispositions de la loi du 11 février 2005, loi que l’actuelle majorité n’avait d’ailleurs pas voté à l’époque en prétendant qu’elle n’allait pas assez loin. J’ai la conviction, au contraire, qu’elle constitue une immense avancée et qu’elle a créé une véritable prise de conscience de l’impérative nécessité de reconnaître aux personnes handicapées tous leurs droits, ceux de tout citoyen, et de leur offrir toutes les capacités d’en jouir quel que soit leur handicap.
La loi de 2005 a donné lieu à d’immenses progrès, notamment l’intégration des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire et la création de nombreux postes d’auxiliaires de vie scolaire dont nous savons que les fonctions doivent encore être stabilisées et pérennisées. On lui doit également la création de nombreuses places d’accueil pour les personnes les plus lourdement handicapées. Néanmoins, de trop nombreuses personnes handicapées sont encore privées de solution d’accueil. Des efforts restent à faire sur tous les points. La loi de 2005 a aussi fait progresser l’aménagement de la voirie et du cadre bâti. Il faut souligner ici les efforts consentis par les élus locaux afin d’améliorer l’accessibilité. De nombreux diagnostics d’accessibilité comportant la définition d’un taux d’accessibilité et la description des moyens pour tendre vers une accessibilité optimale et d’importants travaux ont été réalisés par les élus locaux.
Néanmoins, la loi ayant été promulguée le 11 février 2005 et mise en oeuvre dans les collectivités à partir de 2007 ou 2008 par le recours à des cabinets spécialisés pour établir les diagnostics d’accessibilité et à des travaux gigantesques avec des moyens financiers de plus en plus restreints et des normes d’accessibilité souvent trop contraignantes, la date du 1er janvier 2015 prévue par la loi pour la mise en accessibilité complète de la voirie et du cadre bâti devenait impossible à respecter. En raison de ce constat, le Gouvernement propose un projet de loi procédant selon vos propres termes, madame la secrétaire d’État, d’« un équilibre faisant de l’accessibilité un processus réellement irréversible tout en évitant que des contraintes insupportables pèsent sur les collectivités territoriales et les acteurs du monde économique ».
Nous approuvons la recherche d’un tel équilibre grâce auquel sera poursuivie une politique d’accessibilité, mais sous une réserve. Un principe, selon nous, doit rester incontournable. Le principe édicté par la loi du 11 février 2005 permet à toutes les personnes en situation de handicap, quelle que soit la nature de leur handicap, mental, physique ou sensoriel, qu’il touche des enfants, des familles, des personnes âgées, des publics nouvellement arrivés sur notre territoire ou des personnes en situation d’illettrisme, d’accéder en toute autonomie à la cité quel que soit le lieu où ils se trouvent.
Toute entorse à ce principe aurait pour conséquence immédiate de décrédibiliser totalement la politique en faveur du handicap. Malheureusement, madame la secrétaire d’État, votre projet comporte de nombreuses entorses souvent inacceptables pour les personnes à mobilité réduite : j’y reviendrai dans quelques instants.
Pour pouvoir poursuivre leur politique en faveur de l’accessibilité, les acteurs ont besoin de temps. À ce sujet, la mise en place des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP, me paraissent de nature à répondre à cette double préoccupation de rendre publique la volonté des acteurs de parvenir à l’accessibilité tout en s’engageant dans la réalisation d’un programme sur trois, six ou neuf ans, en fonction de l’ampleur des travaux à réaliser.
Je partage également, monsieur le rapporteur, votre amendement, déposé et adopté en commission des affaires sociales, visant à revenir sur la décision du Sénat d’exclure du droit à la mise en accessibilité les points d’arrêt des transports pour les enfants scolarisés à temps partiel.
Je comprends tout à fait les difficultés financières que cela peut poser aux autorités organisatrices de transport ou aux départements, qui conservent, à ce jour encore, la charge du transport scolaire. Je ne vois cependant pas ce qui peut justifier une telle différence de traitement entre un enfant scolarisé à temps partiel et un enfant scolarisé à temps plein.
Les dispositions adoptées par le Sénat visant à revenir sur une partie des obligations de mise en accessibilité des logements par les bailleurs sociaux – pour les logements neufs dont ils se portent acquéreurs – me paraissent constituer un net recul du processus visant à l’accessibilité universelle. Si la commission des affaires sociales a également corrigé ce point, la limitation de l’obligation de réaliser des ascenseurs aux seuls immeubles neufs dits « R + 4 », c’est-à-dire aux immeubles de cinq étages, me parait très contestable.
Un autre point, dont Mme Laclais a parlé, emporte mon approbation : je partage son souci concernant les transports dédiés aux personnes handicapées, qui ne doivent pas faire l’objet, à l’intérieur d’un même plan de transport urbain, d’une tarification supérieure à tout autre réseau de transport.
Enfin, madame la secrétaire d’État, vous avez simplifié certaines normes d’accessibilité par voie réglementaire. À titre d’exemple, la loi de 2005 prévoyait que toutes les entrées des établissements publics soient accessibles à tous. S’il s’avère impossible de réaliser des travaux sur l’entrée principale compte tenu de leur coût excessif, vous leur donnez la possibilité d’une seconde entrée répondant à la condition d’accessibilité. Autre exemple significatif, dans les hôtels, plutôt que d’exiger qu’il soit possible de faire le tour du lit avec un fauteuil roulant, il suffira qu’un seul côté du lit offre la largeur nécessaire.
Je suis le premier à reconnaître que l’excessivité tue l’efficacité et que notre objectif doit rester l’accessibilité universelle.
Mais certains points de la loi ne manquent pas de m’inquiéter et soulèvent également les protestations des associations. Je pense principalement aux transports en commun.
La loi de 2005 prévoyait que la chaîne du déplacement devait être organisée pour permettre son accessibilité dans sa totalité. Or l’ordonnance du 26 septembre 2014 a supprimé les mots : « dans sa totalité ». Ce qui veut dire, et vous l’avez d’ailleurs très clairement indiqué, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que certains points d’arrêts ne seront pas aménagés aux normes d’accessibilité.
Comment seront définis ces points ? Est-ce en fonction de la fréquentation ? Une personne à mobilité réduite d’un secteur rural ou peu fréquenté aurait-elle moins de droits qu’une personne d’un secteur plus urbain ?
Ce point constitue pour nous une entorse grave au principe d’accessibilité universelle et un très mauvais signal adressé à l’ensemble des acteurs.
Je comprends la nécessité d’être pragmatique, comme les difficultés techniques et financières que cela engendre. Nous maintenons cependant que c’est un objectif vers lequel il nous faut tendre.
De même, j’entends bien les difficultés rencontrées par les petites communes, c’est-à-dire les communes de moins de 1 000 habitants, pour réaliser leur plan d’accessibilité. Elles ont besoin d’être aidées financièrement et techniquement mais l’absence d’obligation de mise en oeuvre d’un plan d’accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics ne doit pas les exonérer de leurs obligations dans ce domaine.
Enfin, et c’est un point crucial, les trop nombreuses dérogations envisagées dans le cadre de la mise en accessibilité du cadre bâti, notamment dans les copropriétés, nous laissent craindre une trop grande facilité à renoncer à la mise en accessibilité.
Je ne comprends toujours pas, madame la secrétaire d’État, malgré les réponses que vous nous avez apportées en commission, comment l’administration pourra faire face à l’accumulation des demandes de dérogation qui vont lui être adressées dans les semaines à venir.
À titre d’exemple, dans mon département, seuls une dizaine de dossiers ont été déposés à ce jour, alors que 40 000 sont attendus. Faute de pouvoir les traiter dans les délais impartis, nous redoutons l’absence de réponse de l’administration et donc l’approbation tacite de ces demandes de dérogation.
C’est là toute la faiblesse de votre projet et je crains, malheureusement, que toutes les dispositions n’aient pas été prises pour éviter cela.
De nombreux établissement risquent, de ce fait, de rester encore inaccessibles pour des décennies. Cette faiblesse, l’accumulation des motifs de dérogation – murs porteurs, refus de la copropriété, trottoirs insuffisamment larges et j’en passe – crée aussi une inégalité vis-à-vis de tous ceux qui ont été exemplaires en matière d’accessibilité depuis la loi de 2005.
Enfin, nous savons que de nombreuses mesures ont été ou vont être prises par voie réglementaire : nous ne pouvons pas forcément les contrôler alors qu’elles nous semblent constituer un recul de l’accessibilité universelle. Je pense notamment à tout ce qui concerne la définition des seuils d’accès aux logements et à l’accessibilité dans les logements.
Madame la secrétaire d’État, la loi de 2005 devait être adaptée. La proposition que vous nous faites nous paraît, sur certains points, répondre à cette attente. Mais elle est aussi, aujourd’hui, vécue comme un net recul par un très grand nombre d’associations ou de personnes à mobilité réduite.
Elle est même parfois vécue comme une renonciation à ce droit fondamental, cette liberté essentielle de toute personne : pouvoir se déplacer en toute autonomie.