Certes, il était important de réformer le système d’asile qui souffre effectivement de graves carences. Pour autant, soulignons encore une fois qu’au-delà de l’actuel afflux de migrants, les demandes d’asile, aussi exceptionnelles soient-elles, ne sont pas inédites. Elles ont en effet augmenté régulièrement à la fin des années 1980, au début des années 2000 et depuis 2012. La Commission nationale consultative des droits de l’homme souligne qu’en soixante ans, le nombre de bénéficiaires de l’asile est resté le même et que la crainte d’un afflux massif, souvent exprimée, n’est donc pas fondée.
À l’instar de Mme la rapporteure, nous avons été nombreux à souligner que l’Europe reçoit beaucoup moins de demandeurs d’asile que le reste du monde et à déplorer également que les hébergements soient pourtant saturés depuis bien longtemps dans notre pays.
Que dire, quand nous souhaitons accueillir un millier de Syriens, quand l’Allemagne accepte d’en prendre 10 000, puis donne son aval pour recevoir 10 000 personnes supplémentaires sur 130 000 personnes jugées prioritaires par le HCR ?
Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a présenté au mois de juin une série de mesures pour améliorer l’accueil des demandeurs d’asile et éviter les campements précaires. Ainsi, le Gouvernement a promis 11 000 places d’hébergement supplémentaires, dont 1 500 places d’hébergement d’urgence, 4 000 places pour les demandeurs d’asile et 5 500 places pour les réfugiés, depuis l’évacuation du campement de La Chapelle le 28 mai et de Pajol, quelques jours après. Nous souhaitons tous un traitement plus digne des demandeurs d’asile, condamnés aujourd’hui à dormir dehors. Il faut en effet mieux accueillir et mieux accompagner ces personnes.
Nous l’avons dit à chaque étape de l’examen de ce projet de loi, l’augmentation des demandes d’asile s’explique pour l’essentiel par la multiplication des conflits armés visant des populations civiles.
Ce projet de loi contient des dispositions renforçant les garanties procédurales des demandeurs d’asile, notamment en consacrant le principe d’un droit au maintien sur le territoire français jusqu’à décision définitive de l’OFPRA ou de la Cour nationale du droit d’asile au profit de tous les demandeurs, que leur cas soit traité en procédure normale ou en procédure accélérée.
Grâce aux amendements défendus notamment par le groupe écologiste, ce projet de loi ouvre le droit à la formation et au travail pour les demandeurs d’asile lorsque, au terme d’un délai de neuf mois, l’OFPRA n’a pas statué sur leur sort. Dans un contexte où la Cour des comptes a mis en exergue le coût du droit d’asile en France, nous n’avions pas été seuls dans cet hémicycle à souhaiter l’accès au travail des demandeurs d’asile. Nous regrettons donc une transposition a minima de la directive européenne en la matière.
En revanche, je souhaite saluer le refus du Gouvernement d’adopter les amendements sénatoriaux visant à interdire à tout débouté de se maintenir sur le territoire à un autre titre et visant à ce que les déboutés soient automatiquement obligés de quitter le territoire français, au mépris de la Convention européenne des droits de l’homme.
Mes chers collègues, malgré ces nouvelles garanties apportées par le texte, des préoccupations demeurent.
En effet, le projet multiplie les hypothèses dans lesquelles les procédures peuvent être accélérées. Or, le motif tenant à la provenance du demandeur d’un pays d’origine sûr constitue en pratique le principal motif de placement en procédure dite aujourd’hui prioritaire, alors même qu’au-delà de leur volatilité, les listes nationales des pays sûrs avaient fait l’objet de critiques nourries du HCR.
De même, le placement en procédure accélérée du demandeur d’asile qui, sans raison valable, est entré irrégulièrement en France ou s’y est maintenu irrégulièrement, sans présenter sa demande d’asile dans un délai de 90 jours à compter de la date de son entrée en France, est préjudiciable pour le réfugié. On le sait, outre les difficultés de preuve de la date d’entrée, le dépôt tardif de la demande peut résulter d’une multitude de facteurs indépendants de la volonté de l’intéressé. La mise en oeuvre de la procédure accélérée, dans le cas où l’intéressé refuse une prise d’empreintes, est aussi sans lien avec le fond de la demande d’asile.
Ce texte prévoit également la réduction du délai de l’octroi ou du refus du droit d’asile. À l’heure actuelle, les décisions sont rendues dans un délai moyen de dix-huit mois, pendant lesquels les demandeurs ne peuvent pas travailler et subsistent avec une allocation de 343,50 euros par mois. Ce délai passe de dix-huit à neuf mois en procédure normale et à cinq semaines pour les procédures dites accélérées. Cette réduction des délais sera notamment rendue possible par le recours à un juge unique au sein de la CNDA, donc, par l’abandon d’une décision collégiale. Il est légitime de craindre que cela n’aboutisse à des décisions hâtives de refus.
Le texte prévoit également, à titre exceptionnel, le maintien en zone d’attente des mineurs non accompagnés. Or, même encadrée et rendue exceptionnelle, la possibilité de maintien en zone d’attente d’un mineur isolé n’est pas acceptable. En effet, dans son arrêt Popov c. France, la Cour européenne des droits de l’homme relève ainsi que « la promiscuité, le stress, l’insécurité et l’environnement hostile que représentent les centres de rétention ont des conséquences néfastes sur les mineurs, en contradiction avec les principes internationaux de protection des enfants ». Cette décision est parfaitement transposable à la situation en zone d’attente.
Mes chers collègues, pour rappel, 1 850 personnes sont mortes en mer Méditerranée en tentant d’atteindre l’Europe depuis le début de l’année. Malgré ce drame que vivent les réfugiés, d’aucuns ont pourtant préféré comparer l’arrivée des migrants à une « canalisation percée » ou encore à une « grosse fuite d’eau », avec la volonté d’alimenter amalgames et stigmatisations au mépris du respect de la dignité humaine.
Face à ce que certains voient comme une simple plaisanterie, je citerai l’auteur anglais Terry Pratchett : « Le mal commence lorsque l’on traite les gens comme des choses. » Face à cette réaction scandaleuse, nous aurions souhaité que notre pays, par ce texte, renoue avec la tradition française de l’asile. Or, cette loi ne refera pas de la France le grand pays des droits de l’homme et nous le regrettons.
C’est dans ce contexte que le groupe écologiste maintiendra sa position en faveur de l’abstention, tout en reconnaissant comme je l’ai souligné plus haut, les avancées de ce projet de loi.