Qu’il me soit permis, madame Capdevielle, de former un voeu : celui que ce texte, que nous aurions souhaité voter, ne soit pas la victime de la méthode qui a été employée. Vous n’ignorez pas en effet, bien que vous ayez légèrement atténué le fait dans votre propos – comme il est normal de votre part, de même qu’il est normal de la mienne que j’insiste sur ce point – que le déroulement de la procédure d’examen de ce texte met le texte lui-même en péril.
C’est d’autant plus regrettable que l’une des dispositions du texte les plus importantes par sa portée, même si son contenu devait être modifié et l’a globalement été, et qui ne faisait pas partie des dispositions initiales puisqu’elle ne relève pas de la transposition d’une directive européenne, reçoit notre assentiment, et le mien en particulier.
Il est vrai que nous atteignons la fin de la session extraordinaire et qu’il peut sembler inutile de s’occuper de procédure et de principes de l’élaboration de la loi, mais je souhaite tout de même axer la première partie de mon propos sur ce thème.
« De l’usage immodéré de la procédure accélérée avec le risque majeur de faire capoter l’intérêt d’un texte » : voilà le commentaire qui pourrait un jour être fait de ce qui a conduit au vote d’aujourd’hui et, peut-être, de ce qui se passera demain, suite aux difficultés que le Conseil constitutionnel pourrait faire à ce texte. Vous le savez en effet : contrairement à nous, nos collègues sénateurs ont décidé de le soumettre à l’examen du Conseil.
Le risque est donc majeur que les dispositions qui n’étaient pas inscrites dans le texte initial, puisqu’elles ne relèvent pas de la transposition de directives européennes dans notre droit positif, subissent les foudres du Conseil au motif qu’elles constituent des cavaliers législatifs. Pourquoi ce risque est-il majeur ? Parce que ce texte ne comporte pas qu’un seul cavalier présumé, mais une quantité incroyable !
Pardonnez-moi, monsieur le rapporteur, de tempérer quelque peu votre ardeur concernant l’équilibre « donnant-donnant » entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Le texte initial comportait huit articles, et nous l’aurions globalement voté sans aucune difficulté. Le Sénat y a ajouté cinq articles. Encore faut-il préciser qu’ils visent à leur tour à transposer des directives que le calendrier permettait de transposer plus tard : pour une fois, les délais de transposition correspondraient à ce que nous devrions faire toujours et que nous ne faisons que rarement.
Quoi qu’il en soit, cela n’a rien à voir avec ce qui a été fait à l’Assemblée, où vingt-sept nouvelles dispositions ont été adoptées, qui sont autant de cavaliers législatifs – c’est ainsi, je le crains, que le Conseil constitutionnel les qualifiera.
Ceci, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ne se serait pas produit si le Gouvernement avait, pour ce texte, décidé de mettre un terme provisoire et peut-être définitif à cette fichue habitude qu’il prend depuis un certain temps de ralentir l’examen des textes en employant la procédure accélérée. Cette procédure, en effet, consiste en une seule lecture par assemblée ; elle suscite parfois quelques frictions et états d’âme concernant la forme, comme les a manifestés le Sénat compte tenu de la manière dont il a été traité. Une commission mixte paritaire est ensuite convoquée mais, en règle générale, il est évident qu’elle est vouée à l’échec, comme c’est de plus en plus souvent le cas. Je qualifierai la nouvelle lecture qui suit dans chacune des assemblées de lecture inutile. Enfin, une lecture définitive a lieu – nous y sommes.
La plupart du temps, l’idée toute simple de soumettre le texte à la procédure ordinaire et de veiller pas à pas à ce que l’Assemblée de son côté, le Sénat du sien et les deux chambres ensemble tâchent de bâtir un texte qui recueille le consensus, permettrait sans doute de gagner du temps et en outre limiterait, voire supprimerait les risques que le Conseil constitutionnel annule certaines dispositions par ailleurs importantes, pertinentes et décisives. Je crains fort qu’il ne retienne des motifs en ce sens.
Je souhaitais préciser ce point, et je ne suis pas le seul. Si je dis cela, ce n’est d’ailleurs pas parce que je suis un élu de l’opposition : sans lui faire l’outrage de trahir sa pensée et ses écrits, je rappelle que le président de notre commission forme parfois un jugement plus rude encore que le mien concernant la procédure retenue par le Gouvernement.
À l’origine, ce texte était positif : il s’agissait de transposer des décisions-cadre, avec un peu de retard, ce qui le rendait d’autant plus nécessaire. Le Sénat a ensuite proposé des dispositions convenables, que nous soutenions. En revanche, les ajouts auxquels le Gouvernement a procédé relevaient pour l’essentiel de causes importantes. Je pense en particulier à l’affaire tragique de Villefontaine, au sujet de laquelle le Gouvernement, et je l’en félicite, a fait ce qu’il avait à faire, en toute clarté et avec volonté. Il ne faut pas croire, ce serait même injurieux, que le Gouvernement a utilisé une méthode un peu trop martiale devant l’opinion : au contraire, il a fait son devoir.
C’est pour cela qu’il est regrettable que cette disposition, qui aurait pu ne souffrir aucune contestation, soit ici accompagnée d’autres mesures dont certains collègues de la majorité, c’est leur droit, estiment qu’elles sont importantes mais qui nous posent problème. Je le répète, et vous le savez : nous sommes hostiles à la peine de sursis avec mise à l’épreuve prononcée contre un récidiviste. De même, l’obligation de prendre en compte les conditions d’incarcération des condamnés pour prononcer des remises de peine complémentaires ne correspond pas à notre philosophie. Voilà des dispositions qui nous auraient peut-être empêchés de voter le texte, quoique, comme elles sont mêlées à d’autres mesures importantes, nous aurions – j’aurais – peut-être fait le choix de privilégier ce qui est important au détriment de ce dont je regrette la présence dans le texte mais qui semble moins important.
Vous avez donc pris un risque, dont je crains fort qu’il ne soit grave au regard de ce que nous avons à faire ensemble et de ce qu’il revient, vous avez raison sur ce point, madame la ministre, à la loi de dire et de faire, au lieu de se contenter d’une vaine circulaire de plus.
Je salue l’accord que le Gouvernement a donné à l’un de nos amendements, mais je regrette que nous ne soyons pas allés un peu plus loin. Le Gouvernement et la majorité ont refusé l’amendement de M. Lellouche. Vous avez certes accepté celui que j’ai présenté avec M. de Ganay, et c’est une bonne avancée. Je regrette néanmoins que vous n’ayez pas pris la liberté utile de faire davantage.
Ce matin, le Sénat a rejeté le texte en adoptant une motion d’irrecevabilité. C’est dommage qu’il en soit arrivé là. Ulcéré sans doute de découvrir de nombreux et importants amendements qui sortaient du cadre initial de la commission mixte paritaire, il était normal qu’il manifestât quelque perplexité, voire de l’inquiétude.
Pour conclure, je ferai part à ceux qui n’en ont pas eu connaissance des propos tenus ce matin au Sénat par le rapporteur François Zocchetto : « Ce texte souffre de trois défauts. En premier lieu, sa généralité : loin de se limiter aux atteintes contre les mineurs, il s’étend à toute infraction et à toute administration. Son deuxième défaut majeur est qu’il est gravement attentatoire à la présomption d’innocence, puisqu’il intervient avant toute condamnation pénale et hors du contrôle d’un juge. Enfin, il transfère la responsabilité de l’autorité judiciaire vers l’administration pour prendre des mesures préventives contre la personne mise en cause. Outre qu’elle prive la personne en cause de tout recours, cette sous-traitance aux administrations laisse celles-ci démunies face à un problème qui les dépasse ».
Je ne vais pas plus loin, mais ces propos que François Zocchetto a tenus ce matin au Sénat, il les aurait tenus – je le sais car il me l’a dit – si sa commission avait eu la possibilité de se pencher sur ces dispositions et d’en débattre avec le Gouvernement. Elle ne l’a pas eue. Cela a conduit à ce qui s’est produit ce matin au Sénat.
Je suppose que cela n’empêchera pas notre assemblée de voter ce texte, mais le risque très fâcheux pourrait exister que cette mauvaise appréciation de la procédure conduise le Conseil constitutionnel à renvoyer, pour des raisons évidentes, l’ensemble de ces articles là d’où ils n’auraient pas dû sortir. Il pourrait le faire, et ce serait très regrettable.
Nous attendions un signal nous permettant de décider d’un vote positif ; vous comprendrez que cela ne puisse se produire. Nous nous abstiendrons donc, pour ne pas empêcher ce texte d’aboutir – et comment le pourrions-nous, puisque nous sommes minoritaires ! Tout cela est néanmoins regrettable. J’espère que le Conseil constitutionnel ne fera pas trop de mal à ce texte. S’il le faisait, nous n’en serions pas les responsables. À l’avenir, le Gouvernement serait fondé à écouter plus souvent la parole très juste du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale !