Le projet de loi qui nous amène ici aujourd’hui et qui autorise la ratification du protocole de l’Organisation mondiale de la santé pour éliminer le commerce illicite de tabac fait l’objet d’un consensus, tant sur le fond que sur le fait que sa ratification doit être effective au plus tôt afin que soit mise en oeuvre une traçabilité indépendante des produits du tabac, pour en contrôler les flux.
Le protocole vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des parties qu’elles prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique de ces produits et qu’elles coopèrent au niveau international dans plusieurs domaines. En ce sens, il impose des obligations ambitieuses aux États membres, notamment en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les mesures de sécurité et les mesures préventives, les ventes sur internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit international ainsi que les ventes en franchise de droits. Il prévoit en outre des sanctions lourdes à l’encontre des contrevenants.
Seuls les cigarettiers sont hostiles à ce texte, pour la simple et bonne raison qu’ils bénéficient du commerce parallèle du tabac. Ils se livrent à un lobbying intense depuis déjà deux ans, en dépit des intérêts de santé mais également de finances publiques. Rappelons que, selon l’OMS, l’élimination du commerce illicite du tabac rapporterait une manne fiscale de 31 milliards de dollars par an aux gouvernements, dont 10 à 15 millions de dollars aux seuls États membres de l’Union européenne.
En 2011, un rapport parlementaire des députés Jean-Louis Dumont, Thierry Lazaro et Jean-Marie Binetruy sur les conséquences fiscales des ventes illicites de tabac avançait que le manque à gagner annuel pour la France serait de l’ordre de 2,5 à 3 milliards d’euros. C’est une somme rondelette qui améliorerait sans doute l’état de nos finances publiques et permettrait certainement à nos collectivités locales de sortir de l’ornière dans laquelle la course aux économies et à la résorption de la dette les a enfermées. Ce lobby ne saurait nous faire détourner les yeux des objectifs du protocole, qui ne pourront être atteints que par la mise en place totale et sans réserve de ses dispositions.
Pour cela, il nous faudra rester extrêmement vigilants à ce que la lettre de son article 8 s’applique en respectant la volonté des parties signataires. À cette fin, il ne devra en aucun cas être remplacé par l’article 15 de la directive tabac, qui est une norme juridique inférieure au protocole de l’OMS, aux termes de l’article 216 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et qui prévoit de confier 80 % de la traçabilité des produits du tabac aux cigarettiers eux-mêmes.
Je rappelle que l’article 8 du protocole prévoit que chaque partie « instaure […] un système de suivi et de traçabilité contrôlé par elle » et que « les obligations auxquelles une partie est tenue ne sont pas remplies par l’industrie du tabac et ne lui sont pas déléguées », là où l’article 15 de la directive tabac se borne à imposer que les fabricants et importateurs « concluent un contrat de stockage de données avec un tiers indépendant ». Dans notre droit interne français, ces dernières dispositions sont retranscrites par l’article 569 du code général des impôts, qui les reprend à la lettre.
Or, le compte rendu du conseil des ministres du 29 avril 2015 précise que « les modalités relatives à la traçabilité des produits du tabac sont précisées par la directive 201440UE […] et les actes qui en découlent. Ces dispositions entreront en vigueur en 2019 pour les cigarettes et le tabac à rouler, et en 2024 pour les autres produits du tabac ». On en déduit que nous pouvons considérer que la directive tabac et l’article 569 du code général des impôts suffisent pour la mise en oeuvre des dispositions du protocole. Pourtant, ces dispositions sont manifestement contraires à l’article 8 de ce protocole et représentent un véritable blanc-seing pour les producteurs de cigarettes et dérivés du tabac.
En effet, comment imaginer que les objectifs du protocole puissent être atteints, en confiant la traçabilité aux cigarettiers, quand on sait que 95 % des cigarettes que l’on retrouve sur le marché parallèle sont des vraies cigarettes, fabriquées dans les usines de grands fabricants, alors que la contrebande, majoritairement venue de Chine, ne pèse pas plus de 5 % du volume total du trafic ?
Il ne faut pas chercher bien loin les raisons de cette omniprésence des cigarettes issues de la production légale sur le marché parallèle : dans un contexte de hausse des taxes, et donc des prix, et de politiques de lutte contre le tabagisme, les fabricants ont tout intérêt à ce qu’une partie de leur production circule à des prix cassés, particulièrement attractifs pour des populations cibles comme les adolescents.
L’OMS a ainsi identifié deux scenarii expliquant ce passage d’une production légale au marché parallèle : soit les cigarettes sont vendues légalement à des distributeurs installés dans des pays à la fiscalité avantageuse sur le tabac avant de se retrouver sous forme de contrebande dans les pays occidentaux ; soit ces cigarettes proviennent de pays de l’Europe de l’Ouest à la fiscalité plus douce en la matière tels que l’Espagne, Andorre ou encore la Belgique et le Luxembourg, où se fournissent légalement les revendeurs illégaux qui écoulent leur marchandise dans des pays tels que la France, l’Irlande ou le Royaume-Uni. Plusieurs fabricants font d’ailleurs l’objet d’enquêtes pour faits de contrebande passive, en direction notamment de la Grande-Bretagne.
Vous l’aurez compris, je resterai très attentif, tout comme l’ensemble de mon groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à ce que la lettre et l’esprit de ce protocole de l’OMS soient respectés et ne soient pas sacrifiés sur l’autel des intérêts économiques des grands industriels du tabac. Je peux d’ailleurs d’ores et déjà vous annoncer que je proposerai une réécriture ou une suppression pure et simple de l’article 569 du code général des impôts lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Parallèlement, nous militerons au niveau communautaire pour que l’article 15 de la directive tabac soit modifié afin de le rendre conforme au protocole de l’OMS.
Vous permettrez, madame la ministre, que je profite de cette tribune, où nous évoquons la lutte contre le trafic et le commerce illicite de tabac, pour aborder un sujet parallèle qui gangrène encore plus notre pays, en particulier la Guyane que je représente ici : il s’agit du trafic de produits stupéfiants, notamment de cannabis et de cocaïne. La Guyane bat désormais tous les records et s’est muée depuis quelques années en une véritable plaque tournante de la drogue en provenance de Colombie vers la France et les autres pays de l’Union européenne.
Désormais, l’aéroport international de Cayenne a dépassé toutes les moyennes imaginables. La semaine dernière, ce ne sont pas moins de dix-neuf mules – ces personnes transportant sur elles des produits stupéfiants – qui ont été arrêtées au départ d’un vol vers Paris. Elles dissimulaient plusieurs kilogrammes de cocaïne. Les arrestations se font de plus en plus nombreuses et de plus en plus spectaculaires. Il ne se passe pas plusieurs mois sans que la douane ou la police des frontières n’annoncent une nouvelle prise record. Pourtant, le trafic ne ralentit pas. De fait, pour une mule arrêtée, combien passent à travers les mailles du filet ? Beaucoup, certainement : ce commerce ne connaît pas la crise auprès d’une jeunesse majoritairement venue de l’ouest guyanais et complètement désoeuvrée.
Ce trafic n’est bien sûr pas sans externalités extrêmement négatives pour la société guyanaise : une violence record, avec un taux d’homicide quatre fois plus élevé que dans les Bouches-du-Rhône, mais également une disponibilité sur le marché parallèle local de produits stupéfiants à moindre coût qui font des ravages toujours plus grands au sein d’une jeunesse oubliée, qui doit faire face à un taux de chômage de plus en plus élevé – il atteint près de 50 % chez les moins de 25 ans.
Je n’ai pas cessé de tirer la sonnette d’alarme, par le biais de questions orales ou écrites et par des courriers adressés aux ministres – le dernier en date militant en faveur de l’installation d’un scanner corporel à l’aéroport Félix Éboué. Pourtant, rien ne semble attirer durablement l’attention du Gouvernement sur ce problème qui ressemble de plus en plus à une véritable cocotte-minute prête à nous exploser à la figure à chaque instant.
Aussi, il me reste à espérer que le commerce illicite des produits stupéfiants et la lutte contre les réseaux de transit entre l’Amérique du Sud et l’Union européenne en passant par la Guyane sauront trouver le même écho que le trafic du tabac, auquel on est enfin en passe de trouver les réponses que nous attendions depuis bien des années. Le groupe GDR est, je le répète, favorable à la ratification de ce protocole. Je vous remercie de votre écoute, en espérant que vous n’oublierez pas le problème de la Guyane afin que nous puissions trouver rapidement des solutions efficaces.