Intervention de Frédéric Reiss

Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 15h00
Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Le tabac n’est pas un produit comme un autre : sa consommation constitue une des premières causes de mortalité en France avec, comme nous l’avons entendu, 78 000 décès par an, soit 200 morts par jour. La dangerosité du tabac est avérée socialement et sanitairement, mais il faut aussi rappeler qu’il joue un rôle économique certain. Je sais ce qu’il représentait pour l’emploi à la SEITA de Strasbourg – elle a fermé en 2009. Je sais ce qu’il représente pour la filière tabacole et, comme nous tous, j’ai conscience de ce qu’il représente pour les recettes fiscales de l’État. Malheureusement, je sais aussi que trop de jeunes collégiens fument avant de rejoindre leurs établissements scolaires et aussi que de nombreux buralistes ont été contraints de fermer, notamment dans la ruralité ou en zone frontalière, pour chute du chiffre d’affaires ou à défaut de repreneur. Les contrats d’avenir ont atténué les problèmes mais n’ont pas été des solutions définitives.

Le Sénat vient de supprimer, pour ma part avec raison, le paquet de cigarettes neutre, contre l’avis du Gouvernement. Madame la ministre, je ne comprends pas votre obstination sur ce point car les cigarettiers et les fumeurs auront vite trouvé la parade !

La baisse du tabagisme, en particulier chez les jeunes, est un enjeu de santé public majeur, il y a un consensus très large sur ce sujet. C’est d’ailleurs une majorité de droite qui redonné de la vigueur aux politiques de lutte contre le tabagisme, avec notamment le Plan cancer en 2003 et le décret interdisant de fumer dans les lieux publics – j’ai une pensée ici pour mon ancien collègue Yves Bur qui y a grandement contribué. En outre, la politique de hausses régulières du prix du paquet de cigarettes, un des moyens les plus efficaces pour dissuader nos concitoyens de fumer, a été initiée par le président Chirac et jamais interrompue depuis.

Député d’une circonscription frontalière avec l’Allemagne, je ne peux que me réjouir de la ratification de ce protocole visant à combattre le commerce illicite des produits du tabac, parfois plus lucratif et moins risqué que le trafic de stupéfiants. Nous sommes unanimes à partager l’objectif de lutte contre le tabagisme, mais les politiques mises en place ont souvent pour conséquence de fragiliser les buralistes en induisant un accroissement des transits illicites, notamment avec les pays limitrophes. Ainsi, en Alsace, chaque nouvelle augmentation du prix du paquet entraîne une baisse du chiffre d’affaires des buralistes. En cause, les achats réalisés directement en Allemagne, parfois de manière organisée, alors que ce pays est, lui aussi, signataire de ce protocole. En cause également toutes les autres formes de contournement du marché français.

Dans le cadre de ce débat, je crois aussi essentiel de rappeler que la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac passe par une meilleure harmonisation au niveau européen. En effet, au-delà des réseaux internationaux, la première source d’évasion fiscale reste liée aux flux de voisinage. Les différences de taxation mais aussi le nombre de cigarettes par paquet et leur présentation sont des facteurs d’approvisionnement à l’étranger. Seule une harmonisation européenne peut mettre fin au trafic illicite et à ces multiples trafics pseudo-légaux. Vous avez eu raison, madame la ministre, de le souligner, comme d’autres collègues d’ailleurs.

Si nous avons parfois la fâcheuse habitude de voter ici la ratification de traités internationaux sans y prêter une grande attention, le texte qui nous est proposé aujourd’hui est extrêmement important et concerne la vie quotidienne de dizaines de millions de Français : outre les 26 000 buralistes, qui subissent de plein fouet l’impact du commerce parallèle de tabac, ce qui se traduit pour eux par un manque à gagner annuel de 250 millions d’euros, il y a les 10 millions de clients quotidiens, les 15 millions de fumeurs qui se demandent parfois si leur cigarette est contrefaite ou non, les familles qui craignent que leurs enfants tombent dans le tabagisme grâce aux cigarettes à bas prix qui circulent et, enfin, les contribuables français qui doivent financer – y compris les non-fumeurs, c’est un comble ! – le manque à gagner fiscal lié au trafic de tabac, estimé, on l’a dit, à 3 milliards d’euros par an.

Le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac vise à répondre à ces problèmes, à répondre à ce défi, et c’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains demande non seulement sa ratification la plus rapide mais également sa mise en oeuvre immédiate. Nous n’avons en effet que trop attendu.

La politique de lutte contre le tabagisme emprunte deux vecteurs principaux : la prévention par l’information et un niveau de prix élevé du fait d’une taxation lourde. S’agissant de prévention, je pense qu’on peut faire nettement mieux, notamment à destination des jeunes. L’Organisation mondiale de la santé considère que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet d’un commerce parallèle. C’est quatorze fois le marché légal français ! En France, en raison des prix plus élevés, le taux de cigarettes achetées hors du réseau des buralistes atteint les 25 %. On ne peut plus continuer ainsi. Il faut à ce stade insister sur un point dont on ne parle jamais : la contrefaçon de cigarettes étant extrêmement faible dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne, y compris donc en France, on peut affirmer que l’immense majorité de ce commerce parallèle est constituée de cigarettes produites et commercialisées par les fabricants de tabac eux-mêmes.

La France est partie à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac entrée en vigueur le 27 février 2005. Cette convention prévoit des protocoles d’application : le premier d’entre eux est le protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, adopté le 12 novembre 2012 par la conférence des parties à Séoul. La France l’a signé le 10 janvier 2013, et reconnaissez au regard des enjeux que je viens de décrire, madame la ministre, qu’il est temps de le ratifier et de le mettre en oeuvre. L’Union européenne l’a signé le 20 décembre 2013 et a annoncé son souhait de le ratifier le 4 mai dernier, malheureusement sans concrétisation à ce jour.

Ce protocole vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des parties qu’elles prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique des produits du tabac et qu’elles coopèrent au niveau international dans plusieurs domaines. Il impose des obligations ambitieuses aux États en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les mesures de sécurité et les mesures préventives, les ventes sur internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit

international ainsi que les ventes en franchise de droits. Il prévoit des sanctions plus lourdes pour les contrevenants et invite à une coopération internationale renforcée.

Concrètement, il s’agit d’imposer une traçabilité indépendante des produits du tabac qui soit, comme le précise le 12. de l’article 8 du protocole, totalement indépendante des fabricants de tabac. Une fois ratifié, il deviendra supérieur aux droits internes. Je souligne en particulier que le protocole aura une valeur supérieure à la directive européenne du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et à l’article 569 de notre code général des impôts.

Le protocole, la directive tabac et l’article 569 du code général des impôts traitent tous de la traçabilité des produits du tabac. Pourtant, ils comportent des différences.

L’article 8 du protocole stipule que chaque partie instaure « un système de suivi et de traçabilité contrôlé par elle » et que « les obligations auxquelles une partie est tenue ne sont pas remplies par l’industrie du tabac et ne lui sont pas déléguées ». L’article 15 de la directive tabac, en revanche, définit la traçabilité mais se borne à imposer que les fabricants et importateurs « concluent un contrat de stockage de données avec un tiers indépendant ». Nous connaissons le lobbying exercé par les cigarettiers à Bruxelles sur ce point.

Il en résulte que, à l’exception du stockage des données, la directive permet que l’industrie du tabac soit en charge de la traçabilité de ses produits, ce que le protocole interdit formellement. Une interdiction qui relève d’ailleurs du bon sens : comment peut-on être à la fois juge et partie ?

Contrairement à ce qu’indique le communiqué de presse du Gouvernement après l’adoption par le conseil des ministres du projet de loi autorisant la présente ratification, l’article 15 de la directive et l’article 569 du code général des impôts ne sont pas compatibles avec le protocole de l’Organisation mondiale de la santé. Comme l’ont évoqué M. Serville et M. le président Le Roux avant moi, la ratification de ce protocole par la France entraînera nécessairement l’obligation de modifier l’article 569 du code général des impôts. Je le proposerai moi aussi dans le projet de loi de finances.

L’article 216 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fait en outre prévaloir les accords internationaux conclus par l’Union européenne sur tous les actes de droit communautaire. Les principes généraux du droit international public imposent ainsi à la France de faire prévaloir un traité général sur un accord géographique limité tel qu’un acte dérivé communautaire.

Ainsi, le groupe Les Républicains votera en faveur de la ratification de ce protocole et de sa mise en oeuvre dans les meilleurs délais.

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