Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 5 octobre 2015 à 16h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Présentation

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, il y a six mois, votre assemblée adoptait cette proposition de loi, qui présente une grande ambition : celle de faire évoluer le cadre législatif de la fin de vie dans le sens de la dignité et de la liberté des malades, parce que notre rapport à la fin de vie a évolué ; parce que les Français sont inégaux dans la connaissance et donc dans l’exercice de leurs droits ; parce que les progrès de la science et de la médecine nous permettent de vivre plus longtemps, à tel point que la frontière entre la vie et la mort s’estompe parfois.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur les différentes étapes qui ont conduit à l’élaboration de ce texte, mais je tiens à en rappeler le sens. À travers la mission confiée au professeur Sicard, les débats régionaux et la conférence citoyenne organisée par le Comité consultatif national d’éthique, la société a pu s’exprimer le plus directement possible. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses : tous ont été entendus, chacun a pu faire valoir son point de vue. Le Président de la République a souhaité qu’un consensus le plus large possible soit trouvé pour proposer une étape législative nouvelle. C’est le sens de la mission qui vous a été confiée, M. Alain Claeys et M. Jean Leonetti, et je tiens à saluer à nouveau votre travail.

Le texte que vous avez élaboré comprend des avancées importantes, sur lesquelles je veux revenir. D’abord, le texte renforce l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant. Les soins palliatifs constituent l’un des grands progrès de la médecine à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, en ce qu’ils permettent d’apaiser les souffrances des personnes en fin de vie. Les unités se sont développées, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pour autant, si les deux tiers des Français qui meurent de maladie ont aujourd’hui besoin de soins palliatifs, une grande partie d’entre eux n’y a pas accès, ou trop tardivement. Cette injustice, tant sociale que territoriale, est inacceptable.

C’est pour moi une priorité : garantir l’accès à cet accompagnement, que ce soit à l’hôpital, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou à domicile. Le Président de la République a annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs. J’ai réuni le 24 juin dernier les membres de son comité de pilotage. Ce plan national triennal pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie comprendra quatre priorités et s’adressera tant aux professionnels de santé qu’aux patients eux-mêmes : d’abord, mieux informer les patients et leur permettre d’être au coeur des décisions qui les concernent ; ensuite, accroître les compétences des différents acteurs, en confortant la formation, en soutenant la recherche et en diffusant mieux les connaissances sur les soins palliatifs ; troisième orientation, développer les prises en charge de proximité, notamment au domicile ou dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ; enfin, réduire les inégalités d’accès aux soins palliatifs. Je présenterai très prochainement aux acteurs des soins palliatifs le détail de ce plan dans le cadre d’un déplacement auprès d’une structure particulièrement impliquée dans la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Le texte que nous examinons propose de reconnaître à toute personne malade un droit universel à accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Les agences régionales de santé auront la charge de veiller à sa bonne application.

La deuxième grande avancée de ce texte est la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits. Les Français ne sont pas suffisamment informés de leurs droits. Près de la moitié de nos concitoyens ignore que le patient peut demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seuls 2,5 % d’entre eux ont rédigé des directives anticipées, alors même que l’existence de telles directives pourrait, dans bien des cas, répondre à l’incertitude.

La proposition de loi propose ainsi de rendre les directives anticipées contraignantes et de supprimer leur durée de validité. C’est une avancée majeure, parce que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments de la décision du médecin. Désormais, c’est la volonté du patient qui sera déterminante. Rester maître de sa vie jusqu’au moment où on la quitte, voilà l’enjeu de dignité auquel ce texte s’attache. Pour permettre à nos concitoyens d’exercer leur droit, le texte prévoit de renforcer l’information sur les directives anticipées. Les amendements que vous avez adoptés lors de la première lecture y ont concouru. Ils prévoient l’élaboration d’un formulaire-type de directive anticipée sous l’égide de la haute autorité de santé et la création d’un registre national automatisé. L’objectif est de permettre à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit et de donner aux médecins une visibilité immédiate sur ces directives et d’abord sur l’existence ou non de celles-ci.

Enfin, la troisième avancée de ce texte est de franchir une étape supplémentaire en faveur de l’autonomie des personnes. L’encadrement de l’arrêt des traitements tel qu’il a été prévu par la loi de 2005 a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades. Personne ne conteste cet état de fait. Mais depuis 2005, la société a évolué et avec elle, nos attentes et notre rapport à la fin de vie. Beaucoup de patients, beaucoup de familles, ont le sentiment de ne pas être suffisamment entendus, parce qu’en l’état actuel du droit, c’est au seul professionnel de santé que revient la décision d’interrompre ou de ne pas initier les traitements. Et dans le même temps, des médecins m’ont aussi dit être désemparés lorsqu’ils ont à présumer et donc à assumer, seuls, la décision d’interrompre ou non les traitements.

Les Français attendent aujourd’hui que nous franchissions une étape nouvelle dans le renforcement des droits des personnes en fin de vie. C’est ce que propose ce texte, qui précise les modalités d’interruption des traitements. Il clarifie la notion « d’obstination déraisonnable » et propose d’instaurer un droit à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. À l’heure actuelle, ce traitement relève de la seule appréciation médicale. Son application dépend donc largement du territoire, de l’établissement ou même du service. Il s’agira désormais d’un droit concret, reconnu à tous et partout.

Ce texte présente donc de grandes avancées. Son examen en première lecture a montré qu’il constituait un point d’équilibre. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : sur un sujet comme celui de la fin de vie, il n’y a pas de vérité absolue. Nul ne détient la vérité, nul ne peut prétendre imposer sa vérité aux autres, mais chacun doit pouvoir exprimer sa conviction profonde. Certains parmi vous considèrent ce texte insuffisant et souhaiteraient aller plus loin. D’autres, au contraire, ne soutiennent pas ce texte, dans la mesure où ils souhaiteraient en rester au cadre juridique de la fin de vie tel qu’il existe aujourd’hui : cette position s’est exprimée de manière engagée, en particulier au Sénat.

Le Président de la République a fixé un cap clair : franchir une étape de liberté pour les malades, dans un moment où notre société a besoin de rassemblement. Ce texte rassemble très largement dans cet hémicycle, une immense majorité des députés l’a ainsi voté en mars dernier. Son examen par le Sénat a aussi montré qu’il constituait un point d’équilibre : plusieurs avancées ayant été supprimées en séance, il a été finalement rejeté à une écrasante majorité, aucun groupe ne soutenant plus son adoption. En commission, il y a quelques jours, vous avez fait le choix d’en rester à ce point d’équilibre. C’est donc le texte que vous avez adopté il y a six mois qui revient devant vous aujourd’hui. Ce texte, personne ne nie qu’il constitue une véritable avancée en faisant du patient le maître de son destin. Mais cet équilibre reste fragile : nous avons vu combien l’adoption d’une disposition, dans un sens comme dans l’autre, porte le risque de déstabiliser son ensemble.

Mesdames et messieurs les députés, les Français attendent de nous de la responsabilité et que nous redonnions « de la vie à la mort », si tant est que cela soit possible, en permettant à chacun, jusqu’au dernier instant, d’être respecté dans sa personne.

À nous de nous montrer, collectivement, à la hauteur de cette attente. Ce texte permettra de franchir une étape considérable. L’opposabilité des directives anticipées, couplée à la reconnaissance de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, renverse – et c’est bien là l’essentiel – la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin.

Je l’ai déjà dit ici-même, le débat, comme tout débat de cette ampleur, reste ouvert. Vous aurez aujourd’hui, en tant que parlementaires, comme auront à le faire vos successeurs, à juger de l’application de cette loi. Et si plus tard une étape supplémentaire vous apparaît nécessaire, vous aurez alors à en décider.

Mais aujourd’hui, au nom du Gouvernement, je vous demande, par cohérence, par souci d’efficacité et par respect du travail conduit et des équilibres de notre société, de ne pas bouleverser l’architecture de ce texte tel qu’il a été adopté.

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