Alain Claeys et moi-même ne saurions fuir le débat. Est-ce que manger, respirer, dormir sont des choses naturelles ? Oui. Est-ce que boire est naturel ? Oui. Mais mettre quelqu’un sous respirateur artificiel, est-ce naturel ? Non. Nous passons d’une situation naturelle à une aide artificielle.
Peut-on arrêter un respirateur lorsqu’on juge que le traitement est devenu inutile, qu’il est disproportionné ou qu’il n’a pas de sens ? Oui. Doit-on alors considérer que la respiration n’est pas un besoin naturel tandis que le fait de s’alimenter, lui, serait naturel ? Existe-t-il, pour le commun des mortels, une grosse différence entre le fait de placer un tube dans la trachée d’une personne pour permettre à ses poumons de ventiler et le fait de poser, par voie chirurgicale, un tuyau dans un estomac en considérant que c’est un soin ? Humecter les lèvres, donner à boire, donner à manger à celui qui peut encore boire et manger sont des soins. Apporter de l’oxygène à quelqu’un qui a une difficulté respiratoire est un soin. Mais introduire des tubes et utiliser des machines pour faire fonctionner le corps d’une personne sont des traitements. On ne peut pas prétendre le contraire.
La deuxième question que vous posez, et de manière brutale, suggère que tout le monde sera concerné par l’arrêt des traitements. Non. Les traitements seront arrêtés uniquement lorsqu’on considérera qu’il y a obstination déraisonnable. Vous voyez donc bien qu’il ne s’agit pas d’une rupture de civilisation.
La pratique médicale repose sur deux principes : Primum non nocere, certes mais également perseverare diabolicum. Leur combinaison implique d’arrêter les traitements s’ils n’ont plus d’autre but que le maintien artificiel d’une vie et s’ils contreviennent au respect de la personne humaine – soit parce le patient souhaite cet arrêt, soit parce que ces traitements – par exemple en cas de lésions cérébrales majeures totalement irréversibles – ne permet pas de lui assurer une vie digne d’être poursuivie. Cette personne n’en est pas moins digne. Elle a droit au respect de sa dignité. Et précisément parce qu’elle a ce droit, on ne peut maintenir inutilement et artificiellement son corps en vie.
Ces idées ne sont pas celles du Conseil d’État mais celles contenues dans la loi de 2005, qui ont été discutées ici. Nous avions alors choisi de remplacer les mots : « un traitement » par « tout traitement ». Et pendant une demi-journée, nous avions débattu dans cet hémicycle pour savoir ce qu’est un traitement. Placer une perfusion, faire une piqûre sont des traitements. Arrêter les traitements ne veut pas dire arrêter les soins.
Par ailleurs, je vous en conjure, chers collègues : quel que soit le côté de l’hémicycle où vous siégez, cessez de dire que les personnes dont nous parlons meurent de faim, de soif, d’escarres et de phlébite !
Monsieur Schwartzenberg, votre avis peut être totalement différent du mien mais nous avons, ensemble, eu des débats respectueux et constructifs : nous ne sommes pas d’accord sur un certain nombre de choses mais nous sommes d’accord sur d’autres. Nous avons l’un pour l’autre un respect mutuel, alors cessez de dire que lorsqu’on endort profondément quelqu’un, il ressent quelque chose !
Chacun d’entre nous a vécu une anesthésie générale.