Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, redoutant l’examen d’un texte qui divise sur ces bancs et qui, surtout, pourrait créditer l’opposition d’une amélioration de notre dispositif antiterroriste, les députés socialistes ont préféré saborder le débat démocratique par le dépôt d’une motion de rejet préalable. Pourtant, la gravité des menaces ne permet pas d’y surseoir et ce texte aurait pu, au contraire, nous rassembler. C’est d’ailleurs dans cet esprit de responsabilité que l’opposition a voté tous les projets de loi sur le terrorisme et le renseignement pénitentiaire présentés par ce gouvernement, alors même que la réciproque n’a pas été vraie dans le passé.
Nul ne conteste que la radicalisation s’aggrave en milieu carcéral. Deux des auteurs des attentats de janvier, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, avaient purgé des peines d’emprisonnement. Il ne s’agit pas de cas isolés : Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche avaient été incarcérés pour des délits de droit commun avant de se radicaliser en prison. Et pas plus tard que mardi, le braqueur de Saint-Ouen, qui a abattu un policier, était connu pour s’être radicalisé en prison. Ce phénomène s’accentue année après année. Faute d’établissements pénitentiaires en nombre suffisant, la surpopulation carcérale et la promiscuité qu’elle induit nourrissent la radicalisation et favorisent le prosélytisme.
Tous les syndicats de personnels pénitentiaires que j’ai auditionnés ont pointé les risques liés à l’explosion des téléphones portables clandestins, qui mettent en danger les personnels et favorisent les trafics. Nombreux sont les détenus qui continuent même, depuis leur cellule, à harceler les victimes en multipliant les appels malveillants. L’administration pénitentiaire, que j’ai également reçue en présence du cabinet de la garde des sceaux – qui d’ailleurs n’a jamais transmis à votre rapporteur les données techniques réclamées –, est loin de nier le phénomène : sa directrice a reconnu devant la commission d’enquête sur les filières djihadistes que l’introduction de portables en détention constituait un « véritable fléau », contre lequel il était difficile de lutter.
Dans ces conditions, les préconisations de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté visant à autoriser les téléphones portables dans les prisons sont tout à fait inadéquates. Les services de la Chancellerie ont, semble-t-il, été tentés, ce printemps, de céder à de telles préconisations, au moins pour ce qui concerne la semi-liberté. Pourtant, aucun des pays voisins ne pratique de la sorte.
Plus grave encore : ces smartphones autorisent aux détenus un accès sans contrôle à Internet. Cet accès démultiplie les sources radicales avec lesquelles les détenus peuvent entrer en contact : échanges de photos, accès aux réseaux sociaux et aux messageries instantanées, consultation de sites Web hébergés à l’étranger. C’est un danger considérable pour les personnalités les plus fragiles ou les plus instables. Les téléphones de dernière génération posent une difficulté supplémentaire, car les technologies de chiffrement utilisées empêchent tout accès aux données à quiconque ne possède pas le code de déblocage, que les géants de la téléphonie, Google et Apple, refusent de communiquer dans le cadre des procédures judiciaires.
La loi relative au renseignement n’a pas du tout résolu ce problème, ce qui fait dire au procureur de la République de Paris, M. Molins : « Soit Google et Apple proposent un dispositif nous permettant d’accéder aux données nécessaires aux investigations, sous l’autorité d’un magistrat, soit les pouvoirs publics devront tôt ou tard légiférer afin de les y contraindre. »