Intervention de Guy Geoffroy

Séance en hémicycle du 8 octobre 2015 à 15h00
Rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous achevons avec ce texte la série des propositions de loi présentées, dans le cadre de l’initiative parlementaire, par le groupe Les Républicains. J’avoue être particulièrement honoré d’être le rapporteur de ce texte que nous vous devons, monsieur le président Le Fur, et nous sommes un certain nombre à avoir soutenu votre initiative tout en notant qu’elle s’inscrit dans une démarche partagée : je voudrais saluer à ce propos notre collègue Patrick Mennucci ici présent qui, dans le cadre des missions que lui a confiées notre assemblée, a abouti à des conclusions identiques aux nôtres, ce qui a amené, la semaine passée, notre commission à adopter le texte à l’unanimité.

Cette proposition de loi a un objectif simple : elle comporte un article unique qui vise à rétablir le dispositif qui, jusqu’à l’abrogation de la réglementation en vigueur en 2012, soumettait le franchissement des frontières françaises par un mineur à l’autorisation de ses parents. Une circulaire a été publiée en novembre 2012, probablement à l’issue de conclusions malencontreuses et malvenues, d’une mauvaise interprétation – on a cru tirer les conséquences de la loi du 9 juillet 2010 – qui, je l’espère, sera corrigée aujourd’hui.

Il se trouve, personne ne l’ignore, que je connais bien cette loi pour en avoir été un des initiateurs et le rapporteur, loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Elle a été adoptée à l’unanimité. Elle comportait une disposition visant à protéger les enfants des suites d’un couple qui aurait mal tourné et qui, n’existant plus, serait malgré tout encore confronté à des tourments, la plupart du temps en raison de la problématique des enfants. L’objectif de cet article était qu’un enfant ne puisse pas être enlevé et séquestré par l’autre parent à l’étranger. Il s’agissait d’un point fort de la protection des enfants dans le cadre des violences intrafamiliales. Conçue pour mettre un terme aux enlèvements d’enfant dans les couples où les choses se passent mal, cette loi répondait à une évidence : la querelle de famille qui dégénère, le parent qui emporte l’enfant à l’étranger, l’autre parent qui reste en France, désemparé, et la justice de notre pays qui fait tout, avec les moyens qui sont les siens, pour batailler avec les institutions locales qui partagent plus ou moins – et, disons-le, plutôt moins que plus – notre conception du droit. Pour l’éviter, le législateur a donc créé des procédures d’inscription préventive des enfants au fichier des personnes recherchées, afin que la police les arrête à la frontière.

Le Gouvernement, et je ne souhaite pas lui en tenir rigueur, a dès lors supprimé l’autorisation de sortie du territoire signée des parents dont devait être muni un mineur qui quittait seul le territoire, parce qu’il considérait que le problème était réglé. Mais force est de constater aujourd’hui que toutes les situations ne sont pas comparables. La loi de 2010 traite un cas particulier, celui d’un parent qui agit contre l’intérêt de ses enfants. Elle ne saurait s’adapter au cas général, celui dans lequel un parent veut évidemment a priori le bien de ses enfants. Or, c’est bien du rôle des parents dont il s’agit, de leur responsabilité de déterminer ce que peuvent ou non faire leurs enfants.

L’autorisation de sortie du territoire était exigée, jusqu’en 2012, pour le passage de tout enfant quittant la France sans ses parents, qu’il le fasse seul ou en groupe. Elle était visée, suivant les cas, par le maire, le préfet, le directeur de l’école. Ceux qui, comme moi, ont eu le grand honneur de diriger un établissement scolaire savent que cela se passait facilement, que les procédures étaient connues, huilées, et qu’elles ne créaient pas de préjudice particulier. Tout le monde comprenait que quand un mineur quittait le territoire, accompagné éventuellement par des enseignants, il était naturel que les parents aient au préalable donné leur autorisation.

En supprimant cette disposition, on a donc aligné le droit des mineurs sur celui des majeurs : si un enfant veut quitter la France tout seul, il n’a dorénavant besoin pour se rendre en Europe ou dans des pays partenaires de la France, que de sa carte d’identité. Il n’y a même pas d’âge limite : les adolescents sont donc concernés, et même les petits enfants. Cette situation est incontestablement préjudiciable, malvenue. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité, avec notre proposition de loi, rectifier cette bévue que j’espère involontaire et qui étonne à bon droit tous ceux qui ont eu, dans leur vie personnelle ou professionnelle, la responsabilité d’enfants. Je citerai quelques exemples : la Belgique a, elle, conservé l’autorisation de sortie du territoire, son ministre de l’intérieur indiquant plusieurs fois ne pas en voir la nécessité ; certains, au sein du Gouvernement, semblent en désaccord avec la situation actuelle – je n’insisterai pas, faisant simplement remarquer que la ministre de l’éducation nationale, par une prudence et une sagesse qu’il faut saluer, a donné consigne à ces personnels de maintenir la pratique antérieure pour les voyages scolaires.

À ces considérations, il convient bien sûr d’ajouter le contexte international. Des mineurs ont de tout temps fugué, pour toutes sortes de raisons, quelquefois très ennuyeuses sur le moment et qui se révèlent ensuite beaucoup plus légères dans leurs conséquences, mais, aujourd’hui, des fugues se produisent pour des raisons déplorables et dangereuses pour les intéressés eux-mêmes : je pense à l’appel au djihad, mené par des réseaux voués à endoctriner la jeunesse qui sévissent sur Internet, facilitant ainsi le départ de jeunes victimes vers le Moyen-Orient. La presse nous rétorque que cela ne concerne qu’une vingtaine de cas, mais je lui réponds, et je ne suis pas le seul, que si les dispositions que nous devons voter aujourd’hui permettent de priver un seul de ces enfants de cette sortie de territoire qui le condamne à des actes terribles pour lui-même et pour les autres, ce serait déjà une oeuvre tout à fait utile.

Les élus que nous sommes peuvent confronter leurs opinions sur toutes sortes de sujets – nous venons d’ailleurs de le faire sur des sujets connexes depuis ce matin. Mais en ce qui concerne la protection des plus faibles, nous avons une obligation de consensus, une obligation à laquelle nous n’avons pas de difficulté à satisfaire quand nous le voulons : les lois sur l’égalité homme-femme et sur la protection de l’enfance comptent parmi celles sur lesquelles nous sommes toujours capables de parvenir à un consensus, souvent traduit par une belle unanimité. Ce fut encore le cas, je tiens à le souligner, monsieur le secrétaire d’État, en commission des lois la semaine passée. J’ai apprécié, je le redis dans l’hémicycle, les propos tenus par nos collègues du groupe majoritaire – je pense à Patrick Mennucci – qui ont reconnu que notre proposition rejoignait exactement la leur et qu’il n’avait pas matière à refus, d’autres collègues les rejoignant après avoir eu écho de la position du Gouvernement.

Nous avons ce matin été saisis en commission d’un amendement du Gouvernement visant à réécrire l’article unique. La commission a unanimement décidé de rejeter cette proposition de nouvelle rédaction, estimant qu’il fallait conserver celle qu’elle avait adoptée. J’ai constaté au vu des documents qui nous ont été remis que le Gouvernement a bien compris quelle était la détermination de la commission des lois et probablement de l’Assemblée tout entière, et qu’il va nous proposer cet après-midi le même amendement, non pas pour remplacer l’article unique mais au titre d’un article additionnel. Je dois vous dire, sans avoir consulté la commission puisque nous n’avons bien évidemment pas pu nous réunir depuis ce matin, que votre proposition, monsieur le secrétaire d’État, éventuellement assortie de quelques modifications bien modestes sur lesquelles je reviendrai, recevra le soutien du rapporteur et, dans l’esprit qui a présidé à nos débats, probablement celui de la commission et de l’ensemble des membres de cette assemblée.

Je crois que nous sommes à quelques minutes d’une décision qui fera date, car est sera importante dans son principe. Personne ne pourra dire que la méthode utilisée n’était pas la bonne. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous apprécierez à la fois la détermination, mais aussi l’esprit d’ouverture de la commission, et que vous saurez, par vos propos, garantir que le travail que nous avons fait sera soutenu par le Gouvernement pour le plus grand bien des enfants concernés et de la nation tout entière.

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