Intervention de Claudine Schmid

Séance en hémicycle du 8 octobre 2015 à 15h00
Rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaudine Schmid :

Cette proposition de loi, placée sous le haut patronage de son auteur, Marc Le Fur, qui préside cette séance, est à la fois simple et de bon sens. Elle vise à rétablir l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs, formellement supprimée depuis début 2013. Que se passait-il avant ?

Avant 2010, le droit en vigueur instituait un régime d’autorisation préalable à la sortie du territoire. Autrement dit, un mineur ne pouvait pas franchir la frontière sans disposer de l’accord exprès de l’un de ses parents ou, dans le cas d’une sortie scolaire ou parascolaire, du visa de l’autorité publique.

Le droit a néanmoins fait l’objet de deux compléments au cours de l’année 2010. Premièrement, par voie législative avec la création d’une interdiction judiciaire de sortie du territoire. La procédure d’IST permet au juge aux affaires familiales ou au juge des enfants de proscrire la sortie du territoire d’un mineur. Elle est systématiquement inscrite au fichier des personnes recherchées et, sauf instruction contraire du magistrat, au système d’information Schengen que partagent 27 États du continent européen.

L’interdiction de sortie du territoire prononcée par le juge des enfants revêt un caractère absolu, mais elle ne peut excéder une durée de deux ans. En revanche, la mesure décidée par le juge aux affaires familiales, si elle ne connaît pas de limite dans le temps, présente un caractère relatif : elle peut être levée par un accord ad hoc des deux parents. Dans les deux cas, la majorité de l’enfant met fin à la surveillance dont il fait l’objet.

Deuxièmement, par voie réglementaire, avec la possibilité de faire opposition à la sortie du territoire. L’opposition à la sortie du territoire d’un mineur est prévue par le décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées. Elle est prononcée à titre conservatoire à la demande du titulaire de l’autorité parentale, ou d’un des titulaires conjoints de l’autorité parentale, pour empêcher la sortie du territoire national d’un mineur, dans l’attente d’obtenir, par la voie judiciaire, une interdiction de sortie du territoire.

À regarder l’application de ces dispositifs, l’interdiction et l’opposition à la sortie du territoire, on peut dire qu’ils ont constitué une avancée importante dans la lutte contre les enlèvements d’enfant par l’un de leurs parents. Tel était d’ailleurs leur objet premier. De ce point de vue, il s’agit de dispositifs tout à fait satisfaisants.

Mais ils ont aussi, dans le même temps, donné lieu à une mauvaise interprétation par le Gouvernement. Ainsi, le 20 novembre 2012, une circulaire interministérielle a tiré argument du renforcement des dispositions légales et réglementaires pour décider la suppression des autorisations de sortie du territoire individuelles et collectives, qui constituaient jusqu’alors le régime de droit commun. Cette suppression est devenue effective au 1er janvier 2013.

Il en résulte, quoi qu’en disent certains, un régime particulièrement laxiste dans lequel les mineurs peuvent, pratiquement sans contrôle, franchir les frontières et quitter le pays. Il est désormais loisible à un mineur de se rendre à l’étranger, à la seule condition de posséder la pièce d’identité exigée de tout voyageur : carte nationale d’identité ou passeport en cours de validité, suivant les destinations. Le droit n’impose aucune limite d’âge : sont donc concernés tant les adolescents que les enfants les plus jeunes.

Il convient de mentionner, si l’on veut être précis, que le droit et la pratique ont toutefois imposé la persistance d’une autorisation dans deux cas particuliers.

En premier lieu, une autorisation doit être délivrée par les deux parents pour la sortie du territoire d’un enfant faisant l’objet d’une interdiction de sortie du territoire prononcée par le juge aux affaires familiales. Le décret du 10 septembre 2012 prévoit que cet accord doit être recueilli par un officier de police judiciaire cinq jours avant le départ, et que ce fonctionnaire doit dresser un procès-verbal.

En second lieu, la disparition des autorisations groupées de sortie du territoire a donné lieu à une circulaire du ministre de l’Éducation nationale en juillet 2013. Outre les documents d’identité exigés des voyageurs de droit commun, les élèves concernés sont tenus de présenter une autorisation parentale.

Voilà pour l’état de lieux. Sans doute aurait-on pu en rester là, dans d’autres temps et dans d’autres lieux, mais l’actualité fournit aux législateurs que nous sommes une raison supplémentaire de procéder au rétablissement de l’autorisation de sortie du territoire. Dans un contexte où de nombreux parents ont été les témoins impuissants du départ de leur enfant mineur vers des zones de conflit armé, à la suite d’une radicalisation qu’ils n’ont pu détecter à temps, les dispositifs issus des réformes de 2010 ont montré leur inadaptation à ces nouveaux enjeux.

Certes, le Gouvernement a tenté d’élargir l’opposition à la sortie du territoire, initialement réservée aux cas de conflit familial et d’enlèvement par un des parents, à la suspicion de terrorisme. Une instruction du 5 mai 2014 a donné aux parents la possibilité de solliciter une opposition à la sortie du territoire en cas de crainte d’un départ à l’étranger sous l’influence de mouvements radicaux armés. Toutefois, cette opposition « antiterroriste » présente la même faiblesse que le dispositif classique. Cette faiblesse a été relevée par les membres de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, présidée par Éric Ciotti, lequel soulignait : « Encore faut-il, pour [que cette mesure] soit efficace, qu’un parent ait perçu, chez son enfant, le risque d’un éventuel départ vers une zone de djihad, voire qu’un parent ne cautionne pas un tel départ ». En accord avec cette analyse de bon sens, la commission d’enquête a donc recommandé « de revenir à l’état du droit qui prévalait avant l’entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 2010 et, ainsi, rétablir l’autorisation de sortie du territoire individuelle ».

Nous nous félicitons que la commission des lois ait adopté la semaine dernière la présente proposition de loi en l’état et que, ce matin, elle ait repoussé l’amendement du Gouvernement tendant à réécrire, et pas seulement à compléter, le texte initial. En effet, cet amendement visait à renforcer l’existant pour permettre au procureur de la République, en cas d’urgence, de prononcer une interdiction de sortie du territoire, assortie d’une inscription au fichier des personnes recherchées, lorsque des éléments sérieux laissent supposer qu’un mineur s’apprête à quitter le territoire national et que ses parents n’ont pas entrepris de démarche pour obtenir une opposition préfectorale à la sortie du territoire. Un tel dispositif pécherait toujours par le même défaut : il suppose que le parent puisse anticiper un tant soit peu le départ de son enfant, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

S’agissant du troisième alinéa qui prévoit que les modalités d’application seront prises par décret, j’appelle votre attention sur la situation particulière des zones frontalières. Les déplacements quotidiens ou réguliers ne devront pas, en effet, y être entravés. Le décret devra donc prévoir un dispositif incluant une autorisation permanente, ou limitée dans le temps, ou encore restreinte à certaines destinations. Il devra aussi prévoir un dispositif spécifique pour les mineurs résidant à l’étranger, voire les exclure de cette disposition.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe Les Républicains requièrent l’adoption sans délai de la présente proposition de loi, dans sa rédaction initiale, voire complétée, mais sans qu’elle soit vidée de ses véritables apports.

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