Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un contexte grave : celui de la montée en puissance du djihadisme et de ses conséquences.
Mes chers collègues, le djihadisme nous a déclaré la guerre. Il frappe la France et, hélas, cela risque de continuer. C’est une menace quotidienne. Je me revois, à la fin 2014, exprimer mon inquiétude devant cette assemblée lors de séances tardives consacrées à l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme. À l’époque, on avait déjà eu l’affaire Merah à Toulouse et l’attaque du Musée juif de Bruxelles, où un Français avait été impliqué, mais, depuis, le phénomène n’a cessé de s’aggraver : dois-je rappeler les tueries à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher en janvier 2015 et l’assassinat de la malheureuse Aurélie Châtelain par Ahmed Ghlam – qui a, heureusement, manqué son attentat contre les églises du Val-de-Marne ? Puis, en juin de cette année, il y eut une décapitation en Isère et le projet, qui là encore a échoué, de faire sauter une usine chimique. Et combien d’autres projets ont avorté ? Combien ont été déjoués ? Surtout, combien sont actuellement en préparation ? Je ne veux pas être alarmiste, mais le risque s’accentue jour après jour. Le 21 août dernier encore, seul le courage héroïque de quelques passagers et peut-être la chance, voire le hasard, ont permis d’éviter un massacre dans le Thalys ; cela me fait penser à cette citation d’Einstein : « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito ».
Ce phénomène inédit dans sa nature et son ampleur mute comme un cancer et nous contraint à adapter notre législation dans l’urgence.
Un nombre croissant de citoyens français, dont plus du quart sont des convertis, s’engagent à l’issue d’une radicalisation aux côtés des djihadistes. Parmi eux, et c’est notre sujet aujourd’hui, beaucoup de mineurs, parfois de quinze ans à peine, dont nombre de jeunes filles, rejoignent les zones de combat en Irak et en Syrie. Ces jeunes sont des cibles privilégiées pour Daech, qui racole sur Internet et les réseaux sociaux et dispose de réseaux d’exfiltration partout en France et en Europe.
Nous sommes confrontés à un phénomène de masse. Le djihad est, hélas, devenu une sorte de mode parmi ces jeunes en mal de repères, avec une dynamique de groupe stimulante : on leur promet aventure, argent, armes, puissance, sexe. Le rapport de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dont j’ai eu l’honneur d’être vice-président, recensait mi-mai près de 1 700 individus impliqués dans les filières djihadistes dans notre pays ; parmi eux, 457 étaient à l’époque effectivement présents en Syrie ou en Irak, dont quatre-vingts mineurs, parmi lesquels quarante-cinq jeunes filles. Depuis, vous le rappeliez, monsieur le ministre, ces chiffres se sont malheureusement accrus. En d’autres termes, près d’un djihadiste sur cinq partis de France est mineur. Fin mai, plus de 500 individus étaient sur le départ, dont au moins une centaine de mineurs.
Fin 2014, le Gouvernement a envisagé le problème à sa juste mesure et mis en place un plan de prévention et de lutte contre les filières djihadistes. À ce jour, les résultats ne sont hélas pas bons. Les chiffres sont terribles : de vingt djihadistes en janvier 2013, on est passé à près de 2 000 aujourd’hui en France : pas dix, mais cent fois plus !
Devant le nombre croissant de mineurs quittant le sol national pour s’engager dans des organisations djihadistes au Moyen-Orient, la France doit renforcer son arsenal juridique. Force est de constater qu’à ce jour, les circulations extra-frontalières de mineurs ne sont pas assez contrôlées.
La proposition de loi de notre collègue et président de séance Marc Le Fur, du groupe Les Républicains, tend à renforcer le contrôle du franchissement des frontières par les mineurs. Elle pose le principe d’un retour au régime d’autorisation préalable des parents.
La législation applicable aux mineurs en matière de sortie du territoire n’est, de fait, pas adaptée. Je rappelle à mon tour que, depuis le 1er janvier 2013, un mineur peut se rendre à l’étranger sans autorisation de sortie du territoire de ses parents ; la seule condition est de posséder une carte nationale d’identité ou un passeport valide. La mise en place de l’interdiction de sortie du territoire et de l’opposition à la sortie du territoire en 2013 avait pour objet premier de répondre à la multiplication des enlèvements d’enfant par un des parents en cas de litige familial. Ces instruments ne répondent pas au risque d’embrigadement djihadiste.
Certes, l’article 19 du code frontières Schengen permet que des « modalités spécifiques de vérification » s’appliquent aux mineurs. Néanmoins, ce dispositif suppose l’expression d’une volonté explicite des parents, ce qui implique que ceux-ci soient pleinement conscients du processus d’embrigadement djihadiste de leurs enfants.
D’autre part, tenant compte du contexte actuel, une instruction du 5 mai 2014 a donné aux parents la possibilité de solliciter une opposition de sortie en cas de crainte d’un départ à l’étranger sous l’influence de mouvements radicaux. Toutefois, là encore, ce dispositif n’est efficace que si l’un des parents a perçu le risque d’un éventuel départ vers une zone de djihad, ce qui n’est pas toujours le cas. Indéniablement, notre législation comporte en la matière des failles, qu’il est de notre devoir de combler.
Au groupe UDI, nous sommes donc, sans aucune hésitation, favorables à cette proposition de loi. Toutefois, le rétablissement de l’autorisation parentale ne résoudra évidemment pas tout le problème du djihad des jeunes.
Les mots d’ordre doivent rester éducation, prévention et sanction. Nous savons que des réseaux existent pour endoctriner notre jeunesse ; ils sont très structurés et sévissent notamment sur Internet. Un travail considérable reste à accomplir. Une stratégie de prévention efficace doit commencer en amont, à l’école, creuset de la République.
Nous devons aussi, à mon sens, sans plus attendre, fermer toutes ces mosquées salafistes et expulser les imams radicaux qui prônent le djihad.
Nous devons aussi mener une politique de communication adaptée. La République ne peut laisser à ses ennemis mortels le monopole de l’imaginaire et du rêve. Il faut rendre coup pour coup, à l’instar des clips vidéo diffusés actuellement, qui mettent en avant les dangers de l’embrigadement.
Permettez-moi de rappeler une évidence : l’éducation est d’abord et avant tout de la responsabilité des parents. Un enfant, quel qu’il soit, ne naît pas djihadiste, raciste ou antisémite. Certes, dans certains cas largement médiatisés, les familles sont les premières victimes du drame que représentent ces jeunes embrigadés, souvent convertis et partis au djihad du jour au lendemain ; mais s’il peut arriver que la dérive djihadiste du jeune échappe à la vigilance de ses parents, il reste de la responsabilité de ces derniers de détecter les signes avant-coureurs de radicalisation. C’est ce qui ressort des entretiens que nous avons eus avec les nombreux parents que nous avons rencontrés dans le cadre de la commission. On ne peut pas, d’un côté, poser le principe d’une autorisation préalable des parents et, de l’autre, ignorer la responsabilité parentale.
Enfin, deux exigences devront guider le rétablissement de l’autorisation de sortie du territoire : l’efficacité et la faisabilité.
Deux risques principaux se présentent en effet. D’abord, la falsification : il conviendra de garantir l’authenticité du document administratif.
Deuxième risque : la charge de travail induite et sa répartition. Si l’objectif est de rétablir le même dispositif, cela constituera une charge de travail supplémentaire pour les personnels habilités des mairies, notamment dans les zones rurales, où les moyens des communes sont souvent beaucoup plus limités. En somme, il faut veiller à ce que ce texte entre en vigueur avec le maximum d’efficacité et le minimum de contraintes supplémentaires.
C’est pourquoi le groupe UDI soutiendra un amendement pour simplifier et adapter la future procédure d’autorisation de sortie du territoire. Le rétablissement de cette procédure n’est pas adapté au domaine scolaire. En effet, si le régime d’autorisation de sortie du territoire français a été supprimé, la circulaire du 16 juillet 2013 relative aux sorties et voyages scolaires prévoit que les parents doivent remettre à l’enseignant l’autorisation de participation d’un élève mineur à une sortie ou un voyage scolaire à caractère facultatif après l’avoir datée et signée.
Le rétablissement de l’autorisation de sortie du territoire vise avant tout à empêcher les départs de mineurs vers la Syrie ou l’Irak. Or – cela va de soi – les sorties scolaires ne présentent a priori pas ce risque, et le régime mis en place par le ministère de l’éducation nationale semble suffisant. Ainsi, l’amendement que je présenterai vise à exclure les sorties et voyages scolaires du champ de la proposition de loi. Je crois qu’un autre amendement portera sur les Français non-résidents. En tant que député des Français de l’étranger, je suis bien conscient qu’il serait très compliqué, pour les enfants de Français non-résidents qui seraient en séjour en France, de présenter ce document.
Mes chers collègues, le contexte actuel impose, hélas, une surveillance stricte des départs de mineurs vers les zones les plus dangereuses aux portes de l’Europe. Je fais miens les propos de notre rapporteur : « Une précaution, fût-elle imparfaite, vaut mieux qu’une permissivité totale. » Pour toutes ces raisons, le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi.
Je vous invite tous, ici, à oublier les clivages politiques traditionnels. Le Premier ministre l’a dit, de même que beaucoup d’entre nous : la lutte contre le terrorisme n’est ni de droite, ni de gauche. Face à cette menace, nous devons préserver un front uni.
Avant de céder la parole à l’orateur suivant, je tiens à ajouter une dernière remarque : la lutte contre les filières djihadistes doit être internationale. On ne peut adopter des lois contre les filières djihadistes sans en tenir compte dans nos relations avec les États qui soutiennent et alimentent ces mêmes filières. Il faut être lucide : les filières djihadistes ne se développent que parce que certains États leur apportent leur concours financier, logistique ou idéologique, par le biais des mosquées salafistes qu’ils financent en France, par le biais des associations prosélytes, par le biais des imams radicaux. Ces États, hélas, nous les connaissons ; parfois, hélas, nous les fréquentons, quand nous ne flirtons pas avec eux ! Pour les citer : l’Arabie Saoudite, le Qatar mais aussi l’Iran, matrice du djihad mondial depuis plus de trente ans. Cela, nous ne pouvons l’ignorer dans notre lutte contre la menace djihadiste.