Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la onzième préconisation du rapport de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes que j’ai rédigé et qui porte le titre « Face à la menace djihadiste, la République mobilisée », s’intitule « Rétablir l’autorisation de sortie du territoire individuelle pour les mineurs. » La commission d’enquête, présidée par Éric Ciotti, a adopté cette proposition à l’unanimité, comme les vingt-huit autres. Reconnaissons qu’il n’est pas commun, dans notre assemblée, que des travaux fassent l’objet d’un tel consensus !
C’est essentiellement parce que la commission d’enquête, toutes tendances confondues, a répondu à l’appel du chef de l’État après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo. Le sentiment d’unité nationale, le sens des responsabilités nous ont conduits, au-delà de nos différences politiques, au cours des travaux que nous avons menés au premier semestre.
Aujourd’hui, sous la présidence de notre collègue Le Fur, nous examinons cette proposition de loi sans attendre les résultats du travail que nous menons en coopération avec le ministère de l’intérieur. Il est évident que notre groupe votera pour cette proposition de loi, conformément à la position que nous avons adoptée en juin 2015. Pourquoi une telle position ? Pour l’expliquer, je me permettrai de rappeler quelques éléments issus des travaux de la commission d’enquête.
Notre réglementation s’est récemment enrichie de plusieurs outils pour empêcher certaines entrées ou sorties du territoire. Il s’agit tout d’abord de l’opposition à la sortie du territoire, qui concerne les mineurs, de l’interdiction de sortie du territoire, qui concerne des nationaux français, et de l’interdiction de retour, qui concerne des étrangers qui peuvent résider habituellement en France.
La loi du 9 juillet 2010 – que notre rapporteur a citée à plusieurs reprises en séance comme en commission – relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a introduit dans notre droit la possibilité pour le juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de sortie du territoire d’un enfant, à la demande de l’un des parents. Parallèlement, par souci de simplification, cette même loi a abrogé la base légale de l’autorisation de sortie du territoire, nécessaire pour qu’un mineur puisse se rendre à l’étranger. Cette loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.
En conséquence, dès l’année 2012, il est apparu que des mineurs avaient pu quitter le territoire national à l’insu de leurs parents. Dès le mois de novembre 2012, une circulaire conjointe du ministre de l’éducation nationale, de la ministre de la justice et du ministre de l’intérieur a conduit à revitaliser une mesure administrative préexistante : l’opposition à la sortie du territoire. L’opposition à la sortie du territoire à titre conservatoire a pour objectif de permettre à un titulaire de l’autorité parentale de faire opposition, sans délai, à la sortie de France de son enfant dans l’attente d’obtenir, en référé ou en la forme des référés, une décision judiciaire d’interdiction de sortie du territoire. Ces mineurs voient leur nom inscrit au fichier des personnes recherchées, en application du décret du 28 mai 2010.
Cette mesure administrative, dont l’effet est de deux semaines, résulte d’une demande formulée auprès des autorités préfectorales, avec un formalisme relativement réduit. Elle est donc d’un usage commode. Encore faut-il, pour qu’elle soit efficace, qu’un parent ait perçu, chez son enfant, le risque d’un éventuel départ vers une zone de djihad – et que ce parent ne cautionne pas un tel départ ! C’est pour cette raison précise, compte tenu de cette faille, que la commission d’enquête dont j’étais le rapporteur propose de revenir à l’état du droit qui prévalait avant l’entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 2010, et de rétablir ainsi l’autorisation de sortie du territoire individuelle.
Cher Meyer Habib, la question de l’école me semble réglée par le retour à la loi précédente, qui prévoyait déjà ce cas : l’autorisation de sortie du territoire ne sera pas nécessaire en cas de sortie collective organisée par un établissement scolaire ou une colonie de vacances. L’effectivité de la mesure administrative dépend de la capacité des garde-frontières à détecter les mineurs concernés. L’article 19 du code frontières Schengen permet d’appliquer aux mineurs des « modalités spécifiques de vérification » prévues à son annexe VII. Cette annexe ajoute que les « garde-frontières accordent une attention particulière aux mineurs, que ces derniers voyagent accompagnés ou non ».
Cela me permet de répondre à un argument avancé par M. le secrétaire d’État : cette question est déjà prise en compte par les règles de Schengen. Un garde-frontière posté aux frontières de l’espace Schengen doit vérifier, quand un mineur se présente à lui, son autorisation, selon des modalités différentes selon qu’il est accompagné par un adulte ou non. En bref, il doit vérifier ce que fait ce mineur à cet endroit.
Dans le cas de mineurs accompagnés, le garde-frontière doit vérifier l’existence de l’autorité parentale des accompagnateurs à l’égard du mineur, notamment dans le cas où le mineur n’est accompagné que par un seul adulte et où il y a des raisons sérieuses de croire qu’il a été illicitement soustrait à la garde des personnes qui détiennent légalement l’autorité parentale. Dans ce dernier cas, le garde-frontière effectue une recherche plus approfondie.
L’autorisation que nous rétablissons permettra à l’ensemble des garde-frontières de l’espace Schengen de disposer d’un document sur lequel s’appuyer pour effectuer ce contrôle. Puisque l’annexe VII du code frontière Schengen prévoit déjà un examen particulier pour les mineurs, le fait de fournir un tel document aux garde-frontières me paraît être une mesure de bon sens.
Dans le cas de mineurs qui voyagent non accompagnés, les garde-frontières effectuent – toujours selon l’annexe VII – une « vérification approfondie des documents de voyage ». Nous devons, monsieur le ministre, rappeler à nos partenaires européens que cette annexe VII est tout à fait compatible avec l’autorisation de sortie du territoire, car cette vérification approfondie sera facilitée par le document dont nous débattons. C’est pour cette raison précise, et nulle autre, que la commission d’enquête présidée par Éric Ciotti et dont j’étais le rapporteur a proposé de rétablir l’autorisation de sortie du territoire individuelle pour les mineurs.
Cet après-midi, nous travaillons à rétablir cette autorisation, mais nous devons aussi prendre en compte les remarques et les critiques qui ont été formulées tout à l’heure par M. le secrétaire d’État à propos de l’efficacité de cette mesure, et du surcroît de travail qu’elle engendrerait.
Tout d’abord, on nous oppose que ce document serait aisément falsifiable. Mais c’est notre lot, en tant que législateurs, que d’adopter des lois dont nous savons à l’avance que certaines personnes essaieront de les contourner ! Si l’Assemblée nationale se refusait à adopter des lois chaque fois que quelqu’un fait remarquer : « Vous savez, on va certainement contourner cette loi, alors ne la votez pas ! », notre activité en serait sérieusement réduite. Je crois donc que cet argument n’est pas recevable. Certes, il est vrai que ce document pourra être falsifié – cela a déjà été le cas. On nous raconte, par ailleurs, que dans certaines municipalités, des mineurs pouvaient venir eux-mêmes déposer leur dossier et repartir avec leur autorisation de sortie du territoire.
Comme d’autres ici, j’ai été maire. J’ai toujours constaté que les services de l’état-civil – avec lesquels nous nous réunissions annuellement pour faire le point – étaient très précis sur ces éléments : il faut que les parents soient bel et bien présents devant l’autorité municipale pour signer l’autorisation de sortie du territoire. Je ne crois pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’il soit besoin d’inclure les préfectures dans le dispositif. Il me semble évident que nous devons confier cette responsabilité aux communes.
Vous avancez un deuxième argument, concernant le surcroît de travail que cette mesure occasionnerait. J’attends de voir si un seul maire dans ce pays dira : « Je ne veux pas le faire, cela fait trop de travail ! » Je connais les maires, de droite comme de gauche, et je crois qu’ils accepteront de faire à nouveau ce travail de proximité, qui permet de nouer des liens pour prendre ce type de décision en connaissance de cause. Il appartiendra évidemment à M. le ministre de l’intérieur de préciser, dans le décret d’application, les conditions de délivrance de cette autorisation.
Il faudra par ailleurs trouver un moyen de combattre la falsification dont on a parlé. Vous vous rappelez à quoi ressemblait cette autorisation : c’était un simple document jaune. Il existe, aujourd’hui, d’autres façons de faire. Il faut que les services de Bernard Cazeneuve regardent comment l’informatique – entre autres – peut permettre de rendre ces documents moins facilement falsifiables – encore que je ne crois pas que ces documents aient fait l’objet d’un trafic si important que cela.
L’autre critique vise l’alourdissement de la charge de travail ; mais au fond, c’est l’ensemble de la société, et non seulement l’exécutif, le Parlement et les collectivités territoriales, déjà fortement engagées en ce domaine, qui doit participer à la lutte antiterroriste – c’est d’ailleurs le sens de l’amendement portant article additionnel du Gouvernement, que je voterai, puisqu’il tend à donner plus de pouvoir au procureur de la République.
La sûreté des mineurs est un objectif essentiel du Gouvernement de Manuel Valls, et chacun s’accorde à reconnaître que le travail accompli en la matière au cours des derniers mois a été sérieux. La plateforme de signalisation a permis au procureur de la République de prononcer un certain nombre d’interdictions de sortie du territoire pour des mineurs, contre leur volonté et parfois même celle de leurs parents, quand ceux-ci n’étaient pas à l’origine de la demande.
Le dispositif proposé par le Gouvernement permettra à la société d’être plus attentive, en donnant au procureur de la République la possibilité de prendre une mesure rapide : j’y souscris donc pleinement, de même que le groupe SRC.
Certaines mesures du rapport de la commission d’enquête ont d’ores et déjà été mises en oeuvre : je pense par exemple à l’obligation, pour les cadres religieux qui interviennent en prison, d’être titulaires de diplômes. La loi relative au renseignement a, par ailleurs, réglé beaucoup de questions dont le rapport soulignait qu’elles restaient en suspens. Toutefois, aucune suite n’a encore été donnée à l’idée de « réconcilier » le nom figurant sur la carte d’identité – ou le passeport – et sur le billet d’avion. Ce matin encore, en embarquant à Marignane après avoir entendu le beau discours du Président de la République au Camp des Milles, j’ai constaté qu’il me serait loisible d’échanger ma carte d’embarquement avec n’importe quel individu se rendant ailleurs qu’à Paris, sans que personne ne me demande aucun titre d’identité. La réconciliation de ce titre avec le nom figurant sur le billet d’avion est l’une des préconisations de la commission d’enquête. Nul n’est besoin, au reste, d’une proposition de loi pour la mettre en oeuvre : nous pourrions trouver une solution pour avancer ensemble. En tout état de cause, nous devons nous pencher sur cette question, qui engage la sécurité de tous ceux qui voyagent dans notre espace aérien.
Le groupe SRC, comme je l’ai déjà indiqué, votera en tout cas la proposition de loi.