Intervention de Philippe Gomes

Séance en hémicycle du 28 octobre 2015 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comment peut-on se satisfaire du fonctionnement de la justice, aujourd’hui, dans notre pays ?

Les magistrats sont en nombre insuffisant, bien qu’on nous annonce à chaque budget qu’ils seront plus nombreux : comme soeur Anne, nous ne voyons rien venir à l’horizon.

Nos établissements pénitentiaires, qui sont devenus le meilleur terreau pour le développement de l’islamisme radical, connaissent une suroccupation chronique.

Les délais de jugement s’apparentent aujourd’hui trop souvent, dans notre système, à des dénis de justice. Enfin, le clivage entre la justice et la police n’a jamais été aussi marqué : il a récemment donné lieu à une manifestation quasiment unique dans les annales de la Ve République. Voilà le rapide procès que nous pouvons faire de notre justice aujourd’hui.

Alors certes, avec près de 8 milliards d’euros de crédits de paiement, le budget consacré à la justice affiche cette année une légère hausse de 1 %.

Nous prenons acte de cette hausse des moyens alloués à une mission aussi importante que celle de la justice. Mais, eu égard à l’ensemble des insuffisances que j’ai signalées, nous ne considérons pas que ces moyens permettront de réduire, ne serait-ce que faiblement, les carences constatées.

Comme l’an dernier, le Gouvernement souhaite poursuivre la mise en oeuvre de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Or nous doutons, depuis l’origine, que cette réforme puisse prévenir et lutter contre la récidive.

En outre, alors que l’exécution des peines doit demeurer une priorité, ce budget ne répond pas au réel besoin d’accroissement de la capacité carcérale de notre pays, avec la création de près de 2 300 places nettes sur la période 2015-2017.

Je tiens toutefois à saluer les efforts consentis en faveur de l’outre-mer, et notamment en faveur de la Nouvelle-Calédonie, efforts qui se traduisent par la construction du centre pénitentiaire de Koné. Ce nouvel établissement était indispensable, compte tenu de la suroccupation chronique du centre pénitentiaire dit du « Camp-Est » de Nouméa : c’est une très bonne nouvelle pour notre petit pays.

Le document budgétaire fait état de moyens supplémentaires, au titre du plan de lutte contre le terrorisme, avec un effort de 333 emplois et 50,2 millions d’euros en crédits de paiement, hors dépenses de personnel.

Le volet pénitentiaire du plan de lutte anti-terroriste du ministère de la justice doit ainsi renforcer les capacités de renseignement de l’administration pénitentiaire, créer des modules spécifiques de prise en charge et de prévention des phénomènes de radicalisation en prison et former les agents.

Alors que, comme je l’ai déjà indiqué, la prévention de la radicalisation constitue un point central dans la lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons qu’approuver ces mesures.

Pour autant, nous doutons de la réalité de l’augmentation des effectifs. Le rapporteur spécial, Étienne Blanc, indique en effet que l’exécution du budget de la justice au cours des trois années précédentes « met en évidence l’écart des annonces d’augmentation des effectifs avec la réalité ; les créations d’emplois ne sont pas au rendez-vous et les plafonds d’effectifs ne sont pas saturés car les crédits de rémunérations d’activité ne sont pas suffisants au regard des plafonds emplois annoncés ». Dans ces conditions, quel crédit accorder, cette année encore, à ces annonces ?

Enfin, comment, en conclusion, ne pas déplorer les multiples hésitations et renoncements, depuis près de deux ans, sur la question de l’aide juridictionnelle, qui témoignent d’une véritable improvisation ?

En janvier 2014, le Gouvernement a supprimé la contribution pour l’aide juridique. Or, depuis, il n’a cessé d’augmenter les taxes : revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique, augmentation des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, puis augmentation du droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel.

Il aura fallu un mouvement de grève sans précédent pour que le Gouvernement renonce à financer l’augmentation de l’aide juridictionnelle par un prélèvement de 15 millions d’euros sur les Caisses des règlements pécuniaires des avocats, dispositif que l’Assemblée nationale avait pourtant voté une semaine auparavant. Ce renoncement n’a d’ailleurs toujours pas été confirmé devant la représentation nationale et l’on ignore, à ce jour, ce qui sera substitué à ce financement.

En outre, bien des problématiques restent non résolues, notamment celle de l’unité de valeur qui permet de calculer la rémunération : nous voyons donc s’éloigner, de plus en plus, la perspective d’une véritable modernisation de la justice dont notre pays a véritablement besoin.

Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent que vous entendiez l’exaspération des professions judiciaires et que mettiez enfin en oeuvre une véritable refonte, qui soit viable, de ce système.

sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

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