La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à M. Jean-Claude Mignon, pour le groupe Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, votre escapade matinale de lundi dernier n’aura échappé à personne. Ce n’était bien évidemment ni une opération de communication, ni une opération de « reconquête des banlieues », comme vous l’avez appelée et comme cela a été relayé amplement par les médias – nous n’en croyons d’ailleurs pas un mot !
Il ne faut pourtant pas oublier ni passer par pertes et profits le travail important qui a été réalisé au cours de ces dernières années grâce à Jean-Louis Borloo, lorsque nous avons créé l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Celle-ci donne aujourd’hui toute satisfaction dans un certain nombre de quartiers, y compris dans la ville d’Évry dont vous étiez encore, il y a peu, le maire.
Nous avons constaté que vous étiez accompagné par M. Jean-Paul Huchon, qui est encore président du conseil régional d’Île-de-France et président du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF. Quel dommage, monsieur le Premier ministre, que vous ne soyez pas allé aux Mureaux avec les transports en commun !
Rires et applaudissements sur divers bancs du groupe Les Républicains.
Vous auriez alors pu vous rendre compte à quel point les conditions que nous imposons à nos concitoyens pour se déplacer sont tout à fait honteuses ! Lorsqu’ils ont rejoint, le soir, après moult difficultés, leur commune, ils doivent ensuite emprunter les transports en commun, en particulier des bus.
Le 19 octobre dernier, à Melun, dans ma circonscription, il s’est passé quelque chose d’inadmissible : un bus a encore une fois été attaqué par une vingtaine d’individus, qui l’ont caillassé et littéralement lapidé avant de s’en prendre, une fois de plus, au chauffeur.
Monsieur le Premier ministre, il est grand temps de passer de la parole aux actes en montrant aux Françaises et aux Français que le laxisme et la politique de l’excuse, c’est terminé, et en faisant en sorte que l’uniforme que portent nos policiers, l’uniforme de la République française, soit respecté.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, cher Jean-Claude Mignon, nous nous connaissons depuis longtemps mais j’avoue que je ne savais pas très bien où vous vouliez atterrir avec votre question !
« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Si vous voulez me faire dire que, pour ce qui concerne la politique de la ville et la rénovation urbaine, il y a une continuité depuis trente ans, alors oui, il y a une continuité ; je l’ai dit lundi et nous le rappelons régulièrement avec M. Kanner. Nous constatons d’ailleurs sur ce sujet qu’il y a des résultats et aussi des doutes, des attentes et des urgences dans les quartiers populaires ; mais il y a une continuité.
J’ai eu l’occasion, et Patrick Kanner l’a fait lui-même dans cet hémicycle, de saluer l’engagement de Jean-Louis Borloo et la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. L’année dernière, le Président de la République a annoncé que 5 milliards seront injectés dans la rénovation urbaine, lesquels permettront la réalisation de 20 milliards d’investissement. Nous avons en outre annoncé au début de l’année le rétablissement des 100 millions d’euros de crédits qui avaient été enlevés aux associations au cours du quinquennat précédent.
Bref, le travail se fait dans la continuité parce que nous savons qu’il faut du temps pour lutter contre les inégalités à l’école, pour recoudre nos quartiers, pour rénover nos espaces publics, pour faire en sorte que l’emploi, l’économie, les entreprises s’implantent durablement, pour lutter contre les discriminations. Il n’est pas nécessaire de prendre les transports en commun ou la voiture pour se rendre compte de ces réalités que nous connaissons bien, vous et moi.
Dans ces réalités, il y a bien sûr la lutte contre l’insécurité. Dans ces quartiers où sévit l’échec scolaire, où le chômage est plus élevé, en particulier chez les jeunes, où une partie des habitants est touchée par des discriminations, se rajoute une autre inégalité : l’insécurité.
Avec le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, nous en faisons une priorité. C’est tellement vrai que nous avons créé des zones de sécurité prioritaires ; c’est tellement vrai que rien ne peut rester impuni, par exemple quand on s’attaque aux transports en commun.
Je ne vous ai pas entendu, malgré l’amitié qui nous lie, critiquer les baisses des effectifs dans la police et dans la gendarmerie, ni la baisse du budget de fonctionnement dans la police. Nous, nous avons augmenté les moyens et les effectifs dans la police : c’est comme cela qu’on redonne confiance à nos forces de l’ordre et qu’on lutte contre l’insécurité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Hier, monsieur le Premier ministre, la seconde chambre, le Sénat, a étouffé le processus de révision de la Constitution qui devait permettre la ratification de la charte des langues régionales.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Pour beaucoup de ceux qui sont ici, et qui avaient voté en janvier 2014 en faveur de ce processus – je rappelle que nous étions 361 –, cela a été une triste nouvelle. Ce n’est certes pas une surprise, puisque le président du Sénat et celui du groupe Les Républicains avaient clairement annoncé leur intention de s’opposer à ce texte.
Mais pour nombre de nos concitoyens de Bretagne et des Antilles, de Corse et de Polynésie, d’Alsace et de Guyane, du Pays basque et de l’île de la Réunion, ce vote hostile aux langues régionales restera comme une gifle, comme une marque de dédain, comme une forme de mépris.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Chez nos principaux partenaires européens, qui appliquent depuis des années la charte, cette frilosité sénatoriale sera interprétée comme une manifestation d’archaïsme, comme un déni de la diversité culturelle de nos territoires, comme un refus de notre richesse linguistique.
Interruptions sur les bancs du groupe Les Républicains.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existe donc un quarteron de sénateurs qui pensent que les enfants scolarisés dans les ikastola, les comédiens qui jouent en créole, les journalistes qui travaillent à France Bleu Breiz Izel sont les vecteurs de la destruction de l’unité de la République.
Mêmes mouvements.
Monsieur le Premier ministre, l’histoire retiendra que deux gouvernements, celui de Lionel Jospin et le vôtre, furent les seuls à s’engager pour un progrès durable, parce que constitutionnel, pour les langues régionales.
Et l’histoire retiendra que ce furent Jacques Chirac et un Sénat de droite qui s’y opposèrent avec obstination.
Monsieur le Premier ministre, quel est votre état d’esprit au lendemain de ce vote qui semble éteindre le processus de révision constitutionnelle que vous aviez engagé ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – « Allô ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président Jean-Jacques Urvoas, votre question a trait à un sujet essentiel : la conception que nous nous faisons de la nation, à la fois de sa richesse et de son unité.
La France, du fait de son histoire, rassemble sur ses territoires métropolitains et ultramarins des cultures, des paysages et des langues diverses. La France, c’est cette somme de singularités, et c’est ce qui, je le crois comme vous, fait sa force.
La France, c’est bien sûr la République, qui place au-delà de tous les particularismes l’idéal de citoyens libres et égaux en droits. Ce sont ces deux principes qui doivent nous guider : respect de la diversité et défense acharnée de la citoyenneté – et vous savez combien ces principes me tiennent à coeur.
Alors oui, comme vous, comme beaucoup dans cette assemblée, et, jusqu’à maintenant du moins, sur l’ensemble de ces bancs, je regrette profondément le choix de la droite sénatoriale,…
…un choix qui a purement et simplement empêché le débat.
Au moment où notre pays a besoin d’écrire une histoire qui reconnaît toutes les histoires, de partager un destin commun et un idéal ambitieux qui fait place à tous nos concitoyens, je regrette et je déplore ce qui est une faute de la droite sénatoriale.
Ce débat nous aurait permis de montrer combien s’opposer aux langues régionales, c’est envoyer, comme vous l’avez très bien dit, un message de défiance à tous nos concitoyens, de Bretagne, du Pays basque, de Provence, de Corse, d’Alsace ou des Antilles.
« C’est faux ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Un message de défiance aussi envers ceux qui parlent alsacien, catalan, occitan, breton ou créole.
Défiance à l’égard de tous ceux qui veulent faire vivre leur histoire et leur tradition, et tout cela au nom de la République ! Quel contresens ! C’est au contraire cette vision étriquée, petite, rabougrie qui affaiblit la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
C’est le refus de la diversité qui stigmatise beaucoup de nos concitoyens, comme si le lien qui les unit à cette République en était moins fort. Eh bien non, et je veux le dire clairement : la ratification de la charte des langues régionales n’est pas un danger pour notre langue.
« Si ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Ce n’est pas un danger pour notre cohésion sociale et encore moins pour l’unité de notre territoire.
Alors oui, la droite sénatoriale – et pas seulement sénatoriale si je comprends bien – a refusé le débat. C’est un aveu de faiblesse que d’utiliser ainsi les artifices de procédure pour masquer les profondes divisions de l’opposition sur le sujet.
Ici, à l’Assemblée nationale, vous l’avez rappelé, 361 députés, dont 40 du groupe Les Républicains, s’étaient prononcés en faveur de la proposition de loi que vous aviez déposée, monsieur le président Urvoas. J’imagine qu’aujourd’hui ces mêmes députés, sur tous ces bancs, ne se reconnaissent pas dans la posture adoptée par la majorité sénatoriale, et je regrette que ces voix ne se soient pas fait entendre.
Mais sans doute sont-elles couvertes par les cris du président Jacob.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
La France est un grand pays, notamment par sa langue. Il est hors de question de la remettre en cause et de la menacer. Au contraire, nous devons tout faire pour la promouvoir et la faire rayonner, car elle porte aussi nos valeurs dans le monde.
Alors ayons confiance en nous-mêmes. Je sais que la majorité a confiance en la France,…
…dans son unité et dans sa diversité, et, monsieur le président, nous poursuivrons ce combat.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, le 19 octobre 1995, il y a tout juste vingt années, Bernard Borrel, ancien procureur de la République à Lisieux, en poste à Djibouti depuis 1994, était retrouvé mort, carbonisé. Son cadavre gisait calciné aux pieds d’une falaise à quelques kilomètres de Djibouti.
Tout fut fait dans un premier temps par les autorités djiboutiennes, sans résistance aucune des autorités françaises, pour accréditer la thèse du suicide. Dans ce qu’il faut bien appeler une affaire d’État, il fallut obtenir le dessaisissement des premiers juges. Il est aujourd’hui acquis, sans contestation possible, que le procureur Borrel a été assassiné.
Des mandats d’arrêt ont été émis, tant par la cour d’appel de Versailles que par les nouveaux juges d’instruction contre différentes personnalités djiboutiennes et tunisiennes.
La République, monsieur le Premier ministre, se doit de protéger ses magistrats ; elle se doit de protéger ses procureurs, elle se doit de protéger ses juges. Or aucun document n’a été déclassifié ni même retrouvé pour la période comprise entre le mois d’octobre 1995, date de l’assassinat, et les deux années qui suivirent, alors que différents témoins ont affirmé l’existence de notes sur les circonstances du décès.
De même, tous les documents concernant l’actuel Président de la République de Djibouti ont été déclarés incommunicables.
La France va-t-elle enfin résister à la raison d’État et ordonner la déclassification de tous ces documents couverts par le secret d’État ?
Par ailleurs, les élèves de l’école nationale de la magistrature, dont Bernard Borrel sortit major, ont décidé que l’une de leurs promotions porterait son nom.
Vingt ans après son assassinat, serait-il possible, monsieur le Premier ministre, de saisir M. le Président de la République pour qu’enfin on honore un magistrat assassiné qui est mort pour la France ?
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Monsieur le député, je veux d’abord excuser Christiane Taubira, retenue pour des raisons personnelles.
Il y a vingt ans, vous l’avez dit, le 19 octobre 1995, le corps de Bernard Borrel, magistrat détaché en qualité de conseiller technique auprès du ministre de la justice de la République de Djibouti, était retrouvé en contrebas d’une route dans la région de Djibouti. L’enquête diligentée sur place concluait à un suicide par immolation.
Mais le 7 décembre 1995, le procureur de la République de Toulouse, lieu de domiciliation de la famille Borrel, requérait l’ouverture d’une information judiciaire en recherche des causes de la mort.
Le 3 mars 1997, Mme Élizabeth Borrel, veuve de l’intéressé, déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des magistrats instructeurs de Toulouse du chef d’assassinat.
Depuis le début de cette enquête, confiée à des juges d’instruction indépendants, de multiples investigations ont été menées sans interruption pour la manifestation de la vérité. Elles ont d’ailleurs permis d’ouvrir la piste criminelle.
Cette instruction est conduite, monsieur le député, en toute transparence, puisque les parties ont accès à l’intégralité des actes d’enquête versés au dossier.
Il n’appartient pas au Gouvernement, vous le savez, de commenter une instruction en cours. Il veille à ce que les magistrats en charge de cette enquête disposent des moyens indispensables pour la conduire dans les meilleures conditions et à ce qu’ils accèdent aux pièces nécessaires.
Vous l’avez dit, monsieur le député, la disparition d’un magistrat en exercice est un fait particulièrement grave. Cette enquête, qui met en jeu des parties étrangères sur des faits anciens, est évidemment complexe. Elle doit se poursuivre en toute indépendance pour que la vérité éclate dans cette affaire qui dure depuis trop longtemps.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture. Elle porte sur les retraites agricoles.
En application de l’article 35 de la dernière loi sur les retraites, un décret publié en août 2015 prévoit d’attribuer, de manière différentielle, des points de retraite complémentaire obligatoire aux agriculteurs non-salariés. L’objectif est qu’aucun retraité agricole ne perçoive une pension inférieure à 75 % du SMIC.
Cet objectif sera atteint s’agissant de la France continentale où le montant de la retraite agricole se situe aux alentours de 722 euros par mois, mais il en sera tout autrement pour la grande majorité des retraités agricoles de La Réunion qui perçoivent en moyenne une retraite mensuelle de 320 euros.
À l’origine de cet écart, l’arrivée tardive de la Sécurité sociale, mais aussi des exploitations agricoles dont la superficie, en général très faible, devient un paramètre pénalisant dans le calcul des retraites.
L’application uniforme du décret permettra certes une revalorisation des pensions mais, pour la quasi-totalité des 15 000 retraités agricoles de La Réunion, son montant restera bien éloigné des 75 % du SMIC, alors même qu’ils sont confrontés à la cherté de la vie et que leur retraite est toujours versée bien tard dans le mois.
Pour que cet engagement présidentiel s’applique à l’ensemble des retraités agricoles de la République, il est indispensable de prendre en compte la diversité des situations. Cette démarche, qui faciliterait l’installation de jeunes agriculteurs, pourrait être l’une des premières étapes vers cette égalité réelle prônée par le Gouvernement.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour que tous les retraités agricoles des départements d’Outre-mer perçoivent, eux aussi, une pension équivalente à 75 % du SMIC ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Madame la députée, vous avez évoqué la question de la revalorisation des retraites agricoles. Vous avez rappelé qu’elle est liée à une loi votée ici en 2011, qui prévoit que les retraites agricoles, entre 2015 et 2017, pour des carrières complètes, atteignent 75 % du SMIC.
La revalorisation est en cours. Vous avez indiqué très justement que cette loi s’applique aux carrières complètes, puisque ce sont des compléments aux retraites complémentaires qui sont apportés pour atteindre les 75 % du SMIC.
Il manque des points en cas de carrière incomplète, c’est-à-dire de carrière qui ne s’est pas inscrite dans la durée ou qui n’a pas été continue. C’est le cas en Outre-mer.
L’application de la loi est la même pour tous, partout : c’est sur les carrières complètes que la revalorisation a lieu. Lorsque la carrière est incomplète, il faut chercher à garantir la solidarité nationale, par des allocations spécifiques aux personnes âgées.
Outre-mer, cette allocation spécifique atteint les 800 euros pour une personne seule et 1 200 euros pour un couple, ce qui permettrait d’atteindre l’objectif des 75 % du SMIC : c’est la solution pour assurer, partout sur le territoire, le relèvement des retraites et résoudre le problème des carrières incomplètes.
Rémi Fraisse a été tué, il y a un an déjà.
Pour beaucoup d’entre nous, il y aura un avant et un après ce 26 octobre 2014.
Rémi Fraisse a été tué, sa famille et ses proches sont toujours en deuil. Nous ne pouvons pas réparer le mal qui leur a été fait. Nous ne pouvons que faire oeuvre de justice.
Faire oeuvre de justice, c’est répéter que Rémi Fraisse était pacifiste.
Faire oeuvre de justice, c’est aussi rendre son corps à sa famille, pour qu’un an après, elle puisse enfin lui dire adieu.
Faire oeuvre de justice, c’est enfin demander des comptes à nos enquêteurs. Le journal Le Monde relevait cette semaine les incohérences découvertes lors de l’enquête : témoignages contradictoires accablants des gendarmes, enquête citoyenne de la Ligue des Droits de l’Homme ignorée, …
…préfet non auditionné par la justice.
Monsieur le ministre de l’intérieur, pourquoi n’y a-t-il pas eu d’acte d’enquête depuis le mois de mars, alors que la responsabilité des forces de l’ordre dans la mort de Rémi Fraisse est avérée ? Le Président de la République s’est pourtant engagé à ce que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
Rémi Fraisse a été tué, nous ne le ferons pas revenir. Nous pouvons cependant faire en sorte que plus jamais, un jeune désarmé ne soit victime de la force publique.
Monsieur le ministre, nous avions cru que la mort de Vital Michalon, le 31 juillet 1977 à Creys-Malville, avait marqué la fin de l’utilisation des grenades offensives. Quarante ans plus tard, la leçon n’a pas été retenue. Quelles mesures avez-vous prises pour interdire définitivement ces armes ?
Rémi Fraisse a été tué, nous honorons sa mémoire. Les renoncules se sont répandues sur les réseaux car nous n’oublierons jamais à quel point son engagement citoyen et pacifiste était sincère.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Madame la députée, je voudrais tout d’abord, un an après la mort de Rémi Fraisse, m’associer à l’émotion dont vous venez de témoigner par votre question et dire ce que j’avais déjà eu l’occasion d’indiquer ici il y a un an : lorsqu’un jeune garçon de 21 ans meurt dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre où il y a de la violence, c’est un échec, dont il faut tirer toutes les conclusions.
La vérité, que vous appelez de vos voeux madame Attard, exige une grande rigueur intellectuelle. Je voudrais par conséquent vous apporter quelques éléments de réponse précis.
Vous me demandez quels enseignements ont été tirés de ce tragique événement. J’ai commandé immédiatement après la mort de Rémi Fraisse une enquête à l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale et, au terme de cette enquête, j’ai décidé d’interdire définitivement l’utilisation des grenades offensives.
Interruptions sur les bancs du groupe Les Républicains.
Pourquoi dire dans votre question qu’aucune conclusion n’a été tirée et que ces grenades ne sont pas encore interdites, alors que j’ai pris la décision de les proscrire il y a un an ?
Lorsque l’on cherche la vérité, on s’exprime dans la question que l’on pose avec la plus grande rigueur.
Deuxièmement, vous faites comme si l’enquête judiciaire était déjà conclue. Mais il y a des magistrats indépendants qui enquêtent, il y a des magistrats indépendants qui auditionnent et j’ai indiqué, dès les premières heures après la mort de Rémi Fraisse, que l’ensemble de mes services se tenaient à la disposition de la justice pour que toute la vérité soit faite et je le confirme solennellement devant l’Assemblée nationale.
Enfin, je pense comme vous que la vérité est nécessaire. Mais la vérité, c’est une exigence éthique, c’est une dignité. C’est une obligation faite à soi-même, à chaque instant, que d’aller chercher la vérité et de ne jamais l’instrumentaliser à des fins politiques.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question s’adressait à Mme le garde des Sceaux, qui ne daigne plus venir devant cette Assemblée
Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je voulais lui dire ceci.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous parler de mon cas personnel.
Après tout, un juge d’instruction qui démontre, affaires après affaires, qu’il est indigne d’exercer ses fonctions, cela se voit bien souvent.
Après tout, des juges infâmes qui rendent un jugement inique, ce n’est pas la première fois dans l’histoire judiciaire et pas la dernière sans doute. Mais quand ces comportements deviennent habituels, il faut s’inquiéter pour nos libertés.
Écoutes incontrôlées, perquisitions sans raison, violation du secret de l’instruction et du secret professionnel des avocats, instrumentalisation de la presse, instructions à charge, mises en examen injustifiables, mépris de la Constitution, mépris de la loi, mépris des victimes, abus de pouvoir, voilà le visage d’une justice qui ne mérite plus son nom !
L’indépendance de la justice ne donne pas au juge le droit de juger selon ses caprices, ses préjugés, ses rancoeurs.
Dans la magistrature, comme partout ailleurs, il y a des gens qui honorent leur fonction et il y a aussi des pervers, des psychopathes, des militants aveuglés par leur idéologie, des gens auxquels l’ivresse de leur toute-puissance fait perdre tout discernement
Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.
Qui sanctionne leurs fautes quand eux, qui jugent tous les autres, se jugent eux-mêmes au sein d’un corps que vous laissez dévaster par le syndicalisme et le corporatisme en faisant de la magistrature une clientèle ?
Mêmes mouvements.
« Circulez, il n’y a rien à voir ! » « Faites donc un recours ! »
En attendant, qui répare les vies brisées, les réputations détruites des innocents traînés dans la boue ?
Et, pendant ce temps, les trafiquants et les voyous sont en liberté. Tout est normal !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains. - Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
L’État est condamné pour faute lourde à cause d’une instruction conduite de façon scandaleuse et le juge est promu. Tout est normal !
Le juge de l’affaire d’Outreau est promu à la Cour de cassation. Tout est normal !
Mêmes mouvements.
L’institution judiciaire couvre la fraude à la loi pour la PMA et la GPA. Tout est normal !
Des juges politisés sont prêts à devancer tous vos souhaits sans que vous ayez à le leur demander. Tout est normal !
Vives protestations et huées sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Le tumulte couvre les propos de l’orateur.
Des « Fouquier-Tinville » aux petits pieds croyant siéger au tribunal révolutionnaire se prennent…
Votre temps de parole est écoulé, monsieur Guaino.
La parole est à M. le Premier ministre.
Monsieur le député, si Christiane Taubira n’est pas présente au sein de cet hémicycle, c’est qu’elle se trouve en Guyane pour assister à l’inhumation d’une proche parente. Voilà pourquoi elle n’est pas là. Dans le cas contraire, elle vous aurait répondu avec la conviction et la force que vous lui connaissez.
Honte à vous, monsieur Guaino !
Si je peux parfaitement comprendre vos sentiments profonds, monsieur le député, je ne peux en revanche pas accepter ici, dans cet hémicycle, les mots que vous avez utilisés et la mise en cause de la magistrature.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste. - « Dérapage ! », « Inadmissible ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Bien sûr, monsieur Guaino, un magistrat, comme un haut fonctionnaire, un policier, un responsable public est évidemment responsable de ses actes. Vous avez d’ailleurs cité une affaire qui a donné lieu à une commission d’enquête animée par deux parlementaires qui siègent ou siégeaient dans cette Assemblée.
Mais, précisément, au nom même des valeurs de la République – que vous partagez par ailleurs –, au nom même de l’idée de la séparation des pouvoirs, le respect de l’indépendance de la justice et des hommes et des femmes qui font la magistrature s’impose.
Leur mise en cause dans cet hémicycle par un député comme vous, avec la notoriété qui est la vôtre, revient à affaiblir l’État de droit,
Applaudissements sur les mêmes bancs
la République, les fondements qui sont les siens ainsi que ses valeurs
Mêmes mouvements
Parce que vous êtes précisément attaché à ces valeurs, je vous en conjure, monsieur le député, abandonnez ce discours, reprenez vos esprits et revenez sereinement au cadre républicain, soit, au respect des pouvoirs !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.
La parole est à M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, le Valenciennois et la Sambre sont inquiets en raison du déploiement du plan de sauvegarde de l’emploi du groupe Vallourec : 320 postes sont concernés, sans doute un peu plus avec l’impact qu’il aura sur les sous-traitants.
Face à une telle situation, je souhaite rappeler l’esprit d’initiative et de responsabilité qui anime aujourd’hui les salariés et les organisations syndicales de l’entreprise, comme vous avez pu le constater lors de votre visite sur le site.
Néanmoins, le temps presse et chaque jour qui passe nourrit un peu plus les inquiétudes quant à la fermeture définitive de ce dernier, hypothèse que vous aviez d’ailleurs absolument rejetée en assurant qu’il ne fermerait pas et qu’il n’y aurait pas de licenciements – je sais que vous êtes particulièrement impliqué dans cette affaire, ce dont je vous remercie à nouveau.
Par ailleurs, le groupe Vallourec recherche toujours un actionnaire majoritaire pour l’aciérie et assure ne pas disposer de scénario-type.
Je voulais vous dire à nouveau que le seul scénario possible, là aussi, c’est le maintien voire le développement de l’activité sur le site.
Au-delà du cas Vallourec, monsieur le ministre, c’est toute la question de la politique industrielle de notre pays qui est posée.
Je déplore que, tous les jours, des compétences, des savoir-faire, des outils de production quittent notre pays et fassent le bonheur de nos voisins européens.
Que nous restera-t-il demain ? Le secteur tertiaire, le tourisme ? Certes, les cols blancs sont importants pour notre pays mais les cols bleus le sont tout autant pour notre économie et son rayonnement
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Trois questions, monsieur le ministre.
Comment l’État actionnaire compte-t-il garantir le maintien de l’activité ?
Pensez-vous vous impliquer dans le rachat de l’aciérie, le choix de l’actionnaire majoritaire, sa gouvernance et sa stratégie ?
Enfin, une question plus vaste : quelles sont votre vision et votre politique afin de maintenir, développer et valoriser la politique industrielle dans notre pays ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Degallaix, je vous remercie tout d’abord pour l’esprit dans lequel vous posez cette question qui est conforme à celui qui vous anime avec nombre de vos collègues, ici, sur ces bancs – je pense à MM. les députés Bocquet, Bataille mais aussi à Mme la sénatrice Létard ou à M. le sénateur Percheron – depuis les annonces faites par le groupe Vallourec au printemps dernier.
Un consensus s’est fait jour et je tiens à remercier l’ensemble des élus de ce territoire, dont la maire de Saint-Saulve. J’ai pu constater l’esprit constructif dont ils ont fait preuve, tout comme les représentants syndicaux de l’entreprise.
Pour répondre à vos questions, je noterai tout d’abord que le plan social annoncé par Vallourec, suite à nos échanges et aux avancées réalisées – ce n’était pas initialement le cas – exclut le site de l’aciérie de Saint-Saulve. Je vous rassure pleinement : il n’y aura pas de licenciement ni même de départs volontaires sur ce site.
Ensuite, l’option privilégiée pour le site de l’aciérie est la recherche d’un partenaire. Vous le savez parfaitement : de nombreux investissements y ont été réalisés ces dernières années. Le site est compétitif mais Vallourec ne pouvant plus fournir les volumes, la recherche ne porte pas tant sur un partenaire financier – c’est d’ailleurs pourquoi l’État actionnaire n’a pas à jouer ici un rôle de premier plan – que sur des partenaires industriels qui, aux côtés de Vallourec, garantiront des débouchés pour le site de l’aciérie de Saint-Saulve.
Mon cabinet, la direction générale des entreprises et Business France recherchent des partenaires industriels et discutent déjà avec certains d’entre eux afin que ce site soit repris et qu’il trouve des débouchés.
Au-delà, je partage votre vision de la politique industrielle : nos territoires ont des savoirs, des compétences, un potentiel industriel. Le cas de Saint-Saulve est exemplaire et c’est d’ailleurs pour cela que nous sauverons le site. Des débouchés doivent être trouvés parce que des investissements ont été réalisés et que les savoir-faire existent.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit la semaine dernière qu’il y avait eu « une augmentation importante de la fiscalité au cours de ces dernières années ». Et vous avez ajouté cette augmentation avait créé « une forme de rupture entre les Français et l’impôt. » C’est le moins que l’on puisse dire !
En reconnaissant cette hausse très forte, ce sont MM. Jean-Marc Ayrault et François Hollande que vous avez, de fait, visés, puisque vous avez ajouté : « Sans doute aurait-il fallu mieux préparer la cohérence au début du quinquennat. » Vous avez essayé de corriger le tir, en indiquant que les baisses d’impôt, très partielles, votées en 2014, puis celles qui devraient s’appliquer l’an prochain, compenseraient cette erreur de jeunesse et l’impréparation de votre arrivée au pouvoir.
Mais les chiffres sont têtus, monsieur le Premier ministre : en sus des 18 milliards d’impôts supplémentaires que vous avez prélevés en deux ans sur les entreprises, ce sont bien les ménages qui ont été le plus lourdement taxés. Le cumul des mesures votées depuis 2011 atteint en effet 68 milliards d’euros, dont 58 milliards ne pèsent que sur les particuliers. Cette hausse cumulée n’est évidemment pas compensée par la baisse que vous évoquez de 5 milliards en 2015 et 2016.
En outre, l’hyperconcentration de l’impôt sur le revenu a des effets dévastateurs. En effet, alors que le nombre de foyers fiscaux aura baissé entre 2012 et 2016, la recette aura quasiment explosé, faisant peser sur les classes moyennes la plus grande part de l’impôt. Cela a des conséquences multiples, monsieur le Premier ministre : incitation à quitter notre pays – on en parle peu, mais c’est une réalité –, décollecte du Livret A, tensions sociales, mal-être de nos concitoyens.
Je n’oublie pas non plus l’augmentation des impôts locaux, que votre politique de baisse des dotations rend inévitable…
…et qui touche, elle, tous les Français.
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : quand, au-delà des mots et des promesses non tenues, votre mea culpa deviendra-t-il une réalité dans les faits ? Quand aurez-vous une politique juste, de modération fiscale ? Monsieur le Premier ministre, les 10 milliards d’euros qu’il manquera au budget pour 2016 ajoutent à notre inquiétude.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le député Alain Suguenot, le Premier ministre a déjà eu l’occasion de répondre hier à la question que vous posez…
…mais je voudrais, à mon tour, apporter quelques éléments de réponse. D’abord, laissons les mea culpa à des assemblées moins laïques que la nôtre et tâchons ensemble, comme nous le voulons tous, de dire la vérité.
Dans cette quête de vérité, nous pouvons regarder ensemble les choses en face. Si je regarde les choses en face, monsieur le député, et vous pouvez le faire avec moi…
…vous admettrez que l’état de la France, en 2012, était déplorable.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Une France dont le déficit avait explosé – personne ne peut le nier –, dont la compétitivité avait chuté, dont les entreprises avaient énormément de difficultés à se battre contre leurs homologues, et un déficit commercial insondable…
Devant cet état de fait, la vérité – et vous pourriez en convenir –, c’est que vous avez décidé, dès 2010, puis pour 2011 et 2012, des augmentations d’impôt. La vérité, c’est que vous avez décidé ces augmentations d’impôt. La vérité, c’est que nous avons continué à augmenter les impôts. Regardons-la, cette vérité, d’un côté, comme de l’autre !
La vérité, monsieur le député, c’est que, puisque la France aujourd’hui se redresse,…
…puisque la France aujourd’hui retrouve une croissance que vous ne nous aviez pas laissée, puisque la France est en train, progressivement, de redresser ses comptes publics, elle est désormais capable – et elle a même le devoir – de faire en sorte que les impôts, qui ont pu augmenter pour les entreprises ou les ménages, diminuent aujourd’hui.
Nous diminuons les impôts des entreprises pour leur permettre d’investir et d’embaucher,…
…et nous voyons les premiers fruits de cette politique. Nous diminuons les impôts des ménages, avec 12 millions de foyers fiscaux qui, en deux ans, verront leurs impôts baisser.
Voilà la vérité : partageons-la, monsieur le député.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
À peine quelques applaudissements ! C’est parce que vous êtes un menteur !
La parole est à Mme Edith Gueugneau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et concerne l’état d’avancement et de mise en oeuvre du plan de soutien à l’élevage français dans certains départements, comme c’est le cas chez moi, en Saône-et-Loire, et plus particulièrement dans le Charolais.
Les mesures annoncées sont nécessaires pour faire face à la crise structurelle que traversent nos éleveurs. Dans le même temps, le monde agricole a été fortement touché par des problèmes plus ponctuels liés aux conséquences de la sécheresse et de la fièvre catarrhale ovine.
Trois mois après l’annonce du plan de soutien, l’inquiétude de nos éleveurs reste grande. Mon retour du terrain témoigne de nombreux questionnements et de grandes difficultés financières au sein des exploitations agricoles. Aussi me semble-t-il nécessaire, monsieur le ministre, que vous puissiez dresser un point d’étape à destination du monde agricole, dans toute sa diversité.
S’agissant d’abord de l’allégement des cotisations de charges financières, qui représentent 50 millions d’euros dès cette année, pouvez-vous nous en dire plus sur les critères d’attribution et les délais d’instruction des dossiers ? Nos éleveurs, dont certains se trouvent dans une situation précaire, s’impatientent. Ils n’oublient pas qu’en 2009, lorsque la droite était au pouvoir, ils avaient dû attendre plus d’un an. Concernant la mise en place de l’année blanche, il me semble nécessaire que le secteur bancaire joue pleinement son rôle de partenaire aux côtés des éleveurs. Chacun doit prendre ses responsabilités !
Monsieur le ministre, notre effort est réel. Je souhaiterais que vous puissiez rassurer le monde agricole sur son avenir, et notamment les jeunes éleveurs passionnés par leur métier. Aujourd’hui, quel message positif pouvez-vous leur donner ? Plus que jamais, nous devons rester mobilisés aux côtés des agriculteurs pour qu’ils puissent vivre de leur travail,…
…pour que la France demeure la première puissance agricole d’Europe et que son modèle, fondé sur la diversité, soit préservé.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de vos réponses, qui sont très attendues sur le terrain.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Madame la députée, vous avez évoqué la crise de l’élevage et le plan de soutien qui a été mis en place pour y faire face. Ce plan a évolué et connu trois étapes. La première, qui a consisté en des allégements de charges, a débuté avec la création des cellules d’urgence au mois de mai 2015. Ce plan a été réabondé au mois de juillet, lorsque le Premier ministre a présenté un plan prenant en compte d’autres demandes des agriculteurs, et des éleveurs en particulier. Il a été réévalué une troisième fois au mois de septembre pour prendre en compte, cette fois encore, de nouvelles demandes.
Ce plan comporte une baisse des charges des agriculteurs et des dispositifs fiscaux devant leur permettre de surmonter les difficultés qu’ils connaissent aujourd’hui. Il contient également ce que nous avons appelé l’année blanche, et vous avez parfaitement remarqué que, sur ce sujet, ce sont nos partenaires bancaires qui sont les moins enclins à aller vite. Nous leur rappellerons l’engagement qu’ils ont pris au moment de la présentation du plan de soutien à l’élevage.
Quelle est la situation ? Au jour d’aujourd’hui, ce sont 35 000 dossiers, toutes aides confondues – allégements de charges et allégements fiscaux – qui ont été déposés dans les cellules d’urgence, dont 25 000 concernent directement les allégements de charges. Sur ce dossier, l’État a mobilisé 100 millions d’euros, auxquels s’ajouteront les 63 millions d’euros qui ont été débloqués au niveau européen, pour aller le plus loin et le plus vite possible.
J’ajoute que les agriculteurs peuvent demander de revenir sur les déclarations triennales pour les déclarations sur les cotisations sociales et ne tenir compte que de l’année 2014, qui fut une année difficile, pour ajuster leurs cotisations et bénéficier immédiatement de la réduction de l’assiette minimale sur les cotisations sociales, qui fait baisser la cotisation de 400 euros. À chaque fois, la vitesse et l’efficacité doivent être au rendez-vous et, d’ici la fin de l’année, tous les dossiers déposés avant le 30 septembre seront traités et les agriculteurs payés.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, j’associe à ma question Mme Geneviève Levy.
Le budget de nos armées a été voté hier par la majorité de gauche de notre assemblée. Il ne prévoit qu’une hausse des crédits de 600 millions d’euros, sans commune mesure avec l’ampleur des crises que nous traversons,
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen
lesquelles exigent de nos armées une intensité d’engagement sans précédent depuis soixante-dix ans. Ce budget permet simplement d’éviter la rupture et la cessation de paiement : en aucun cas il ne permet de construire notre armée du futur.
Demain sera voté le budget des anciens combattants. Il est en recul de 125 millions d’euros, alors que la prévision triennale prévoyait 114 millions. Ce sont au total 544 millions, soit près de 20 % du budget, qui se seront envolés entre 2013 et 2017. La retraite du combattant, que nous avions revalorisée de onze points entre 2007 et 2012, est bloquée à l’indice 48 depuis votre accession aux responsabilités.
Il apparaît surtout à la lecture des documents que vous nous avez fournis que vous envisagez de mettre progressivement sous conditions de ressources toutes les aides allouées aux anciens combattants, à leurs veuves, à leurs conjoints et à leurs ayants droit.
Huées sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Évoquant nos anciens combattants, Clemenceau prononçait à la tribune de notre Assemblée une phrase restée célèbre : « Ils ont des droits sur nous. » Il signifiait par là que les anciens combattants avaient un droit imprescriptible à réparation.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous garantir à la représentation nationale que, dans votre esprit, nos anciens combattants ne sont pas des citoyens comme les autres parce qu’ils sont tout simplement des anciens combattants ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.
Monsieur le député, je vous remercie de me permettre d’évoquer aujourd’hui le budget des anciens combattants que je défendrai demain devant vous. Oui, c’est un budget ambitieux, qui est le résultat de choix politiques et budgétaires porteurs de sujets qui nous concernent tous – vous avez raison sur ce point.
Ce budget a été construit selon les engagements que j’ai pris devant la représentation nationale et devant le monde combattant et les associations d’anciens combattants, qui ont été associés aux travaux le concernant.
Non seulement le budget pour 2016 préserve et consolide intégralement les droits des anciens combattants en maintenant à la fois l’ensemble des dispositifs budgétaires et fiscaux,…
…mais il va même au-delà en renforçant les droits…
…des anciens combattants et des victimes de guerre, et ce dans un souci de justice sociale et d’équité en se concentrant sur les plus démunis.
Il renforce les droits par une extension du bénéfice de la campagne double pour les anciens combattants d’Afrique du Nord. Cette mesure était attendue depuis 1999 par les associations d’anciens combattants. Nous la prendrons.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Il conforte également les droits à travers l’élargissement du dispositif de la majoration spéciale des conjoints survivants des grands invalides. Par ailleurs, s’agissant des crédits sociaux, une augmentation du budget de 2 millions d’euros portera la hausse depuis 2012, c’est-à-dire depuis l’arrivée de la nouvelle majorité, à plus de 26 %. C’est cela aussi, s’occuper des plus démunis.
Enfin, un nouveau dispositif verra le jour pour répondre aux conjoints et ex-conjoints de harkis touchés par la forclusion concernant l’allocation de reconnaissance : ce dispositif concerne tout simplement leur droit à la reconnaissance de la nation. Vous le voyez, monsieur le député, les anciens combattants sont au coeur des préoccupations du Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, je tiens tout d’abord m’associer à vos propos, ainsi qu’à ceux de M. Urvoas, sur la nécessité de reconnaître nos diversités culturelles, notamment nos langues régionales qui constituent une des richesses de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste.
Aujourd’hui, en 2015, la Guyane compte 240 000 habitants, et nos déficits structurels sont déjà importants. Demain, en 2030, nous serons 440 000 habitants. Monsieur le Premier ministre, notre responsabilité est de répondre à aujourd’hui et de préparer demain.
Nous devons cultiver notre territoire et cultiver notre jeunesse. Il nous faut donc la former, la soigner, la protéger, la loger et finalement l’émanciper pour lui permettre d’embrasser son destin. Pour répondre à ces enjeux cruciaux, le Président de la République, qui a eu l’occasion de venir en Guyane en 2013, a promis, souscrivant à ma demande, de mettre en place un pacte d’avenir pour la Guyane.
Mes chers Collègues, ce pacte doit nous permettre d’accéder à l’égalité républicaine réelle. À cette fin, nous devons bâtir les structures et les infrastructures répondant aux besoins de notre territoire et de sa population.
Monsieur le Premier ministre, vous le savez, les défis que nous avons à relever ensemble sont non seulement immenses : ils sont aussi fondamentaux. L’avenir de la Guyane en dépend. J’ajouterai, compte tenu des tensions sociales actuelles, que le présent de la Guyane aussi en dépend ! C’est pourquoi je souhaiterais vous entendre préciser les moyens exceptionnels que votre gouvernement engagera pour permettre à la Guyane de cultiver et d’exprimer ses potentiels.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la députée, la Guyane est une richesse pour la France, une richesse humaine, démographique, culturelle et économique. Le Gouvernement souhaite que cette richesse profite pleinement à tous les Guyanais. C’est la raison pour laquelle, vous l’avez rappelé, le Président de la République a non seulement souhaité le retour de l’État dans les outre-mer, notamment en Guyane, et mobilisé des moyens importants pour assurer un rattrapage avec l’Hexagone, mais également annoncé ce pacte d’avenir pour la Guyane, que vous appeliez de vos voeux. Le rattrapage, M. Lurel le sait bien, c’est également la recherche de l’égalité réelle.
Madame la députée, nous pouvons considérer que la République et les outre-mer sont liés par un pacte pour un progrès économique et social. Ce progrès passe partout, bien sûr, mais encore plus, dans vos territoires, par la lutte déterminée contre le chômage, contre la pauvreté, contre les inégalités et contre l’insécurité. Le pacte d’avenir que vous souhaitiez pour la Guyane doit donc être un outil majeur du développement de ce territoire.
Dans ce cadre, j’ai demandé à Mme Pau-Langevin, ministre des outre-mer, de formuler des propositions. Le travail interministériel qu’elle a initié se poursuit afin que tous les sujets auxquels nous devons faire face soient abordés. Ce pacte organisera de manière très concrète l’action de l’État pour les quinze prochaines années. Il se déclinera autour de quatre axes qui correspondent à vos priorités : les infrastructures ; l’énergie, l’environnement et le développement durable, afin de bâtir l’avenir de la Guyane en exploitant ses richesses tout en préservant son écosystème ; la jeunesse, bien sûr ; enfin, la sécurité.
D’ici à la fin de l’année, les différents ministères concernés auront finalisé le contenu de ces axes prioritaires. Une fois ce travail achevé, nous prendrons les arbitrages nécessaires. Le pacte d’avenir sera soumis aux élus guyanais, que je remercie pour leur engagement, d’ici à la fin du mois de janvier 2016.
Je veux, madame la députée, saluer votre propre engagement et la très grande qualité du travail parlementaire que vous réalisez. Nous agissons avec détermination pour la Guyane. La Guyane c’est la France : nous lui devons donc soutien et solidarité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, les chiffres du chômage du mois de septembre, publiés cette semaine, vous lavent le cerveau et vous font oublier que des millions de Français demeurent des chômeurs de longue durée ! Vous n’êtes pas dans la même galaxie que les Français.
Vous annoncez la sortie de crise et la reprise de la croissance alors que notre tissu économique tout entier crie son inquiétude. Vous n’êtes pas dans la même galaxie que les entrepreneurs de France.
Vous évoquez la réduction des déficits publics et la baisse de la fiscalité et les élus locaux, atterrés, doivent assumer les charges que vous délestez sur eux. Vous n’êtes pas dans la même galaxie que les élus de France.
Vous souhaitez que la France accueille des migrants et partout des Français, comme chez moi un matin, se réveillent ahuris de découvrir qu’un individu condamné à mort par la justice d’un autre pays est hébergé dans un hôtel à deux pas de chez eux. Vous n’êtes pas dans la même galaxie que nos compatriotes.
Aux agriculteurs de France qui crient leur désespoir, vous proposez en guise de solution la télétransmission de leurs actes administratifs. Dimanche dernier, pour la deuxième fois en un an, j’ai dû faire face au suicide d’une exploitante agricole de ma commune. Vous n’êtes pas dans la même galaxie que les agriculteurs de France.
D’après vous, « le pouvoir d’achat des Français n’a jamais autant augmenté ». Venez donc tenir ces propos aux retraités et aux jeunes ménages d’actifs de France ! Vous n’êtes pas dans la même galaxie que nos concitoyens.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Ce sentiment de rupture totale entre notre peuple et ses dirigeants, tout le monde le perçoit sauf vous. Pensez-vous, monsieur le Premier ministre, rester enfermé dans vos certitudes au risque de lancer un jour aux Français de votre fenêtre, tel Marie-Antoinette, que faute de pain ils n’ont qu’à manger de la brioche ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Je ne sais pas si nous vivons dans la même galaxie, monsieur le député, et à vous entendre j’en doute, mais je sais en tout cas que nous sommes dans le même pays, la France. Il ne sert à rien d’être excessif. Les ruptures, les fractures territoriales et sociales, les attentes, les exigences et les peurs de nos concitoyens,…
…nous les connaissons, malheureusement, et elles ne sont pas nouvelles mais remontent à longtemps.
Il ne sert d’ailleurs à rien de les commenter et de jouer avec ni de tout mélanger. Permettez-moi de vous dire, monsieur le député, que l’amalgame auquel vous procédez des problèmes économiques et sociaux, du chômage et de ce que ressentent les agriculteurs, les ouvriers et une partie de notre jeunesse avec les problèmes relatifs à la sécurité, la lutte contre le terrorisme et l’accueil des réfugiés aggrave les fractures entre les responsables publics et le peuple, tout comme l’excès de vos propos.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les Français considèrent, et on m’a encore interrogé tout à l’heure et hier à ce sujet, que nous nous sommes habitués depuis des années à vivre avec un chômage de masse, un niveau de déficits insupportable et un niveau de fiscalité nationale et locale que beaucoup de Français ne peuvent pas supporter. L’action de mon gouvernement, je le dis modestement, consiste précisément à s’attaquer au niveau de déficits qui sont trop élevés – ils baissent –, à l’endettement du pays qui n’est pas supportable pour les années à venir et au chômage. Sur ce point, que chacun regarde les chiffres tels qu’ils sont, comme Myriam El-Khomri et moi-même le faisons dans la durée. Je me réjouis, comme d’ailleurs l’un d’entre vous, M. Mariton, l’a fait hier, que le chômage baisse, car c’est une bonne chose, en tout cas pour ceux qui retrouvent un emploi, au lieu d’en faire un sujet de polémique.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Nous nous attaquons aux inégalités territoriales, urbaines et rurales. Nous nous attaquons aux inégalités à l’école, ce qui n’a jamais été votre priorité.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je pourrais parfaitement, monsieur le député, vous renvoyer moi aussi à vos responsabilités. Mais l’état du pays et la crise économique, sociale et morale que nous vivons depuis des années nécessitent selon moi de la hauteur de vue, de l’engagement et du rassemblement. Je me contenterai donc de vous demander de revenir dans la bonne galaxie !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Alors que nos éleveurs tentent péniblement de sortir d’une crise sans précédent, le rapport récemment publié par l’OMS réduit à néant tous leurs efforts. Une nouvelle fois, ils sont pointés du doigt, stigmatisés et victimes d’une nouvelle polémique malheureusement très lourde de conséquences. La viande serait donc cancérigène, si l’on en croit les « une » des journaux des deux derniers jours, selon une communication tronquée et sans demi-mesure qui non seulement met à mal l’ensemble d’une profession mais crée un climat de suspicion, voire de panique, tout à fait malsain.
En fin de compte, ce rapport ne fait qu’établir une vérité connue de tous. En effet, tous les excès sont nuisibles pour notre santé et je ne doute pas qu’un prochain rapport de l’OMS mettra en garde contre la consommation excessive de courgettes, de quinoa ou de pousses de soja !
Le plus triste dans cette affaire est certainement l’amalgame créé par cette étude. Un élevage raisonné comme celui que nous pratiquons en France et plus particulièrement dans les exploitations familiales de la montagne tarnaise serait-il comparable à un élevage très intensif comme celui pratiqué aux États-Unis ? Un légume bourré de pesticides serait-il moins dangereux qu’une viande de qualité ? Une bonne tranche de jambon IGP de Lacaune serait-elle aussi nocive qu’une viande traitée aux hormones ? Il ne faut pas exagérer !
Au fond, cette controverse est révélatrice d’un problème dont souffrent notre agriculture et notre filière agroalimentaire : l’insuffisante valorisation de nos savoir-faire. Sur ce point, le Gouvernement doit faire preuve d’audace en menant une politique stricte en matière de traçabilité et d’étiquetage et en en faisant la promotion au niveau européen. À l’heure de l’inquiétant traité transatlantique, quel message comptez-vous délivrer aux Français mais aussi à nos éleveurs qui s’enlisent dans une détresse économique et morale insoutenable ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
En nous adressant aux Français, nous nous adressons aux éleveurs, monsieur le député Folliot. Il est vrai que l’étude publiée par l’Organisation mondiale de la santé a inquiété et alarmé aussi bien les consommateurs que les éleveurs. Je tiens à les rassurer car le lien entre la consommation excessive de viande rouge et certains cancers est pris en compte depuis des années dans les pays développés.
En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments a mis ce risque en évidence il y a plus de dix ans et a émis un certain nombre de recommandations prônées par les gouvernements successifs. Il s’agit néanmoins de consommation excessive. Il ne faut donc pas provoquer l’inquiétude et l’alarmisme ni donner le sentiment à nos concitoyens qu’en mangeant de la charcuterie ou un morceau de viande ils feraient courir un risque à leur santé. Nous devons évidemment faire en sorte que leur consommation soit maîtrisée, ce qui s’inscrit parfaitement dans la politique que nous menons dont le maître mot est « équilibre », comme dans tous les domaines.
En matière de lutte contre les cancers, nous devons être attentifs à bien hiérarchiser les risques. À tout placer sur le même plan, nous oublions que les grands combats à mener sont dirigés contre les substances qui tuent chaque année des centaines de milliers voire des millions de personnes dans le monde, et en particulier le tabac.
Faisons en sorte d’être prudents, équilibrés et maîtres de la situation et n’ayons pas peur de ce qui fait partie de l’art de vivre de notre pays.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Tous les étés, dans mon département des Pyrénées-Orientales et dans des communes qui par ailleurs répondent parfaitement aux dispositions de la loi en matière d’aires d’accueil, des convois comptant plusieurs dizaines, voire de centaines de caravanes s’implantent de manière illicite sur les terrains municipaux ou sur des propriétés privées. De véritables villes temporaires s’installent ainsi, provoquant des difficultés notamment en matière de réserves d’eau et d’assainissement.
Face à cela, on ne dispose d’aucun moyen juridique, en raison de la complexité des procédures, pour obtenir l’éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants.
Les gens du voyage peuvent s’installer illégalement sur un terrain pour la durée de leur choix sans jamais courir le moindre risque de subir une sanction. Ils s’autorisent même à faire du chantage auprès des autorités.
On crée de véritables zones de non-droit. Les communes sont à bout de souffle et n’ont plus les moyens de réparer les dégâts provoqués lors des installations sauvages ou lors des manifestations de contestation.
Le problème réside dans le fait que ces personnes semblent répondre à un statut à part. Alors que l’on condamne avec raison le communautarisme, comment peut-on accepter une telle situation ?
Les tensions montent. Les Français sont exaspérés de cette justice à deux vitesses. Aussi, il est urgent de donner plus de droits aux communes et plus de moyens juridiques à leurs élus afin d’équilibrer les droits et les devoirs. Tels étaient les objectifs de la proposition de loi que notre groupe a défendue il y a quelques semaines et que votre majorité a préféré balayer d’un revers de main.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les Français et leurs représentants ont besoin d’être écoutés par le Gouvernement. Celui-ci doit prendre ses responsabilités et agir pour que les valeurs de la République soient respectées et que les hommes soient égaux en droits comme en devoirs.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.
Monsieur le député, vous avez raison de dire que les sujets liés à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage sont importants. Le Gouvernement a bien conscience qu’ils préoccupent nos élus et nos concitoyens.
La majorité des collectivités locales font de réels efforts pour remplir, en lien avec les préfets, leurs obligations au regard du schéma départemental des gens du voyage. Le bon respect de ce schéma permet aux services de l’État de faire exécuter les mises en demeure avec efficacité. La proposition de loi adoptée en juin dernier, en première lecture, après un long et important travail de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, va également dans ce sens. Je veux à cet égard saluer l’implication de Dominique Raimbourg et de nombreux élus dans son élaboration.
Ce texte garantit davantage de moyens d’action efficaces et opérationnels pour les maires,…
…mais il met aussi fin au régime administratif spécifique et discriminant réservé aux gens du voyage, qui leur impose la possession d’un carnet et d’un livret de circulation. Un vivre-ensemble apaisé suppose en effet l’égalité des droits.
Mais ce texte, monsieur le député, renforce également les procédures d’évacuation à disposition des élus en prévoyant que lorsqu’une caravane procède dans un délai de sept jours à un stationnement en violation d’un arrêté d’interdiction sur le territoire de la commune ou de l’intercommunalité, et qui porte atteinte à l’ordre public, la mise en demeure continue alors de s’appliquer.
Il s’agit donc d’un texte d’équilibre. Le Gouvernement souhaite continuer à avancer sur ce sujet de manière concrète et pragmatique, mais surtout de manière apaisée et respectueuse, dans l’intérêt du vivre-ensemble de notre République.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Christian Hutin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Il y a cinq ans, notre Assemblée votait l’ouverture à la concurrence des jeux en France. En clair, elle a mis fin au monopole du PMU et de La Française des jeux. Aujourd’hui, se tient dans l’enceinte du Palais Bourbon un colloque international de grande valeur relatif à la régulation des jeux.
Poser une question sur les jeux pourrait paraître futile, mais il n’en est rien, dans la mesure où les Français dépensent environ 50 milliards d’euros dans ce secteur. Ils sont des millions à jouer toutes les semaines – on joue à l’usine, au bureau, en famille, en ligne –, et cela peut poser problème.
Je pourrais poser ma question à Marisol Touraine s’agissant de l’addiction de certains joueurs, les joueurs pathologiques : ils ne sont pas encore très nombreux, mais avec l’ouverture des paris, plus de 200 000 joueurs pourraient basculer dans ce versant sombre du jeu.
Je pourrais également poser ma question à Stéphane Le Foll, dans la mesure où la filière hippique représente 40 000 emplois non délocalisables et qui représente une forme d’excellence dans notre pays. Ce n’est donc pas anodin.
Je pourrais poser ma question à Bernard Cazeneuve, car le jeu a également à voir avec la lutte contre le blanchiment. L’autorité de régulation des jeux en ligne – l’ARJEL – fait un travail considérable de contrôle qu’il s’agisse du jeu des mineurs, qui se développe, ou de lutte contre un certain nombre de mafias.
Je pourrais enfin poser ma question à Patrick Kanner que je remercie d’avoir ouvert les travaux du colloque. Le sport est également concerné par le jeu. La France a mené des combats en faveur de l’intégrité des compétitions sportives.
Compte tenu du nombre de ministères concernés, je vais mettre une petite pièce sur M. le ministre du budget. Ce sont en effet 5 milliards d’euros qui tombent dans les caisses de l’État. Je connais son volontarisme en matière d’équilibre budgétaire. Peut-être aurons-nous l’occasion d’en reparler lors de l’examen prochain de la loi Macron-Lemaire.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Merci, monsieur Hutin, de faire les questions et les réponses ! La parole est en effet à M. le secrétaire d’État chargé du budget.
Monsieur le député, docteur Hutin, la question des jeux est une compétence du secrétaire d’État au budget, qui mesure donc avec vous leur importance dans la vie quotidienne de millions de Français. Les jeux représentent en effet un enjeu financier important, en raison du produit de la fiscalité pesant sur eux – 3 milliards pour la seule Française des jeux, 5 milliards pour l’ensemble. L’enjeu est également d’ordre social : tout le monde connaît les drames sociaux et familiaux – pouvant toucher les jeunes – engendrés par des comportements excessifs. Enfin, et vous l’avez dit, l’addiction pose un vrai problème de santé publique.
Le Gouvernement souhaite mener une politique équilibrée dans ce domaine afin de maîtriser les risques que comportent les jeux, tout en préservant le monopole et en veillant à la bonne organisation et à la bonne surveillance de l’ensemble du dispositif – vous avez évoqué le blanchiment, qui est un souci permanent.
Nous avons déjà pris un grand nombre de mesures, je ne vais pas les détailler ici. Mais je vais vous indiquer celles que nous nous apprêtons à prendre, notamment à l’issue du colloque qui se tient à l’Assemblée et auquel je vais me rendre dans un instant.
Nous voulons élargir la mission de l’ARJEL afin d’inclure explicitement la lutte contre le jeu excessif ou pathologique dans ses compétences. Nous voulons renforcer les modérateurs de jeu – c’est une demande très forte, notamment pour le poker –, simplifier les procédures de lutte contre l’offre illégale et améliorer l’attractivité de l’offre légale via l’ouverture de tables corégulées.
Voilà un certain nombre de pistes. Je sais, monsieur le député, que vous partagez l’objectif d’équilibre sur cette politique qui concerne, je le répète, la vie de millions de nos concitoyens.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.
Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la justice (no 3110, annexe 31, avis no 3117, tomes VI à IX).
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, je vous prie d’excuser Mme la garde des Sceaux, qui ne peut être présente à cette séance pour des raisons personnelles et familiales, comme l’a indiqué tout à l’heure le Premier ministre. Vous savez combien Mme Christiane Taubira tient à venir présenter son budget à l’Assemblée nationale et à en expliquer les déterminants et la cohérence. J’ai donc l’honneur de porter à votre connaissance les messages importants qu’elle souhaitait vous délivrer à cette occasion.
Dans un contexte budgétaire général contraint – pas assez pour certains –, le budget de la justice reste prioritaire et continue d’augmenter. Pour la première fois, il franchit le seuil symbolique des 8 milliards d’euros, pour atteindre 8,043 millions d’euros, soit une augmentation de 1,3 %. Ce chiffre prend en compte toutes les dépenses prévues, y compris donc l’aide juridictionnelle, qui transite par le Conseil national des barreaux, mais qui n’en finance pas moins une politique prioritaire.
Le rythme des créations d’emplois de la justice prend une forte ampleur : 1 024 emplois seront créés en 2016. Sur le triennat 2015-2017, alors qu’il était prévu d’en créer 1 834, ce sont finalement près de 3 000 emplois – précisément 2 947 – qui seront créés, notamment pour renforcer les moyens de la lutte contre le terrorisme. Vous pouvez constater la traduction budgétaire de ces créations de postes supplémentaires : la masse salariale augmente de 90 millions d’euros en 2016 par rapport à 2015, soit de 1,9 %.
Ces moyens en hausse traduisent la volonté du Gouvernement de poursuivre et de rendre effectives et efficaces cinq réformes prioritaires portées par la garde des Sceaux.
La première consiste à dégager des moyens pour rendre effective la réforme pénale. En 2016, 27 postes de magistrats et 200 postes dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation – SPIP – seront créés. Ces services sont la cheville ouvrière de la politique d’insertion issue de la loi pénale d’août 2014. Sur les 1 000 emplois prévus dans les SPIP sur 2014-2017, 510 agents sont déjà formés et opérationnels dans ces services, dont le budget de fonctionnement augmente de 9 %.
La deuxième tend à apporter une attention particulière à la prise en charge des victimes – c’est là l’une des marques de l’action de Christiane Taubira. Le budget de l’aide aux victimes est doublé par rapport à 2012, avec 20 millions d’euros en 2016. Fin 2016, les 164 tribunaux de grande instance – TGI – et les trois autres tribunaux de première instance – TPI – seront dotés de bureaux d’aide aux victimes. L’évaluation personnalisée des victimes sera généralisée sur l’ensemble du territoire. Une réponse adaptée sera apportée à certaines formes de violences, notamment à celles faites aux femmes, avec la poursuite de la mise en oeuvre du « téléphone grave danger », qui rompt l’isolement des victimes et permet le déclenchement rapide des secours. Enfin, un réseau de référents spécialisés pour l’aide aux victimes du terrorisme sera mis en place.
La troisième politique porte sur les moyens de la justice du XXIe siècle. Vous savez l’importance, pour le Gouvernement et pour la garde des Sceaux, de ce projet qui vise à rendre la justice plus simple, plus efficace et plus accessible aux justiciables, dans les territoires et par le numérique. Les moyens sont progressivement mis en oeuvre pour que le texte discuté début novembre au Parlement prenne toute son effectivité. Vingt-deux emplois de greffiers ont été créés en 2015 pour l’expérimentation des services d’accueil uniques du justiciable et 69 emplois de greffiers sont prévus en 2016.
La réforme judiciaire J21 se budgétise sur deux triennats– 2015-2017 et 2017-2019 – et la garde des Sceaux aura à poursuivre le travail de budgétisation, à l’aide notamment du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – et de l’Inspection générale des services judiciaires – IGSJ – sur le transfert des contentieux des tribunaux des affaires de sécurité sociale – TASS – et des tribunaux du contentieux de l’incapacité– TCI – vers les TGI.
La quatrième politique est la mobilisation engagée par le ministère de la justice pour lutter contre la radicalisation en prison. Avant les attentats, des actions étaient déjà mises en oeuvre, avec notamment, dès juin 2013, un plan de sécurisation des établissements d’un montant de 33 millions d’euros. Le renseignement pénitentiaire avait déjà été renforcé par 7 agents et un directeur du SPIP avait déjà été mis dès le 5 janvier 2015 à disposition de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, aux réunions hebdomadaires de laquelle il participe. Le personnel était déjà formé à la détection des personnes radicalisées ou en voie de l’être, des aumôniers musulmans avaient été recrutés et formés – quinze en 2013 et quinze en 2014 .
Depuis lors, dans le cadre du plan de lutte antiterroriste, un renforcement de la sécurité à plusieurs niveaux a été réalisé, avec le déploiement prévu de brouilleurs de téléphones portables de haute technologie – un appel d’offres est en cours –, le recrutement d’une vingtaine d’informaticiens et d’une quarantaine d’interprètes sur le territoire et la création d’équipes légères d’intervention et de sécurité pour augmenter la fréquence des fouilles sectorielles – plus de 140 agents sont dédiés à cette tâche.
Des détenus radicalisés ont été rassemblés dans une même unité, à Fresnes. Après une évaluation, nous ouvrirons quatre nouvelles unités d’ici février 2016. Des programmes de prise en charge des personnes radicalisées sont en cours de déploiement.
Le renseignement pénitentiaire sera renforcé dans chaque établissement concerné pour améliorer encore la surveillance et la détection. Une meilleure circulation des informations vers le juge de l’application des peines est prévue. Un décret relatif au renseignement pénitentiaire sera prochainement publié pour améliorer la circulation des informations entre la Direction de l’administration pénitentiaire – DAP – et les services de renseignement.
La cinquième de ces politiques, enfin, porte sur l’aide juridictionnelle, dont la réforme, je le rappelle, vise deux objectifs : élever le plafond pour les plus démunis – il sera de 1 000 euros, contre 941 euros aujourd’hui – et améliorer la rémunération des avocats. Globalement, la rémunération des avocats augmente, grâce à un budget qui passe de 375 à 400 millions d’euros.
Afin de rendre la réforme plus simple et plus lisible, la garde des Sceaux a repris les négociations avec les avocats et un accord rapide est sans doute possible. C’est une réforme que tout le monde juge indispensable pour les citoyens, les justiciables et la profession d’avocat. Des discussions se poursuivent actuellement à la chancellerie et nous espérons une issue positive rapidement.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, l’objet et les intentions premières du budget que j’ai eu l’honneur de vous présenter.
Nous en venons aux interventions des porte-parole des groupes.
La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il est bien vrai qu’on n’en fait jamais assez pour la justice. Toutefois, nous revenons de loin, avec la révision générale des politiques publiques – RGPP –, les établissements pénitentiaires non adaptés et onéreux, les déserts judiciaires générés par la carte de Mme Dati – et j’en passe.
À juste titre, le Président de la République a voulu que le budget de la justice soit prioritaire et bénéficie chaque année d’une augmentation de ses crédits. C’est effectivement le cas depuis 2012. Cette année, ce budget franchit la barre symbolique de 8 milliards d’euros. Les crédits de paiement augmentent ainsi de 1,3 %.
Toutes les actions entreprises trouvent leur financement, qu’il s’agisse de l’hospitalisation d’office, de la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique, de la loi pénale, du lancement de la justice du XXIe siècle ou de la participation du ministère de la justice au plan de lutte antiterroriste.
Et en 2016, le Gouvernement maintient le rythme car, outre ce que je viens d’évoquer, il finance la lutte contre la radicalisation, la réforme de l’aide juridictionnelle et l’accélération de la nécessaire modernisation informatique.
Je souligne à ce propos que les moyens financiers consacrés à l’accélération de la modernisation informatique sont essentiels, car elle sera facteur d’économies et de réactivité. Cette modernisation suscite beaucoup d’espoir mais aussi de la crainte. Les retards pris par les principaux programmes, comme PORTALIS et les interceptions judiciaires, sont la source d’une inquiétude réelle des magistrats et des greffiers, car la date à laquelle ils seront opérationnels n’est toujours pas connue à ce jour.
Au surplus, vous n’oubliez pas ce que nous considérons, à gauche, comme essentiel : la revalorisation de l’indice de la catégorie C, la mise à niveau des greffes pour un meilleur accueil du public et la prise en compte de la mutation des missions des conseillers d’insertion et de probation, dont dépend le suivi effectif des sortants de prison.
L’ambition pour la justice est grande : les chantiers sont colossaux et les programmes immobiliers conséquents. Pour ne prendre que l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, vous consacrez, à travers elle, plus de 53 millions d’euros à la construction et à la livraison de palais de justice ainsi qu’à la poursuite d’opérations et – notamment celles des palais de justice de Strasbourg et de Quimper –, sans compter l’outre-mer ni le lancement de nouveaux chantiers.
J’observe qu’une majorité de ces constructions se situent dans des villes moyennes : il s’agit d’une manière de rétablir un maillage sur le territoire, maillage qui avait été mis à mal par le fameux plan Dati.
Par ailleurs, nous poursuivons, à travers ce budget, le financement des deux plans triennaux de construction de places de prison. Ainsi, contrairement à ce que prétend la droite, nous créons, avec l’ouverture de 10 000 nouvelles places, encore davantage de places de prison.
Monsieur le secrétaire d’État, depuis 2015, le ministère de la justice assume pleinement – vous l’avez rappelé à l’instant – sa mission de lutte contre le terrorisme. Les crédits non négligeables qui sont inscrits à ce titre permettent de financer des actions indispensables, notamment en milieu pénitentiaire.
Les prisons peuvent être de véritables incubateurs pour l’extrémisme violent mais elles peuvent, également, offrir un point de départ approprié en vue de construire un programme de déradicalisation.
Dans mon rapport « La déradicalisation, outil de lutte contre le terrorisme », remis au Gouvernement en juillet dernier, j’avais préconisé le traitement de la radicalisation en prison. Il s’agit d’un sujet bien complexe qui allie entre autres renseignement, sécurité, prise en charge des personnes radicalisées, formation des personnels, réinsertion et prévention de la récidive.
Je me réjouis que le ministère de la justice prévoit l’instauration d’un programme de déradicalisation en milieu carcéral qui s’accompagne de l’indispensable formation des personnels ainsi que de l’augmentation du nombre d’aumôniers, dont la qualification et les moyens seront accrus.
Le budget présenté est à la hauteur des promesses même s’il reste des difficultés – auxquelles tous les gardes des Sceaux resteront confrontés – à surmonter. S’agissant de la question des vacances des postes et du recrutement, comme de celle de la formation des personnels, nous sommes au creux de la vague. Quelle formation donner aux nouveaux arrivants pour les amener, le plus vite possible, au meilleur niveau ?
En ce moment, une négociation sur le financement de l’aide juridictionnelle est en cours : la question est essentielle pour nos concitoyens les plus démunis. N’oublions jamais que c’est sous cette mandature que le budget de l’aide juridictionnelle a été largement augmenté.
Enfin, il sera indispensable d’améliorer le système des transfèrements et des extractions judiciaires, afin que l’administration pénitentiaire assume pleinement et entièrement sa responsabilité.
Pour conclure, le groupe socialiste, républicain et citoyen soutient ce budget et réaffirme tout son soutien à la ministre de la justice, Christiane Taubira, pour son action.
Il le réaffirme également face aux attaques injustes, et parfois immondes, comme on a pu le constater très récemment, dont elle est l’objet.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, je forme le voeu, monsieur le secrétaire d’État, que l’examen en séance publique nous permette d’obtenir quelques réponses à des questions que nous avons, les uns et les autres, déjà posées en commission.
Malheureusement, nous avons dû nous contenter soit de généralités foisonnantes, comme notre garde des Sceaux nous en délivre habituellement, soit, tout simplement, d’absences de réponse.
Le rapporteur du groupe majoritaire s’est félicité que nous ayons, avec ce budget, franchi la barre des 8 milliards d’euros. Certes. Mais comparons ce qui doit véritablement être comparé, c’est-à-dire les crédits utiles au fonctionnement de l’institution judiciaire tels que le projet de loi de finances les prévoit pour l’année 2015, pour l’année 2016, puis, par projection, pour l’année 2017.
Si l’on excepte les pensions, ces mêmes crédits s’élèvent à 6,361 milliards en 2015 et à 6,373 milliards en 2016, soit une augmentation de 12 millions ou de 0,2 %, et non pas de 1,7 % comme vous vous plaisez à le souligner. Cela n’est donc pas conforme à la réalité.
S’agissant de l’an prochain, devons-nous nous inquiéter du chiffre qui est d’ores et déjà annoncé – 6,339 milliards – et qui représente, si je calcule bien, une baisse de 32 millions par rapport aux crédits inscrits cette année ?
Ces questions ont été posées, mais aucune réponse n’y a été apportée. Monsieur le secrétaire d’État, il serait utile, à l’occasion de l’examen en séance publique des crédits de la mission « Justice », qu’elles puissent recevoir une réponse.
D’autres questions se posent, en particulier celle que le rapporteur spécial évoquait dans son propos en commission élargie : le décalage très net – et pour lequel aucune véritable explication ne nous est donnée – entre d’un côté les créations de postes, et de l’autre les crédits qui leur sont affectés, et qui sont visiblement et manifestement inférieurs aux besoins.
D’autres questions se posent également : certaines sont soulevées par l’actualité, d’autres totalement éludées alors qu’elles méritent une réponse. La première est celle de l’aide juridictionnelle : on se félicite de l’augmentation des crédits, mais on semble oublier que cette même aide est toujours en crise.
On semble oublier que les avocats – qui, semble-t-il, auraient obtenu satisfaction – poursuivent leur mouvement et ne paraissent pas dire, eux, qu’ils sont satisfaits. Qu’en est-il ? Le recul du Gouvernement est-il complet, partiel ou assorti de nouvelles dispositions ? Nous aimerions le savoir.
Il est également important de rompre avec le début d’euphorie de la majorité sur deux sujets : le premier d’entre eux est la contrainte pénale. Je l’ai évoqué en commission élargie, sans obtenir aucune réponse de la garde des Sceaux. Dans l’étude d’impact, on nous annonçait de 8 000 à 20 000 contraintes par an.
Or, depuis treize mois, c’est-à-dire depuis le 1er octobre 2014, seules 950 mesures ont été prononcées. Je le rappelle, trente-sept tribunaux – parmi lesquels se trouvent des juridictions importantes comme celles de Perpignan et de Lyon – n’en ont prononcé aucune. Six contraintes pénales seulement ont été prononcées par le tribunal de grande instance de Paris.
Des explications s’imposent donc : cette réalité, comme j’ai eu l’audace de le suggérer en commission élargie, traduirait-elle le fait qu’il s’agit d’une mauvaise mesure, comme Mme Taubira le disait des peines plancher ? Elle disait en effet à leur propos : si les magistrats ne les utilisent pas, c’est qu’il s’agit d’une mauvaise mesure. N’y a-t-il pas là un parallélisme des formes qui mériterait une explication ?
Le second et dernier sujet que je souhaite aborder intéresse les maires, à qui l’on demande tout alors qu’on les prive de tout. Or, dans le projet de loi relatif à la justice du XXIème siècle, une disposition ne manquera pas d’entraîner – en tous cas je l’espère – une réponse de la part du Gouvernement : l’enregistrement des pactes civils de solidarité par les officiers d’état-civil.
L’étude d’impact prétend que cette disposition n’entraînera pas de coût supplémentaire pour les communes : il ne s’agit que de 220 000 actes supplémentaires. Bien évidemment, il y a là matière à réflexion. Dans le même temps, il est dit qu’il ne s’agit pas d’un transfert de charges mais d’une augmentation de la charge des services des communes qui remplissent une mission de l’État.
Monsieur le secrétaire d’État, vous me permettrez de dire que la réponse est un peu courte : les maires, qui n’ont pas besoin de cela à l’heure actuelle, se plaignent – à juste titre – de l’ensemble de ces dispositions.
C’est l’une des raisons, parmi beaucoup d’autres, pour laquelle, comme cela a été dit en commission élargie, le groupe Les Républicains ne votera pas les crédits de la mission « Justice ».
La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comment peut-on se satisfaire du fonctionnement de la justice, aujourd’hui, dans notre pays ?
Les magistrats sont en nombre insuffisant, bien qu’on nous annonce à chaque budget qu’ils seront plus nombreux : comme soeur Anne, nous ne voyons rien venir à l’horizon.
Nos établissements pénitentiaires, qui sont devenus le meilleur terreau pour le développement de l’islamisme radical, connaissent une suroccupation chronique.
Les délais de jugement s’apparentent aujourd’hui trop souvent, dans notre système, à des dénis de justice. Enfin, le clivage entre la justice et la police n’a jamais été aussi marqué : il a récemment donné lieu à une manifestation quasiment unique dans les annales de la Ve République. Voilà le rapide procès que nous pouvons faire de notre justice aujourd’hui.
Alors certes, avec près de 8 milliards d’euros de crédits de paiement, le budget consacré à la justice affiche cette année une légère hausse de 1 %.
Nous prenons acte de cette hausse des moyens alloués à une mission aussi importante que celle de la justice. Mais, eu égard à l’ensemble des insuffisances que j’ai signalées, nous ne considérons pas que ces moyens permettront de réduire, ne serait-ce que faiblement, les carences constatées.
Comme l’an dernier, le Gouvernement souhaite poursuivre la mise en oeuvre de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Or nous doutons, depuis l’origine, que cette réforme puisse prévenir et lutter contre la récidive.
En outre, alors que l’exécution des peines doit demeurer une priorité, ce budget ne répond pas au réel besoin d’accroissement de la capacité carcérale de notre pays, avec la création de près de 2 300 places nettes sur la période 2015-2017.
Je tiens toutefois à saluer les efforts consentis en faveur de l’outre-mer, et notamment en faveur de la Nouvelle-Calédonie, efforts qui se traduisent par la construction du centre pénitentiaire de Koné. Ce nouvel établissement était indispensable, compte tenu de la suroccupation chronique du centre pénitentiaire dit du « Camp-Est » de Nouméa : c’est une très bonne nouvelle pour notre petit pays.
Le document budgétaire fait état de moyens supplémentaires, au titre du plan de lutte contre le terrorisme, avec un effort de 333 emplois et 50,2 millions d’euros en crédits de paiement, hors dépenses de personnel.
Le volet pénitentiaire du plan de lutte anti-terroriste du ministère de la justice doit ainsi renforcer les capacités de renseignement de l’administration pénitentiaire, créer des modules spécifiques de prise en charge et de prévention des phénomènes de radicalisation en prison et former les agents.
Alors que, comme je l’ai déjà indiqué, la prévention de la radicalisation constitue un point central dans la lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons qu’approuver ces mesures.
Pour autant, nous doutons de la réalité de l’augmentation des effectifs. Le rapporteur spécial, Étienne Blanc, indique en effet que l’exécution du budget de la justice au cours des trois années précédentes « met en évidence l’écart des annonces d’augmentation des effectifs avec la réalité ; les créations d’emplois ne sont pas au rendez-vous et les plafonds d’effectifs ne sont pas saturés car les crédits de rémunérations d’activité ne sont pas suffisants au regard des plafonds emplois annoncés ». Dans ces conditions, quel crédit accorder, cette année encore, à ces annonces ?
Enfin, comment, en conclusion, ne pas déplorer les multiples hésitations et renoncements, depuis près de deux ans, sur la question de l’aide juridictionnelle, qui témoignent d’une véritable improvisation ?
En janvier 2014, le Gouvernement a supprimé la contribution pour l’aide juridique. Or, depuis, il n’a cessé d’augmenter les taxes : revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique, augmentation des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, puis augmentation du droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel.
Il aura fallu un mouvement de grève sans précédent pour que le Gouvernement renonce à financer l’augmentation de l’aide juridictionnelle par un prélèvement de 15 millions d’euros sur les Caisses des règlements pécuniaires des avocats, dispositif que l’Assemblée nationale avait pourtant voté une semaine auparavant. Ce renoncement n’a d’ailleurs toujours pas été confirmé devant la représentation nationale et l’on ignore, à ce jour, ce qui sera substitué à ce financement.
En outre, bien des problématiques restent non résolues, notamment celle de l’unité de valeur qui permet de calculer la rémunération : nous voyons donc s’éloigner, de plus en plus, la perspective d’une véritable modernisation de la justice dont notre pays a véritablement besoin.
Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent que vous entendiez l’exaspération des professions judiciaires et que mettiez enfin en oeuvre une véritable refonte, qui soit viable, de ce système.
sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, c’est un motif de satisfaction que de constater que les crédits de la mission « Justice » sont en augmentation.
En 2016, vous l’avez rappelé à la tribune, monsieur le secrétaire d’État, la hausse de ces crédits, par rapport à ceux de 2015, sera 1,3 %, pour un budget de 8,04 milliards d’euros. Une nouvelle fois, cette hausse se concentre sur le budget de l’administration pénitentiaire, avec notamment le fonds de lutte contre le terrorisme.
Tel est, depuis 2012, le principal changement : la justice est désormais une institution respectée et dotée de moyens. Nous sommes loin de la période précédente. Telles sont les raisons pour lesquelles les députés écologistes voteront les crédits de cette mission.
Je voudrais revenir sur les mobilisations en cours depuis trois semaines. Comme cela a été également dit à la tribune, les avocats grondent et leur mouvement de protestation – avec un appel à la grève générale lancé par le Conseil national des barreaux –, qui a mobilisé 156 des 164 barreaux, perdure, et ce malgré les dernière concessions de la garde des Sceaux.
L’objet des négociations, tout juste relancées, est l’aide juridictionnelle, un dispositif d’accès à la justice des plus démunis.
Il est vrai qu’en 2014, après deux ans de gel, les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ont été revalorisés de 0,8 %, et la première partie du projet de loi de finances pour 2016 prévoit plusieurs réformes.
Il y a d’abord un relèvement du plafond de ressources d’accès à l’aide juridictionnelle totale pour le porter à 1 000 euros, 100 000 nouveaux justiciables par an pouvant accéder au dispositif alors qu’aujourd’hui, l’aide juridictionnelle, accessible aux personnes gagnant moins de 937 euros par mois, représente environ 900 000 dossiers. Toutefois, du fait du changement de barème du nombre d’unités de valeur par mission, ce qui ne relève pas du projet de loi de finances, certaines missions comme la garde à vue, les divorces et les procédures prud’homales seront moins bien rémunérées. Et, globalement cela représente une hausse de 27 millions d’euros des dépenses pour l’aide juridictionnelle.
L’unité de valeur, certes généralisée et revalorisée, demeure au centre des critiques. Les avocats exigent une revalorisation de la rémunération et dénoncent le nombre trop faible d’unités de valeur attribuées aux principales procédures, comme les divorces, les gardes à vue ou les affaires jugées aux prud’hommes dans le projet actuel, en raison du changement de barème du nombre d’unités de valeur par mission.
Je l’ai souligné en commission, nous ne pouvons faire peser le poids du financement de l’aide juridictionnelle sur les épaules des seuls avocats. Ils sont déjà peu nombreux à assurer l’aide juridictionnelle, 7 % d’entre eux réalisent environ 57 % des missions. À Créteil ou à Bobigny, 70 % de la population est éligible à l’aide juridictionnelle. Je vous laisse imaginer les situations.
Il faut donc trouver un financement pérenne et nous regrettons que la garde des sceaux n’ait pas donné de réponses propres à nous éclairer comme l’avait demandé la semaine dernière la représentation nationale.
Pour assurer ce financement, le projet de loi de finances pour 2016 ouvre quelques pistes, il est vrai, en relevant d’un à deux points la taxe sur les contrats d’assurance de protection juridique – les marges des compagnies sur ces contrats sont très élevées, 600 millions d’euros –, en augmentant la taxe sur les actes d’huissiers et en affectant 28 millions d’euros du produit des amendes pénales en 2016 et 38 millions d’euros en 2017. Reste que le financement par des taxes affectées conduit à la débudgétisation de l’aide juridictionnelle et au désengagement de l’État d’un dispositif qui date de 1972 et qui permet aux plus démunis d’avoir accès à un défenseur. On peut donc se féliciter que les négociations aient repris, mais l’on est très attentif à ce qui sera trouvé comme financement pérenne pour une institution à laquelle sont attachés nos concitoyens, voire un peu dubitatif.
Nous sommes tous d’accord sur le diagnostic : L’aide juridictionnelle est à bout de souffle. Mais quelles décisions permettront de remettre à plat ce dispositif ? Quelle serait l’augmentation de la rémunération accordée aux avocats pratiquant l’aide juridictionnelle ?
Je voudrais également revenir sur la promesse du Gouvernement de publier régulièrement des statistiques sur la surpopulation carcérale. Nous avons vu récemment en abordant la question des permissions de sortie qu’il y avait de grosses lacunes et qu’il était difficile d’avoir des chiffres fiables. Jusqu’en 2002, un annuaire statistique rassemblant l’ensemble des statistiques de l’administration pénitentiaire et de la justice était publié chaque année. Aujourd’hui ces statistiques, qui sont pourtant toujours collectées, sont conservées au ministère, sans publicité.
Naguère rendues publiques dans le rapport annuel de l’administration pénitentiaire, ces données concernent le détail des fautes disciplinaires et des sanctions prises, le nombre et la durée des placements en isolement dit administratif, le détail des différentes catégories de permissions de sortie et le nombre précis des non-retours, des retours en retard, des évasions, ainsi que des délits commis au cours des permissions, mais aussi le nombre de personnes placées soumises aux différentes mesures de sûreté.
Le ministère envisage-t-il de publier ces données, qui l’étaient naguère, et sont d’intérêt général pour le public, les médias, les journalistes et les parlementaires que nous sommes ?
La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous constatons avec satisfaction l’augmentation des dotations de la mission « Justice », portant le budget pour 2016 à plus de 8 milliards d’euros en autorisations d’engagement pour le ministère de la justice, regroupant les budgets affectés aux juridictions, à la protection judiciaire de la jeunesse et aussi aux services pénitentiaires.
Nous ne pouvons que saluer cet effort, dans un contexte budgétaire contraint. Il répond à certaines critiques émises par le rapporteur spécial de la mission, Etienne Blanc, qui, s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes, a pu faire part du manque de soutenabilité du budget de la justice, dont les dépenses sont en augmentation constante. Le rapporteur s’inquiète du sous-calibrage de la masse salariale, d’autant plus que le glissement vieillesse-technicité en constitue un élément structurant.
Cette priorité fait également partie des objectifs de modernisation et d’amélioration de la justice, plus proche et protectrice des droits des justiciables, conformément au projet de loi pour la justice pour le XXIe siècle, présenté par la garde des sceaux, dont l’examen débute au Sénat. Ainsi, garantir un égal accès, dans des délais raisonnables et à des coûts acceptables pour l’ensemble des justiciables, constitue un objectif nécessaire et doit être encouragé.
Ce budget consacre également la création de vingt-sept emplois de magistrat et de 200 ETPT pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation, à quoi s’ajoute le renforcement de la politique d’aide aux victimes, avec une augmentation de 18 % du budget, accompagné d’une ambition éducative pour la justice des mineurs, renforcée par la pérennisation de son budget pour 2016.
Enfin, au titre de la lutte contre la radicalisation en milieu carcéral, sujet auquel je suis sensible, et parce qu’il est de notre devoir de lutter contre ce phénomène, le projet de budget pour 2016 prévoit de faire bénéficier le ministère de la justice de crédits supplémentaires permettant la création de 333 emplois et de 50,2 millions d’euros complémentaires de crédits de paiement, hors dépenses de personnels.
Pour autant, nous pouvons nous interroger sérieusement sur les moyens dont disposent les établissements pénitentiaires pour fonctionner. Nous déplorons à ce titre la dégradation progressive des conditions de sécurité en prison, soulignée par de multiples acteurs.
Les prisons ne peuvent demeurer des lieux de radicalisation, et il apparaît déterminant de renforcer la lutte contre la création de filières, notamment au sein des établissements pénitentiaires. Les prisons ne peuvent pas, ne doivent pas être des pépinières de djihadistes. Au-delà des 253 emplois créés pour l’ouverture de nouveaux établissements, ce sont 172 créations d’emplois, auxquels s’ajoutent trente aumôniers, qui sont prévues en 2016 dans le cadre du plan de lutte antiterrorisme.
Il ne faut pas oublier les aumôniers. Leur rôle est primordial dans la lutte contre la radicalisation. Pour déconstruire cette idéologie, il faut aussi lui opposer des arguments théologiques et intellectuels. Il faut donc des aumôniers formés, compétents, républicains, et assurant une présence régulière toute la semaine.
À défaut d’un véritable service de renseignement pénitentiaire, que je préconise, avec des personnels formés permettant le recueil et l’analyse des données en milieu carcéral, les crédits du plan de lutte antiterrorisme permettent de structurer le renseignement pénitentiaire avec des officiers dédiés à plein temps dans les prisons. C’est un premier pas, qui doit faire ses preuves rapidement et c’est pourquoi il est urgent que les délégués locaux soient nommés rapidement.
Le projet de loi de finances prévoit 2,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et 9 millions en crédits de paiement pour des travaux permettant une prise en charge spécifique des personnes radicalisées dans cinq unités spécialisées dites de déradicalisation. Il est nécessaire d’accompagner les détenus en voie de radicalisation ou les détenus les plus modérés, mais il est aussi impérieux d’isoler les détenus recruteurs pour mettre fin au prosélytisme et je regrette que ce programme ne prévoie pas la généralisation de l’expérience menée actuellement à Fresnes.
Néanmoins je tiens à souligner que ce dispositif peut être insuffisant pour lutter contre la radicalisation quand il s’agit du regroupement des détenus déclarés très dangereux. Le risque serait que cela permette à des détenus de communiquer entre eux, ce qui n’aboutirait qu’à déplacer la problématique. Il convient donc de placer en régime d’isolement total les individus identifiés comme islamistes radicaux recruteurs. Il y va de la sécurité des Français car le terrorisme se combat aussi en prison, d’abord en prison, dirais-je même. Pour cela, il faut aider les agents pénitentiaires à accomplir leur lourde tâche, rendue plus complexe encore par la montée de l’islamisme radical. Je tiens, pour ma part, à leur rendre un hommage particulièrement appuyé.
Pour toutes ces raisons et parce que le budget de la justice est en augmentation et va dans le bon sens, le groupe RRDP votera les crédits de cette mission.
La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en dépit d’une augmentation de 1,3 %, le projet de budget de la justice pour 2016 n’échappe pas aux logiques d’austérité et, globalement, les moyens alloués ne suffiront pas à permettre aux différents services de fonctionner convenablement, en les obligeant souvent à jongler avec la pénurie.
C’est ainsi que, dans l’administration pénitentiaire, les créations d’emploi prévues ne permettront pas de combler l’ensemble des besoins. Le manque de surveillants reste patent – 1 200 à 1 300 postes seraient actuellement vacants – et leurs conditions de travail s’aggravent d’année en année. Autant de questions qui cristallisent le malaise des personnels, qui ont manifesté leur mécontentement la semaine dernière.
Au regard de la situation critique dans laquelle se trouve la protection judiciaire de la jeunesse, les cinquante-quatre emplois destinés au renforcement des centres éducatifs fermés, du milieu ouvert et de la continuité des parcours des mineurs pris en charge ne suffiront pas non plus à répondre aux besoins, d’autant que l’on ignore à ce jour la répartition de ces postes entre les centres éducatifs et les autres structures. J’ajoute que, depuis plusieurs années, de graves dysfonctionnements, la faiblesse de l’encadrement et le manque de projets éducatifs sont pointés du doigt dans les centres éducatifs fermés, en particulier par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. C’est pourquoi il nous paraît désormais indispensable de faire un bilan précis du fonctionnement et de l’efficacité de ces centres.
S’agissant de la réforme de l’ordonnance de 1945 et de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, nous ne pouvons que nous réjouir de l’annonce du dépôt d’un projet de loi en 2016, même si les récentes déclarations du Premier ministre nous incitent à faire preuve d’une grande prudence, qui ne se dissipera qu’avec l’inscription de ce projet de loi à notre ordre du jour.
Si les 157 créations nettes d’emploi dans les services judiciaires permettent de soutenir des réformes majeures, que, pour notre part, nous avons approuvées, seuls trois emplois de magistrat seront créés pour le soutien à l’activité juridictionnelle générale.
Nous déplorons par ailleurs qu’une solution pour un financement pérenne de l’aide juridictionnelle ne soit pas encore trouvée alors que cette dernière est à bout de souffle. Si nous avons pris acte de la décision de la garde des sceaux de renoncer à une participation financière des avocats, le problème de fond demeure puisque les barèmes de rétribution des avocats intervenant à l’aide juridictionnelle restent à préciser et qu’une diminution de cette rétribution aurait des conséquences dramatiques sur la prise en charge des dossiers.
Je veux enfin dire un mot sur le projet de décret d’application de la réforme de la justice prud’homale induite par la funeste loi Macron. Ce projet de décret signifierait en réalité la suppression de la spécificité de la procédure prud’homale, et nous demandons donc avec insistance que les propositions du Conseil supérieur de la prud’homie formulées il y a une quinzaine de jours soient prises en compte.
En conclusion, et comme vous l’aurez peut-être compris, l’insuffisance des moyens attribués, la question du financement de l’aide juridictionnelle et la mise en oeuvre de la réforme prud’homale conduisent cette année les députés du Front de gauche à s’abstenir sur les crédits de la mission « Justice ».
Je tiens à remercier tous les orateurs, et plus particulièrement M. Pietrasanta, M. Falorni et M. Coronado pour leur soutien à ce budget.
Monsieur Pietrasanta, comme d’autres de vos collègues, vous avez axé votre intervention sur les unités d’aide à la lutte contre la radicalisation. Vous avez rappelé l’ouverture, d’ici à février 2016, de quatre sites auxquels 11 millions d’euros sont consacrés et vous êtes revenu sur les cinq programmes de recherche-action qui permettront de mieux prendre en charge les personnes radicalisées, grâce aux conclusions de votre rapport.
Monsieur Falorni, vous souhaiteriez une généralisation plus rapide de ces unités de lutte contre la radicalisation. Mais il ne s’agit pas tant d’un problème budgétaire que de la mise en oeuvre pragmatique et évaluée des politiques. À cette nuance près, je vous remercie du soutien que vous apportez au budget et, plus fondamentalement, à la démarche du Gouvernement en la matière.
Monsieur Coronado, vous avez formulé de nombreuses remarques utiles à ce débat. Vous avez insisté sur la question des statistiques. Sachez que chaque mois des statistiques de l’administration pénitentiaire sont accessibles sur internet.
Elles donnent l’essentiel des éléments, comme le nombre de permissions de sortie, celui des personnes placées sous main de justice ou des évasions. Cette transparence me semble répondre à vos préoccupations.
Je reviens sur les mises en place du plan exceptionnel de 33 millions d’euros pour la sécurisation des établissements. Nous allons renforcer les dispositifs de lutte contre les projections, nous mettons en place des portiques à onde millimétrique et des portiques de détection de masse métallique. Nous allons également créer deux unités cynotechniques. Ce sont 12 millions d’euros de crédits de paiement consacrés à la sécurisation des établissements, après 17 millions en 2014 et 12 millions en 2013. D’autres progrès sont à attendre.
Tels sont les éléments budgétaires que je voulais souligner avant de répondre en quelques mots à M. Geoffroy. Le budget pour 2016 ne prend pas en compte les 68 millions d’euros supplémentaires pour l’aide juridictionnelle, ce qui explique l’écart que vous avez interprété comme une baisse. Deuxièmement, le plafond d’emploi est indicatif et n’a pas vocation à être saturé. Ce sont les créations d’emploi prévues qui importent, et elles sont financées. Quant à l’aide juridictionnelle, les négociations se poursuivent vers une issue que nous espérons favorable.
S’agissant des critiques que vous avez émises sur la contrainte pénale et son supposé échec, sachez que sur l’ensemble du territoire, plus d’un millier de ces contraintes ont déjà été prononcées. Cette réforme de structure doit venir modifier le comportement de l’ensemble des justiciables et de la chaîne des personnels de justice. Ceux-ci doivent s’impliquer pour faire exister cette culture nouvelle et mettre en oeuvre des politiques pensées et élaborées collectivement, imaginées à partir d’expériences étrangères et grâce au concours de nombreux scientifiques et débattues à l’Assemblée nationale.
Il faudra un certain temps pour s’approprier cette nouvelle peine qui vise à lutter contre la récidive et à renforcer par des moyens efficaces, et non pas seulement déclamatoires, les éléments de répression, lorsqu’ils sont nécessaires. Nous sommes persuadés que la mise en place progressive mais volontaire de cette réforme est un élément essentiel du bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.
Nous en venons aux questions.
La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Permettez-moi d’abord de regretter l’absence de Mme la garde des sceaux et de lui exprimer ma sympathie.
Nous examinons aujourd’hui le budget de la mission justice et de ses quatre programmes : justice judiciaire et administrative, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse et l’accès au droit. C’est le quatrième budget que nous examinons depuis le début de cette mandature. Avant d’en aborder les caractéristiques, je voudrais vous rafraîchir la mémoire. Michel Mercier, garde des sceaux en 2011, au moment d’un fort mouvement de colère des personnels de justice, reconnaissait les difficultés liées à l’augmentation continue du contentieux et un retard historique à combler les moyens.
La gauche a donc reçu en héritage des services sinistrés de la justice,
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
dont le redressement a été reconnu prioritaire par le chef de l’État. Je voudrais rappeler les diminutions drastiques de poste pour la protection judiciaire de la jeunesse, sacrifiant la prise en charge des jeunes mineurs délinquants. Je tiens aussi à rappeler les dysfonctionnements nés de la multitude des réformes non provisionnées, la réforme de la carte judiciaire qui a éloigné les justiciables de leurs juges et la politique pénale créatrice de besoins en personnels et en places de prisons non budgétés.
Depuis quatre ans, le budget de la justice est en hausse. Il a augmenté chaque année de plus de 1 %, voire de 1,3 % en 2016. Il tient compte non seulement des priorités gouvernementales, mais aussi du financement des réformes engagées, qui relèvent des directives européennes comme la garde à vue ou de la réforme pénale, de la création des postes nécessaires à la montée en puissance de l’application de la nouvelle peine qu’est la contrainte pénale, de la consolidation de l’accès au droit et de l’aide juridictionnelle.
L’amélioration de l’efficacité du fonctionnement de notre justice a été relevée par la commission européenne pour l’efficacité de la justice, bien que l’effort consenti reste encore en deçà de la moyenne européenne au regard de la richesse nationale. Pour autant, les efforts de la nation sont là, pour que les Français se réconcilient avec leur justice.
La gauche, sous la conduite ardente de sa garde des sceaux, s’est lancée dans un grand défi : celui de conduire un changement vers une justice du XXIème siècle, en visant l’exemplarité du service public de la justice. Le programme 101 de l’accès au droit en est une part très importante, car il s’agit de faire respecter un droit élémentaire : celui de l’égalité de chacun devant la justice. L’aide juridictionnelle est au centre de l’actualité ces dernières semaines, sous l’angle de la rémunération des avocats. Ne perdons cependant pas de vue son rôle au service du droit fondamental des justiciables.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur les avancées et les efforts budgétaires dans les autres domaines de l’accès au droit et du développement du réseau de l’information et nous préciser quels sont vos objectifs en mettant l’accent sur la médiation dans ce budget ?
Madame Pochon, je vous remercie pour votre question dont la pertinence faisait bruisser à ma droite les bancs avides d’une réponse.
Je vais essayer d’être à la hauteur des attentes de vos collègues.
La réforme de la carte judiciaire de 2008 a créé des déserts judiciaires, en supprimant : 23 TGI et tribunaux de première instance ; 178 tribunaux d’instance ; 62 conseils de prud’hommes ; 78 juridictions commerciales. L’accès au droit impliquant l’information, l’orientation et l’accompagnement des justiciables, avant même tout accès à la justice, a été réduit. Ce gouvernement renforce, au contraire, le lien social et réintroduit le service public de la justice au plus près des citoyens.
Il a fait rouvrir trois juridictions et a créé six chambres détachées. Il mène également une politique volontariste de l’accès au droit sur tout le territoire. C’est ainsi que six nouvelles maisons de justice et de droit ont été créées depuis 2012 et que trois autres sont en cours de création ; que le nombre de greffiers mis à disposition par le ministère a été augmenté – 104 en 2012 et 121 en 2015 ; que quatre nouveaux conseils départementaux de l’accès au droit ont été créés ; que le nombre de personnel mis à disposition a été augmenté – 48 en 2012 et 65 en 2015 – ; que le montant des subventions passe de 4,6 millions à 6,3 millions ; qu’il existe désormais 1 250 lieux d’accès au droit, dont 154 en établissement pénitentiaire.
La réforme J21 a pour objectif de renforcer la politique publique d’accès au droit, en modernisant le dispositif existant au niveau local et en renforçant l’implication des juridictions. Le service d’accueil unique du justiciable, déjà expérimenté chez vous, madame Pochon, en Seine-Saint-Denis, permettra d’être informé sur ses droits ou sur une procédure en cours, même si elle ne se tient pas dans la juridiction où l’on se rend. Au tribunal du Raincy, il sera ainsi possible d’obtenir des informations relatives à une procédure en cours à Bobigny.
Portalis, le nouveau portail informatif du ministère de la justice permettra aussi d’obtenir toutes les informations nécessaires sur les procédures.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne sais pas si la réforme de la carte judiciaire a créé des déserts judiciaires. Toujours est-il que je vous invite à relire le rapport de la Cour des comptes, laquelle a salué les effets bénéfiques de cette réforme qui reste à parachever. Ma question portera à nouveau sur l’aide juridictionnelle.
L’intention première de la garde des sceaux était de taxer les avocats sur les produits financiers provenant des fonds déposés par leur clientèle sur les comptes CARPA. J’avais pu mesurer la colère des avocats, ayant moi-même assisté au congrès du conseil national des barreaux le 9 octobre dernier, auquel la garde des sceaux n’était ni présente, ni représentée, contrairement à votre collègue du Gouvernement, Emmanuel Macron, qui décidément, et curieusement, s’occupe beaucoup des professions réglementées relevant naturellement et habituellement du domaine de compétence du ministère de la justice.
Après une semaine de grève des barreaux, Mme Taubira a finalement opéré un repli stratégique, en annonçant que le Gouvernement déposerait devant le Sénat un amendement supprimant les prélèvements sur les comptes CARPA. Tout cela révèle une forme d’improvisation qui a des conséquences regrettables pour les justiciables. Mais c’est une sage décision, car comment concevoir qu’une profession soit obligée de payer, bourse déliée, pour pouvoir exercer ses missions, en suppléant à l’État défaillant, à moins de considérer que les avocats sont des nantis ?
Le président du conseil national des barreaux, maître Pascal Eydoux, a appelé à la plus grande mobilisation. Nous comprenons que la profession reste vigilante, car dans ses réponses, le Gouvernement s’est contenté de dire que les discussions continuaient. Je suis d’accord avec la garde des sceaux au moins sur un point, lorsqu’elle déclare que le système de l’aide juridictionnelle est à bout de souffle. Sans doute le Gouvernement a-t-il en partie contribué à cette embolie, puisqu’il a supprimé le 1er janvier 2014 le droit de timbre de 35 euros que nous avions créé lors de la précédente législature.
Force est de déplorer que, dans le budget « Justice » 2016, vous ne proposez aucune réforme structurelle de l’aide juridictionnelle, qui est donc plus que jamais menacée. Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi ne pas s’orienter franchement vers une généralisation des contrats d’assurance de protection juridique ? Ainsi, il ne reviendrait plus aux avocats de suppléer à une obligation de solidarité nationale et cela assurerait la pérennité du financement de l’aide juridictionnelle par les contributions des assureurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur Fenech, votre allusion au rapport de la Cour des comptes témoigne de votre réel souci pour les comptes publics, mais peut-être moins pour l’accès au droit des justiciables. Or, c’est là l’un des éléments sur lequel le Gouvernement a voulu insister : avoir une bonne gestion des comptes publics, certes, mais assurer cette priorité à la justice, laquelle ne passe pas nécessairement par un recul de l’accès au droit.
Vous posez la question de l’aide juridictionnelle, un sujet majeur dont l’actualité est brûlante. Néanmoins, il y a dans votre argumentation des éléments qui me choquent, notamment lorsque vous dites que mobiliser les intérêts des comptes CARPA, c’était s’approprier l’argent des barreaux et des avocats. En aucun cas ! C’est fondamentalement l’argent des justiciables. Que l’utilisation des intérêts supplémentaires fasse l’objet d’une discussion contractuelle, c’est logique, mais il n’est pas possible de se prévaloir de cet argent, en défendant la justice et les justiciables. Cet argent est bien celui qui appartenait aux justiciables.
Mais nous sommes en discussion, je l’ai dit tout à l’heure, pour conclure cette réforme de l’aide juridictionnelle. Vous l’avez souligné : cela fait des années et des années que l’on en parle sans que jamais le sujet ne soit résolu ni même traité. Le Gouvernement tente maintenant de le résoudre : c’est tout de même une différence avec le passé. Nous pensons que le problème de l’aide juridictionnelle va être réglé, peut-être pas dans les modalités initiales que nous avions envisagées, mais dans une perspective de solidarité très forte qui profitera non seulement aux justiciables mais aussi aux avocats les plus défavorisés, les plus fragiles, ceux qui souvent sont réquisitionnés au titre de l’aide juridictionnelle.
Vous suggérez que la question puisse être résolue par l’instauration d’une assurance de protection générale. Je rappelle qu’une telle disposition fait partie de la réforme. Il n’en demeure pas moins, en cette matière comme dans d’autres, qu’il restera des personnes particulièrement vulnérables et démunies, et qui auront besoin, confrontées à la justice, d’une aide particulière. C’est pourquoi nous allons renforcer l’aide juridictionnelle à leur intention, sans pour autant négliger les éléments d’assistance générale que vous avez évoqués.
Je me permets de rappeler que le temps de parole est limité à deux minutes, tant pour la question que pour la réponse.
La parole est à M. Christian Kert.
Madame la présidente, je vous remercie de nous rappeler cette mesure que je vais m’efforcer de suivre.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque vous voilà pendant deux petites heures garde des sceaux, je voudrais vous rappeler les engagements pris dès 2013 par les services de Mme Taubira sur les travaux de construction du nouveau tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence, travaux qui auraient dû être entamés l’année dernière. Un arbitrage défavorable venant du Premier ministre a contraint dans le budget 2015 à reporter ce projet alors même, ce qui est tout de même assez singulier, que les travaux de démolition avaient déjà été entrepris. On a donc procédé à l’installation de bâtiments provisoires pour la plupart des services. Mais devant la fronde que mon collègue Jean-David Ciot, Mme Joissains, maire d’Aix-en-Provence et moi-même envisagions de lancer, les services du ministère de la justice nous avaient assuré l’inscription du projet dans un plan triennal mis en place à partir de 2016. Or, sauf à ce que la ligne budgétaire soit très discrète, je n’ai rien vu… bien que l’horizon soit en ce moment très dégagé à Aix-en-Provence.
Face au désarroi du personnel mais aussi des justiciables, je dois reconnaître que des mesures conservatoires avaient été prises à hauteur de 400 000 euros mais, bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, elles ne sont pas suffisantes pour pérenniser le projet. Attendu depuis 2005, d’études en études et de reports en reports, et surtout sans aucune concertation avec les principaux intéressés et les élus représentatifs, il faut que vous soyez conscient que si ce projet devait être encore décalé, un risque réel pèserait sur l’exercice même de la justice en un lieu où le volume d’affaires traitées est pourtant l’un des plus importants du pays.
C’est pourquoi je souhaite de votre part une réponse définitive sur le financement sécurisé des travaux. Où en est le plan triennal annoncé et quel calendrier allez-vous proposer pour le lancement de ce chantier ? Je rappelle pour conclure, madame la présidente, que des propositions de financement avec l’aide de la ville d’Aix-en-Provence avaient été avancées : en a-t-il été tenu compte ? Les avocats sont, eux aussi, affectés par cette situation, et les élus d’Aix-en-Provence soutiennent leurs justes revendications avec d’autant plus de fermeté.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les élus d’Aix ont été reçus par le cabinet de la ministre il y a quelques semaines. L’importance du dossier du TGI d’Aix me paraît tout à fait certaine. C’est un dossier qui, vous l’avez rappelé, monsieur Kert, traîne malheureusement depuis des années – au moins depuis 2005. On a expertisé la proposition de la municipalité : elle semble beaucoup plus coûteuse et très difficile à mettre en place juridiquement. Il n’est pas possible que la collectivité locale s’endette et qu’ensuite l’État subvienne à ses besoins.
Par contre, je vous confirme que le Gouvernement souhaite inscrire la construction du TGI dans le futur plan triennal et que les choses seront précisées dans le courant de l’année prochaine pour valider de façon définitive la restauration du TGI d’Aix dans le cadre de l’action de l’État.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, en matière de droit de la famille, le rôle de la justice ne se résume pas simplement à trancher des conflits : la complexité et la forte dimension psychologique des conflits familiaux obligent à prendre en compte, encore plus qu’ailleurs, l’aspect humain et relationnel. C’est en ce sens qu’est menée depuis le début des années 2000 une politique de développement des modes de résolution amiable des conflits familiaux. Ils participent non seulement à un règlement plus apaisé et moins procédurier, mais ont également pour effet bénéfique de désengorger l’institution judiciaire en la matière.
Il est à souligner que la convention conclue entre l’État et la Caisse nationale d’allocations familiales pour la période 2013-2017 prévoit des mesures visant à renforcer le recours à la médiation familiale, avec notamment une augmentation de 66 % à 75 % de la part de la CNAF dans le financement des postes de médiateurs via la prestation de service, ainsi que la création d’un fonds dédié aux espaces de rencontre parent-enfant. S’il est vrai que le nombre de conflits familiaux résolus par une médiation augmente ces dernières années, les associations locales de médiation familiale ont besoin de dotations supplémentaires pour couvrir la demande grandissante de la part des familles. Des efforts financiers supplémentaires doivent être consentis en ce sens.
Pouvez-vous me préciser, monsieur le secrétaire d’État, quelle politique budgétaire le ministère de la justice entend mener afin d’améliorer le recours à la médiation familiale, et si des dotations supplémentaires sont prévues en faveur des associations locales de médiation familiale pour l’année 2016 ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur Morel-A-L’Huissier, le Gouvernement est tout à fait attaché à ce qu’il soit fait appel à des médiateurs familiaux. Le rapport Tasca-Mercier a préconisé l’extension des expérimentations menées à Bordeaux et à Arras depuis 2014 en raison de leur impact important sur l’organisation judiciaire. Nous avons prévu dans ce budget 3,25 millions d’euros pour soutenir les médiateurs familiaux. Leur rémunération n’était pas le seul objet de votre question, mais je tiens à souligner qu’elle peut être prise en charge au titre de l’aide juridictionnelle et que le projet de loi de finances pour 2016 introduit le principe d’une rétribution de l’avocat assistant dans le cas où une des parties à la médiation est éligible à l’aide juridictionnelle.
Il s’agit donc d’une action globale significative pour un montant, je le répète, de 3,25 millions d’euros, ce qui montre l’intention du Gouvernement d’aller dans le sens des préoccupations que vous avez exprimées.
J’adore siéger à l’Assemblée nationale, et plus encore quand c’est vous qui présidez, madame.
Exclamations sur divers bancs.
Sourires.
Sourires.
… parce que je ne parle pas souvent. Mais j’aime les réponses de M. le secrétaire d’État parce qu’il est assez carré, dans les deux sens du terme.
J’en viens d’abord à ma question. Elle porte bien entendu sur l’aide juridictionnelle. J’ai vu dans le projet de loi de finances qu’il était prévu que 100 000 justiciables de plus puissent en bénéficier, en fixant le seuil de pauvreté à 1 000 euros par mois, et que l’aide soit mieux accompagnée et mieux mise en oeuvre, ce qui est très important et très attendu. Il ne vous a pas échappé, monsieur le secrétaire d’État, que cela suscitait un certain nombre de débats. Je suis pourtant absolument certain qu’une telle réponse apportera beaucoup de soulagement et un peu de réconfort. Comment pensez-vous financer cette mesure ?
Maintenant que j’ai posé ma question, et vous voyez que je suis dans les temps, madame la présidente,
Sourires
je rappelle que j’ai eu l’occasion de faire 6 000 kilomètres à pied durant neuf mois à travers le pays, et j’ai pu me rendre compte de ce qui apparaît dorénavant au grand jour : le malaise profond de notre pays, avec un peuple qui a peur et qui n’a plus confiance en rien ni en grand monde. Le politique est bien sûr le premier mis en cause ; les grands médias suivent d’assez près mais la justice, hélas, aussi. Il m’a été donné de travailler, et je continue même si c’est très difficile, avec ceux qui se font appeler « les indignés », inspirés par « los indignados » espagnols. C’est très difficile, disais-je, parce que soit ils sont révoltés, soit, ce qui est le pire, ils ne croient vraiment plus en rien. Nous devons avoir tous le souci aujourd’hui de nous occuper prioritairement de notre justice. Vous avez vu tout à l’heure la déflagration qui s’est produite au coeur de notre assemblée. La déflagration couve aussi au niveau du peuple tout entier. Je crois pourtant que l’immense majorité de nos concitoyens aspire à ce que la justice redevienne un jour un espoir au lieu de ne leur apparaître trop souvent qu’aux moments très sombres de leur vie.
Madame la présidente, je vous remercie d’avoir compris que j’avais besoin de parler un peu plus.
Sourires.
Monsieur Lassalle, permettez-moi de vous dire que c’est toujours un plaisir de vous entendre (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), à la fois du fait de votre témoignage mais aussi de par la manière dont vous vous exprimez car celle-ci diffère, reconnaissons-le, d’autres modes d’expression plus habituels.
Je constate que vous n’hésitez pas à le dire, madame la présidente.
J’ai apprécié, monsieur le député, la manière dont vous avez parlé de l’aide juridictionnelle car vous avez insisté sur l’importance de l’accès à la justice pour nos concitoyens et sur la fonction propre de l’aide juridictionnelle à cet égard, et pas seulement de problèmes professionnels, par ailleurs extrêmement respectables. Vous avez aussi montré combien vous appréciez que le plafond pour y accéder soit remonté à 1 000 euros. Je vous en remercie car c’est bien la volonté du Gouvernement.
Vous m’avez interrogé sur le budget de l’aide juridictionnelle. Voici les chiffres : je vous confirme qu’il va passer de 375 millions à 400 millions d’euros en 2016. Voilà comment nous mettons en oeuvre un principe que vous défendez, à savoir un accès plus démocratique et plus simple à la justice pour nos compatriotes.
Par ailleurs, vous êtes porté par une aspiration : que la justice soit plus présente dans la société. Je pense que tout le monde sera d’accord avec vous pour que cette aspiration soit réalisée chaque jour encore un peu plus.
Je me dois de poursuivre tant d’amabilités. Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, l’accès au droit pour les justiciables. Je ne peux que vous féliciter de cette exigence qui me paraît nécessaire, voire indispensable. Ce n’est pas l’avocat que je suis qui pourrait prétendre le contraire.
L’accès au droit pour les justiciables, c’est d’abord et avant tout l’aide juridictionnelle. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez tout à l’heure commis une erreur que je me permets de corriger car vous représentez la ministre de la justice pour un bref moment, alors que votre formation n’est pas juridique. Je ne m’aventurerais pas pour ma part sur les questions médicales.
Sachez que les comptes CARPA, que l’on appelle aussi comptes CARSAM, recueillent bien évidemment l’argent des clients mais aussi, ce que vous avez oublié, les honoraires de l’avocat, par le truchement du palmarium ou conventions d’intéressement aux résultats. Les honoraires des avocats figurent donc aussi sur ces comptes, de même que les fonds nécessaires à leur fonctionnement.
Il est indispensable que nous ayons une réponse claire sur la question de l’aide juridictionnelle, que l’on doit étendre – vous avez tout à fait raison sur ce point – afin de permettre au plus grand nombre de justiciables d’accéder à la justice, fondement de la paix sociale. Au commencement, en effet, il y a la main de justice.
Les avocats, ceux de la jeune génération, qui débutent, non pas les avocats installés – bien qu’il ne faille pas faire de différence, tous portent la même robe noire –, ne peuvent cependant pas assumer le coût d’une ouverture plus grande de l’accès à la justice. Quelle est la donc position de la ministre de la justice sur les engagements pris à l’égard des avocats ? Décidera-t-elle de modifier les conditions de préemption sur les comptes CARPA ?
Je vous remercie, monsieur Collard, d’avoir affiné ma connaissance du fonctionnement des comptes CARPA. J’ai eu l’occasion de les alimenter à plusieurs reprises, sans savoir que je participais ainsi à un mouvement général.
Sourires.
Il me semble néanmoins que si l’on distinguait l’argent des justiciables de celui des avocats et, qu’à proportion, on appliquait la solidarité en ne touchant qu’à l’argent des justiciables, on irait déjà assez largement dans le sens que vous souhaitez, à savoir renforcer la solidarité dans l’accès au droit.
« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mais, comme je suis ici porteur non pas d’une réflexion philosophique mais d’un point de vue sur des discussions au sujet d’une catégorie socio-professionnelle, je vous confirme que le Gouvernement ne fait pas de la mobilisation des ressources liées aux comptes CARPA un des éléments de l’aide juridictionnelle.
Je ne sais pas, monsieur le député, si, ce faisant, je vous rassure en tranquillisant à travers vous une certaine corporation, ou si je vous inquiète, car les plus assistés de notre pays n’auraient plus accès au droit, que vous défendez si bien par ailleurs et d’une façon si régulière.
Les crédits de la mission « Justice » sont adoptés.
La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.
Nous abordons l’examen des crédits relatifs à l’aide publique au développement et au compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » (no 3110, annexe VI ; 3113, tome III).
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, nous sommes dans une année exceptionnelle pour le développement, marquée par de grands rendez-vous internationaux, tels que le Sommet pour le financement du développement, à Addis Abeba, le Sommet des Nations unies sur le développement durable à New York, où l’Agenda 2030 et les 17 objectifs de développement durable ont été adoptés, et la COP 21, qui s’ouvrira dans quelques jours à Paris.
La France se met en position de répondre à ces enjeux avec les annonces fortes du Président de la République, François Hollande : 4 milliards d’euros supplémentaires seront octroyés au développement en 2020, avec une montée en puissance progressive. Ces financements comprennent naturellement un volet Climat appuyé. Ainsi, parmi ces 4 milliards d’euros, 2 milliards sont destinés à la lutte contre le dérèglement climatique, portant le financement français de 3 milliards d’euros à 5 milliards d’euros en 2020. En complément, un volet Dons a été décidé, à hauteur de 370 millions d’euros.
Nous nous adaptons à un monde qui change car il doit prendre en compte les crises mondiales et leur évolution, au premier rang desquelles figure la crise des réfugiés. C’est d’ailleurs le sens de l’amendement de 50 millions d’euros sur le programme 209, que je défendrai tout à l’heure. Mais nous prenons aussi en compte la fin de la crise Ebola, dans laquelle nous nous sommes beaucoup impliqués, ou la fin des engagements en Afghanistan.
La France s’adapte en outre aux évolutions géopolitiques : notre pays participera ainsi à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. Nous construisons également le monde de demain, que nous voulons sans carbone ni pauvreté, et qui nous verra en ordre de bataille pour aider nos partenaires à atteindre les objectifs de développement durable.
Tel est le sens de la contribution française d’1 milliard d’euros au Fonds vert pour le climat et de l’amendement de 1 milliard d’euros issus de la taxe sur les transactions financières et destinés à la lutte contre le changement climatique, en particulier à l’adaptation, élément clé des négociations de la COP 21.
La France tient ses engagements visant à maintenir l’aide projet et à renforcer l’aide bilatérale. Mesdames et messieurs les députés, vous nous avez adressé l’an dernier un message fort, qui a été entendu. Vous l’avez renouvelé cette année. L’aide aux réfugiés financera des actions concrètes, dont une grande partie s’effectuera certainement sous forme multilatérale, via les agences des Nations unies, comme le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés – HCR – et l’aide alimentaire. L’effet levier d’une réponse multilatérale est beaucoup plus important : elle constitue une des conditions de réussite pour répondre au défi auquel nous sommes confrontés.
Les fonds climatiques devront par ailleurs cibler les pays les plus vulnérables et permettre des actions d’adaptation. Là encore, les actions relatives au climat seront pour partie bilatérales.
Soutenir des fonds d’urgence permet aussi de tenir nos engagements, non seulement en aidant les réfugiés, mais aussi en renforçant les organisations non gouvernementales – ONG – humanitaires, en stabilisant l’aide alimentaire et en garantissant une sortie de crise.
Enfin, il faut soutenir les acteurs du développement dans l’esprit d’Addis Abeba, en poursuivant le doublement du financement aux ONG – les 8 millions d’euros qui s’ajoutent cette année portent ce financement à 79 millions d’euros d’engagements –, en stabilisant les montants accordés à la coopération décentralisée, qui atteignent aujourd’hui 9,2 millions d’euros – vous avez largement soutenu cette vision, mesdames et messieurs les députés, dans la loi de 2014 – et en soutenant le volontariat et l’engagement des jeunes, avec un budget stable de 19,2 millions d’euros. Ce sujet me tient à coeur : le volontariat devrait ainsi connaître prochainement une réforme, afin de s’ouvrir à un public plus large.
Ce budget porte un message fort : il stoppe la baisse des crédits de 500 millions d’euros en cinq ans et permet de reprendre une trajectoire croissante vers l’objectif de 0,7 %, objectif que nous avons réaffirmé à Addis Abeba, lors de la conférence sur le financement du développement, tout en mettant l’accent sur les plus vulnérables – autre message d’Addis Abeba : 0,2 % du revenu national brut sera consacré aux pays les moins avancés.
Vous avez adopté un amendement visant à renforcer encore cette dynamique. Tout cela va dans le même sens : c’est une bonne nouvelle pour le développement !
Je tiens à souligner que le présent budget participe d’une démarche générale : il y a la loi que vous avez votée et dont le cadre devient opérationnel ; il y a l’appel à l’efficacité que nous avons adressé à l’ensemble de nos opérateurs, pour que l’on puisse dire aux Français comment chaque euro est utilisé ; il y a ce budget ; enfin, il y a les réformes institutionnelles – je pense en particulier à trois volets : le rapprochement entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations, la création et la mise en oeuvre d’Expertise France, puisque ça y est, notre outil est en place depuis le début de l’année, et la réforme de la gouvernance, elle aussi en route.
Nous avons adopté cette année des objectifs de développement durable ; nous nous mettons en ordre de bataille pour qu’ils soient atteints !
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Nous en venons aux interventions des porte-parole des groupes.
La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour le groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, à Addis Abeba, vous aviez engagé, madame la secrétaire d’État, la communauté internationale sur la voie des financements innovants ; à New York, le Président de la République avait annoncé une France exemplaire, qui allait accroître de 4 milliards son effort à l’horizon 2020 ; or, pendant ce temps, le Gouvernement préparait un budget d’aide publique au développement en baisse pour la cinquième année consécutive ! Cette baisse atteignait 6,3 % en 2015, soit 177 millions d’euros, affectant principalement les pays les plus pauvres, puisque c’est la partie consacrée aux dons, en particulier la fraction affectée à la santé, qui était la plus durement frappée.
Cette situation n’était guère tenable à la veille de la COP 21, à l’occasion de laquelle la France souhaite entraîner le monde sur le chemin du « zéro carbone, zéro pauvreté ». Alors, une fois n’est pas coutume, je salue l’éclair de lucidité du Gouvernement, qui – sans doute sous votre impulsion, madame la secrétaire d’État – a revu sa copie et trouvé 150 millions supplémentaires, stabilisant en apparence la dégradation de l’aide publique au développement française, alors qu’au Royaume-Uni et en Allemagne, les crédits qui y sont consacrés sont en constante progression. La représentation nationale a considéré que ce n’était pas suffisant et a voté l’attribution de 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières à l’Agence française de développement, en dépit de l’opposition du Gouvernement. Nous savons combien cet acquis est fragile et nous resterons vigilants, d’une part pour qu’il ne disparaisse pas dans la suite de l’examen budgétaire, d’autre part pour qu’une fois acquis il soit effectivement engagé. Je prends donc acte d’un début d’inversion de la courbe de dégradation de l’aide publique au développement française – suivant la formule consacrée pour mesurer les résultats de la politique gouvernementale dans notre pays.
En sortant de l’Assemblée, le projet de loi de finances pour 2016 consacrera l’aide publique au développement en lui accordant un budget supérieur à celui de 2015. Toutefois, cette appréciation doit être relativisée, car, comme dans toute maison sérieuse et bien gérée, il conviendrait de commencer par payer ses dettes : dette de 27,5 millions à Gavi, l’Alliance du vaccin ; incertitude de 40 millions concernant la contribution pour 2015 de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La consultation du « bleu » budgétaire ne permet pas de se rassurer sur ce versement, ni sur l’engagement de 360 millions au bénéfice du Fonds mondial en 2016. Et que dire des reculs touchant l’Initiative santé solidarité Sahel et les engagements de Muskoka, que nous ne tenons pas ?
Rassurez-nous, madame la secrétaire d’État : dites-nous que nous réglerons bien nos dettes et que nous tiendrons nos engagements ! L’inversion de la courbe de dégradation de notre aide publique au développement et l’accroissement de la proportion de dons pour les pays prioritaires deviendraient alors effectifs. Nous soutiendrons par conséquent les amendements tendant à transférer, cette année encore, des crédits du programme 110 au programme 209, et nous veillerons à leur mise en oeuvre effective.
En l’absence de résultats de la politique du Gouvernement, qui ne permet pas de dégager des ressources pour l’aide publique au développement, c’est bien vers les financements innovants qu’il convient de se tourner si l’on veut relever les défis soulevés par la situation du monde, le climat, la pauvreté, la santé ou les réfugiés. Qu’importe s’ils viennent en addition ou en substitution : c’est l’extrême urgence de l’aide au développement qu’il faut traiter.
Financements innovants – mais pas ceux qui consistent à faire des prêts à Gavi et à les faire rembourser par la Fondation Gates… Non, plutôt des financements comme la taxe « Chirac » ou la taxe sur les transactions financières, en affectant progressivement la totalité de leur produit à l’aide au développement. Je suis heureux qu’une fois encore contre l’avis du Gouvernement, la représentation nationale ait adopté l’extension de la taxe sur les transactions financières aux opérations intra-journalières. Et si j’ai voté en faveur de cette mesure, c’est, non pas parce que je serais, comme certains de mes collègues, l’ennemi de la finance, mais parce que je crois que le secteur bancaire, comme les autres secteurs, doit contribuer à la réparation des désordres et préjudices qu’il peut provoquer.
Toutes proportions gardées, la France n’est-elle pas le pays du principe du pollueur payeur ?
J’entends bien la crainte de voir la place de Paris devenir moins attrayante, mais ne suffirait-il pas, pour l’éviter, de caler le dispositif français sur ce qui se fait à Londres : même assiette, même taux, mêmes mécanismes de recouvrement, mêmes exemptions ou exonérations ?
Oui, il faut accroître les financements innovants, et c’est pourquoi je soutiendrai une nouvelle fois les amendements visant à affecter une part supplémentaire des taxes sur les boissons sucrées et sur l’huile de palme à l’aide publique au développement allouée à la santé.
Le destin du monde, l’équilibre de notre pays et de l’Europe à un horizon d’une dizaine d’années se jouent en Afrique et sur la capacité du reste du monde à donner un avenir à la jeunesse de ce continent. L’extraordinaire croissance économique de ce dernier ne lui permet même pas d’assurer à la population issue d’un développement démographique exceptionnel un accès aux services de base qui donnent un sens à la vie et au mot « dignité ». Comment, dans ces conditions, pouvons-nous espérer que les adolescents d’aujourd’hui ne deviennent les migrants économiques de demain, et cela quelles que soient les clôtures et barrières que nous érigerons, ou le terreau de toutes formes de révolte et de terrorisme ?
Face à ce défi, l’objectif d’une aide publique au développement française à 0,7 % du revenu national brut en 2030 n’est ni digne ni responsable. Puissions-nous au moins retrouver en 2017 le même niveau qu’en 2012, et que vous laissiez la maison aussi propre que vous l’avez trouvée en arrivant !
Relever le défi qui nous est imposé suppose de réaliser des investissements massifs et rapides en Afrique, en combinant investissements privés, prêts et dons – sans lesquels les conditions d’accès des populations aux services de base ne seraient pas supportables.
J’entends bien que l’on promet d’accorder 4 milliards de plus à l’horizon 2020, mais l’adossement de l’Agence française de développement – AFD – à la Caisse des dépôts et consignations laisserait plutôt supposer que l’on s’oriente vers un accroissement des prêts, que l’AFD ne peut, pour l’heure, envisager seule.
« La maison brûle ! », s’écriait Jacques Chirac. Il est grand temps d’en prendre à nouveau conscience. Nous ne pouvons pas assurer à nos enfants qu’ils seront heureux dans ce pays si le reste du monde vit dans le désordre et dans le malheur. La France doit être une nouvelle fois au rendez-vous de l’Histoire et inspirer l’avenir. Vous en avez, madame la secrétaire l’État, la responsabilité – ainsi que l’occasion.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, je veux tout d’abord saluer la belle intervention de mon collègue Jean-Marie Tetart. J’adhère sans réserve aux réflexions qu’il vient de nous livrer.
Cet après-midi, nous n’allons pas nous raconter des histoires ! À la veille de la COP 21, le grand rendez-vous de la planète, les efforts consentis par notre pays en matière d’aide au développement sont scrutés par tous les pays du monde, notamment par les plus pauvres, qui continuent à croire en la parole de notre pays. C’est d’autant plus vrai que le dernier rapport de l’OCDE faisant le bilan de la mobilisation du fonds vert pour le climat, qui doit atteindre les 100 milliards d’euros par an, a été jugé comme la plus grande farce de notre histoire : il paraît que 68 milliards ont déjà été obtenus, alors qu’aucun moyen direct et nouveau n’a été mis sur la table ! C’est comme si ces pays avaient craché à la figure des pays les plus pauvres, notamment à celle de nos amis africains.
En juillet se déroulait la Conférence sur le financement du développement à Addis Abeba. Deux mois plus tard, les 193 États membres de l’ONU adoptaient un nouveau programme de développement durable, qui se décline en dix-sept objectifs à atteindre d’ici à 2030 – programme encore plus ambitieux que celui adopté quinze ans plus tôt dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement. Nous nous attendions donc à ce que France montre concrètement son implication, qu’elle affiche des ambitions fortes en matière de développement durable, et qu’elle entraîne l’Europe – et l’Europe, le monde.
Dans ce contexte, mais aussi en raison de l’accueil d’un nombre de plus en plus grand de migrants, l’aide publique au développement est, et doit être, plus que jamais une composante essentielle de notre politique étrangère. Elle est une obligation, une exigence pour un pays tel que le nôtre, soucieux de développement, de stabilité et de paix. À ce titre, il est inimaginable, madame la secrétaire d’État, que le budget de l’aide publique au développement fasse office de budget sacrifié du quinquennat.
À l’heure de l’examen de cette mission, force est de constater que l’écart est démesuré entre les engagements de la France et ses choix budgétaires, entre les déclarations et la réalité des chiffres. En septembre dernier, le Président de la République affichait, à la tribune de l’ONU – vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État–, une ambition forte pour la France et s’engageait à consacrer en cinq ans 4 milliards d’euros supplémentaires à l’aide au développement et aux enjeux climatiques, soit 800 millions de plus chaque année. Nous l’avons cru. Cette ambition était nécessaire, car nous n’allouons que 0,36 % de notre revenu national brut à la solidarité internationale, à contre-courant de tous nos voisins européens, dont cinq d’entre eux ont atteint l’objectif de 0,7 % fixé par l’ONU. Quelle fut notre surprise de constater une nouvelle baisse historique des crédits, avec un budget en totale contradiction avec la détermination affichée par le Gouvernement !
La situation n’est hélas pas nouvelle : les moyens diminuent sans cesse depuis 2012,…
…avec des crédits budgétaires en baisse de 20,6 % par rapport à ceux de 2011 : 2,6 milliards d’euros en 2016 contre 3,3 milliards d’euros alors. Cette situation fait de la France un cas isolé parmi ses partenaires de l’OCDE.
Certes, le Gouvernement a, fort heureusement, présenté des amendements de rattrapage, à hauteur de 150 millions d’euros – mais il reste de la marge. Des avancées ont été obtenues, contre l’avis du Gouvernement mais grâce à l’implication de collègues de tous les bancs, s’agissant de la taxe sur les transactions financières, avec l’élargissement de son champ aux transactions dites « intraday », le relèvement du plafond de la part de son produit affectée au Fonds de solidarité pour le développement et l’affectation d’une fraction de 25 % de son produit au budget de l’Agence française de développement. C’est important, mais il reste beaucoup à faire.
Ces mesures seront-elles conservées par le Gouvernement en deuxième lecture ? Nous l’espérons, madame la secrétaire d’État. Elles sont de toute façon insuffisantes. Où sont les 800 millions d’euros de crédits supplémentaires qui devaient abonder la mission dès le projet de loi de finances pour 2016 ?
L’aide allouée à la santé est particulièrement touchée par la baisse drastique du budget. Le Gouvernement affirme que 360 millions d’euros seront bien décaissés en 2015 et en 2016 pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Or vous avez mentionné lors de la commission élargie, madame la secrétaire d’État, 20 millions d’euros de coupes en 2016. Nous devons avoir l’assurance que 360 millions d’euros seront bien engagés chaque année, soit au total 1,08 milliard pour la période 2014-2020.
J’espère que le Gouvernement se ressaisira en deuxième lecture. En attendant, le groupe UDI votera contre les crédits de cette mission, bien loin d’être à la hauteur des enjeux soulevés par l’aide publique au développement.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, chers collègues, je constate une certaine convergence de vues dans nos interventions ! Je regrette en effet que nous ne soyons pas à la hauteur du rendez-vous et que nous ne respections pas les engagements que nous avons pris en matière d’aide publique au développement. C’est un mauvais message qui est adressé à la planète, alors que celle-ci a bientôt rendez-vous à Paris. Dans ce projet de loi de finances initiale, les crédits de l’aide publique au développement, pourtant un des leviers pour relever les défis adressés au monde, ne sont hélas pas à la hauteur.
On note toutefois quelques avancées, obtenues grâce au travail des parlementaires ; je tiens à les indiquer.
Je me félicite ainsi de l’adoption de l’amendement no 546 , que j’avais déposé avec mon collègue Pouria Amirshahi, visant à augmenter les capacités d’intervention de l’Agence française de développement grâce à l’affectation à l’aide au développement de 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières – soit quelque 233 millions d’euros pour lutter contre l’extrême pauvreté et le changement climatique.
De plus – cela a été dit tout à l’heure – l’assiette de la taxe sur les transactions financières a été élargie aux opérations dites intraday, ce qui permettra de dégager des recettes supplémentaires : cette retombée de 2 à 4 milliards d’euros par an devrait profiter à l’aide publique au développement à hauteur de 50 %. Dès l’entrée en vigueur de cette nouvelle mesure, le budget affecté à l’aide publique au développement sera ainsi doublé.
Seul regret, l’entrée en vigueur de cette mesure est différée d’un an, ce qui représente un réel manque à gagner pour l’aide publique au développement. Je rappelle que l’amendement ayant procédé à ces modifications a été adopté contre la volonté du Gouvernement.
Je rappelle également que l’amendement no 807 du Gouvernement a supprimé, malheureusement, la référence du plafond en valeur relative de la taxe. Cela non plus ne constitue pas un bon signal !
Permettez-moi de saluer également le groupe socialiste pour avoir déposé un amendement visant à transférer 50 millions d’euros de l’enveloppe consacrée aux prêts, au programme 110, vers l’enveloppe consacrée aux dons, au programme 209.
C’est une question importante, car les pays qui sont le plus aidés à l’heure actuelle ne sont pas ceux qui sont considérés comme prioritaires pour l’aide au développement. Les pays les plus défavorisés sont en effet considérés comme insolvables : ils ne bénéficient donc pas des prêts consentis par l’aide publique au développement à des taux avantageux – taux qui sont pourtant de plus en plus proches des taux du marché.
Ces 50 millions d’euros supplémentaires seraient alloués aux pays qui en ont le plus besoin, avec deux priorités en la matière : 25 millions d’euros pour le Fonds de solidarité prioritaire et 25 millions d’euros pour la continuation et la pérennité de l’Initiative solidarité santé Sahel, qui vise à améliorer la santé des enfants de moins de cinq ans et le renforcement des dispositifs de protection sociale dans six pays d’Afrique subsaharienne. C’est une très bonne initiative. Par conséquent, le rapprochement de l’Agence française pour le développement avec la Caisse des dépôts et consignations pourrait être une bonne chose, si une véritable institution capable de mobiliser plus de fonds sous forme de dons prenait ainsi forme.
En revanche, la contribution de la France au Fonds pour l’environnement mondial, principal fonds des conventions internationales des Nations unies en matière d’environnement, demeure insuffisante, de même que notre contribution au fonds vert pour le climat, pour lequel la France s’est engagée à hauteur de 774 millions d’euros pour la période 2015-2018. La contribution française en dons, étalée sur quatre ans à hauteur de 432 millions d’euros, sera complétée par un prêt très concessionnel au fonds vert pour le climat début 2017. Il donnera lieu à des bonifications prévues par le programme 110.
Chers collègues, vous savez que dès 1968, l’objectif de transférer 1 % du revenu national brut des donneurs avait été approuvé par l’ensemble des pays et organismes membres du Comité d’aide au développement, dont 0,70 % applicable à l’ensemble des concours publics. La Suède a atteint cet objectif en 1975, la Norvège en 1976, le Danemark en 1978 et le Luxembourg en 2000. La volonté de ces pays de maintenir ce taux dédié à l’aide publique au développement n’a nullement fléchi depuis. La France, notre pays, reste bien loin de cet objectif : elle ne consacrait à l’aide publique au développement que 0,36 % de son RNB en 2014.
Il est donc regrettable que l’aide publique au développement subisse la pression conjointe de la diplomatie commerciale et de nos actions militaires, mais également qu’elle soit associée trop souvent aux politiques de contrôle des flux migratoires. Or, peut-on sérieusement nier la contribution sociale et économique majeure des migrants, aussi bien dans leur pays d’accueil que dans leur pays d’origine ? Les migrants jouent un rôle essentiel en matière de développement, car ils sont un ferment de transformation sociale, grâce à leurs compétences et à leurs savoir-faire. Ils sont un véritable levier politique. Vous le savez, une aide digne de ce nom, et bien administrée, constitue un levier efficace pour le développement.
Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d’État, nous ne voterons pas les crédits de cette mission.
La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la présidente, mes chers collègues, au-delà des chiffres que Mme la secrétaire d’État nous a rappelés et que nous allons examiner, l’aide publique au développement doit plus que jamais être appréhendée sur le fond. Agir par humanisme pour que tous les hommes, femmes et enfants du monde puissent vivre dignement chez eux est une nécessité.
Au-delà des émotions engendrées par les drames humains dont nous sommes les témoins, l’aide publique au développement doit devenir une priorité, en France, en Europe et dans tous les pays développés. C’est une évidence, car les conflits, la misère, la faim, les épidémies, les pressions migratoires, les guerres et les enjeux climatiques sonnent à notre porte avec leurs flots de réfugiés politiques et climatiques.
Le moins que nous puissions faire est de ne pas laisser affaiblir ou démanteler les agences de développement françaises, qui portent encore nos valeurs et nos intérêts sur ces terrains : l’AFD, bien sûr, ou encore Expertise France, mais aussi des agences spécialisées comme Justice coopération internationale pour la justice, CFI – Canal France international – pour les médias ou SFERE – Société française d’exportation des ressources éducatives – pour l’éducation. Elles sont notre bras armé pacifique. Elles parient sur le long terme pour faciliter un développement inclusif et partagé.
La réforme de l’AFD et l’élargissement de l’assiette de son financement vont dans le bon sens, mais je veux attirer votre attention sur l’importance de conserver l’outil de la commande publique pour éviter que ces acteurs dépendent demain uniquement des bailleurs multilatéraux. Le volontarisme politique passe par des moyens propres. Soyons donc vigilants pour éviter que des arbitrages budgétaires de court terme nous fassent perdre une expérience et une influence dont nous aurons besoin demain.
Comme vous le savez, la France prend plus que sa part dans la résolution des conflits : ne l’oublions pas. Elle doit aussi être présente quand il s’agit de gagner la paix à travers le développement. Après avoir supporté l’essentiel de l’effort militaire au Sahel, il serait inconséquent de notre part de laisser le terrain du développement à nos concurrents européens, mais surtout aux Chinois ou aux Qataris qui regardent volontiers le destin de ces pays au prisme de leurs propres intérêts.
Pourtant, depuis 2012, le budget de la solidarité internationale a progressivement fondu de 700 millions d’euros – loin de l’objectif international fixé par l’ONU. Le Gouvernement a pris une bonne décision en portant le plafond de la taxe sur les transactions financières à 233 millions d’euros en 2016, contre 140 millions d’euros initialement prévus, venant ainsi compenser la baisse des crédits. Certes, c’est insuffisant, mais ne boudons pas notre plaisir : c’est bien une hausse.
Ce relèvement traduit l’engagement pris par le Président de la République devant l’Assemblée générale des Nations unies le 28 septembre dernier d’augmenter les financements en faveur du développement, à la fois en prêts – avec 4 milliards d’euros supplémentaires par an à l’horizon 2020 – et en dons. Enfin, nous soutenons l’amendement adopté en commission visant à redéployer 50 millions d’euros.
L’année 2015 est particulière, d’abord avec la conférence d’Addis Abeba, ensuite avec l’assemblée générale des Nations unies, et enfin avec la COP 21, qui se tiendra dans quelques jours. Sous l’égide de la France, cette conférence doit aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays. Ces trois conférences internationales façonnent les nouveaux enjeux du développement et de la lutte contre le changement climatique.
Qui, dans notre pays et dans le monde, comprendrait que la France continuât de diminuer, en cette année 2015, les montants qu’elle consacre à l’aide publique au développement ? Comment pourrait-on diminuer encore le financement du développement, au moment même où les pays en développement menacent de bloquer l’accord de Paris ? Enfin, comment pourrait-on continuer à diminuer l’aide publique au développement l’année même où des centaines de milliers de réfugiés viennent en Europe ?
N’oublions jamais que nous ne pourrons pas endiguer les flux de migrants poussés par la faim et la guerre sans aider les pays d’émigration à se développer. Oui, diminuer ce budget en 2015 aurait été inconséquent et irresponsable ! Je félicite les parlementaires qui ont permis d’éviter cela, ainsi qu’Annick Girardin, notre secrétaire d’État au développement et à la francophonie. Elle aussi a su convaincre pour mettre fin à cette descente infernale. Ne nous méprenons pas, mes chers collègues, et apprécions comme il se doit cette séquence politique, même si ce budget reste insuffisant pour couvrir les besoins qui augmentent sans cesse.
Cet engagement traduit aussi la volonté de pousser les États à s’engager dans une transition collective vers un modèle socio-économique plus inclusif, plus juste et plus respectueux de l’environnement. C’est pourquoi – vous l’aurez compris – le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera les crédits de l’aide publique au développement pour l’année 2016.
Je n’ignore rien de la nécessité d’être solidaire avec nos habitants les plus défavorisés, ici, chez nous, en France. Mais nous devons aussi – et plus que jamais – aider les pays en développement, en Afrique et au-delà. Et en ces temps difficiles, reprenons la morale de la fable intitulée L’Âne et le Chien, de Jean de la Fontaine – né à Château-Thierry – : « Il se faut entraider, c’est la loi de nature ».
La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le 27 septembre dernier, le chef de l’État annonçait à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies un engagement sans précédent de la France en termes d’aide publique au développement. Un effort de 4 milliards d’euros supplémentaires par an a été évoqué à l’horizon 2020, ainsi qu’une augmentation de 2 milliards d’euros de la contribution française pour le climat.
On pouvait légitimement penser que cette ambition serait concrétisée par le budget de la mission « Aide publique au développement » pour l’année 2016 : ce n’est malheureusement pas le cas. Dans sa version initiale, le budget de cette mission devait poursuivre la cure amaigrissante qu’il subit depuis plusieurs années, avec une diminution des crédits de 177 millions d’euros par rapport à 2015. L’aide publique au développement a connu une véritable hémorragie ces dernières années, avec une baisse des crédits de 500 millions d’euros depuis 2012 ! Elle paraît pourtant plus nécessaire que jamais dans un contexte de multiplication des crises humanitaires marqué notamment par l’arrivée en Europe de centaines de milliers de réfugiés fuyant les conflits et la misère.
Les ONG se sont émues du manque de volontarisme de la France. Il faut dire que chaque loi de finances nous éloigne un peu plus de l’objectif d’accorder 0,7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. Sous le feu des protestations, le Gouvernement a déposé plusieurs amendements pour stabiliser l’aide par rapport à 2015. C’est un bon signe.
L’un de ces amendements tend à relever de 100 millions d’euros le plafond du produit de la taxe sur les transactions financières affecté à l’aide publique au développement. Un autre amendement vise à augmenter de 50 millions d’euros les crédits alloués aux organisations internationales chargées de l’assistance aux réfugiés. Les députés ont par ailleurs voté, contre l’avis du Gouvernement, un amendement au projet de loi de finances permettant d’affecter 50 % du produit de la taxe sur les transactions financières à l’aide publique au développement. Cette mesure est indispensable pour se rapprocher de nos engagements au niveau international. Madame la secrétaire d’État, reviendrez-vous sur votre position et soutenir cette mesure lors de la suite de la discussion budgétaire ?
Je suis convaincu que nous pouvons être plus ambitieux, à condition de nous en donner les moyens. Pourquoi repousser la taxation des opérations boursières intra-journalières à 2017 ? Pourquoi avoir exclu la majeure partie des produits dérivés de la taxation des transactions financières ? Selon les ONG, avec une assiette plus large, cette taxe pourrait rapporter jusqu’à 36 milliards d’euros par an à la France.
Par ailleurs, l’étude approfondie du budget nous amène à réitérer nos critiques sur la répartition de l’aide française. En effet, la majeure partie de l’aide publique au développement est toujours composée de prêts, qui servent pour une bonne part à financer des projets d’infrastructures dans les pays émergents. La France en profite pour engranger des intérêts et faire bénéficier les entreprises françaises de nouveaux marchés à l’étranger. Peut-on réellement comptabiliser ces prêts dans l’aide publique au développement ? Ne devrions-nous pas donner la priorité à des projets permettant aux populations locales des pays les moins avancés de subvenir à leurs besoins primaires : se nourrir, se soigner, aller à l’école ?
Selon l’ONG Oxfam, seulement 7 % de l’aide française est constituée de dons. L’AFD ne dispose ainsi que d’une enveloppe de 200 millions d’euros. À titre de comparaison, l’agence allemande de développement consacre 2 milliards d’euros aux dons dans les pays en développement. Par ailleurs, les associations sont unanimes pour dire que l’engagement de la France dans des domaines comme l’éducation primaire ou l’accès à l’eau et à l’assainissement est insuffisant, et se situe bien en deçà de celui des autres pays développés.
On note également que les crédits attribués au Fonds de solidarité prioritaire, chargé de financer des actions pour promouvoir la justice et les droits de l’homme, ont été divisés par deux entre 2012 et 2016. Malgré les amendements louables qui visent à stabiliser l’aide, ce budget 2016 n’est toujours pas à la hauteur des ambitions qui devraient être celle de la France pour lutter contre l’injustice de la mondialisation financière. Avec plusieurs députés de gauche, nous avons d’ailleurs rédigé une tribune pour lancer l’alerte sur l’absence de vision et de moyens de notre politique d’aide au développement. Nous n’avons été que partiellement entendus.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne voterons pas contre ce budget : nous nous abstiendrons.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’ai écouté attentivement la présentation de Mme la secrétaire d’État, et partage en tous points ce qu’elle a dit, à savoir que l’année 2016 sera exceptionnelle pour le budget de l’APD, l’aide publique au développement. En effet, les uns et les autres, sur tous les bancs, nous avons toujours protesté contre la baisse régulière des crédits de cette mission ; et pour la première année, avec le concours de l’ensemble des députés je l’espère, nous allons les voter en augmentation par rapport à l’année précédente.
Même si l’on n’obtient jamais complètement satisfaction, ce qui est exceptionnel doit être souligné, à savoir la fin de la baisse de ces crédits, par la volonté du Gouvernement : de fait, la première épure, issue des arbitrages de Bercy, était loin d’être satisfaisante. Le Gouvernement, et je l’en félicite, a rectifié le tir en proposant, à travers deux amendements, des dotations supplémentaires, l’une de 100 millions d’euros et l’autre, que nous voterons d’ailleurs au cours de cette séance, au titre de l’aide aux réfugiés, de 50 millions, afin de stabiliser le budget par rapport à l’année précédente.
Au vu du contexte, l’effort du Gouvernement a paru insuffisant à certains. De fait, il fallait une orientation forte en 2016 compte tenu des événements que l’on a évoqués : conférence d’Addis Abeba sur la pauvreté ; réunion de l’ONU, à New York, au cours de laquelle furent définis les nouveaux objectifs de développement durable à l’horizon 2030, notamment pour les pays les plus pauvres ; organisation par la France, en décembre prochain, de la COP 21, consacrée à la lutte contre le réchauffement climatique : avec 196 pays présents, cette conférence internationale sera la plus grande jamais organisée. « La maison brûle », a dit l’un d’entre nous, citant le mot de Jacques Chirac. Si elle brûle, c’est bien sûr, d’abord, en raison du réchauffement climatique, mais nous ne devons pas oublier non plus les désordres, sur l’ensemble de la planète, liés au développement.
Dans son discours, le Président François Hollande a rappelé la trajectoire, avec un effort de 4 milliards d’euros d’ici à 2020, via des financements innovants ; mais, au-delà de cette trajectoire, il a également insisté sur ce que nous avions nous-mêmes souligné dans la loi de 2014 : le nécessaire équilibre entre les prêts, les dons et les subventions, notamment aux associations. C’est de tout cela que nous avions débattu.
La loi de 2014, votée à la quasi-unanimité si ma mémoire est bonne – sinon à l’unanimité –, trouvera ainsi sa traduction dès 2016. Les propos qui se focalisent sur le chemin restant à parcourir me désolent donc un peu, car il faudrait plutôt se réjouir de la renaissance, enfin, d’une action en faveur du développement.
J’en veux pour preuve, excusez du peu, la taxation des transactions intra-journalières – terme qu’il faut préférer, en bon français, à celui d’« intraday » –, qui sera mise en oeuvre dès 2017, puisque le Gouvernement, une fois de plus, a accepté cette mesure afin d’en discuter avec nos partenaires européens : mieux vaut en effet l’appliquer à l’échelle européenne, nous en sommes d’accord.
Autre mesure : l’affectation à l’AFD d’une fraction supplémentaire de 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières – portant ainsi le total à 50 % –, ce qui rapportera 260 millions d’euros de plus. Je me dois de rappeler, toute modestie mise à part, que ce sont les députés socialistes de la commission des affaires étrangères, dont j’aperçois de nombreux membres devant moi, qui ont proposé l’amendement voté en ce sens, lequel a emporté l’adhésion sur tous nos bancs. Nous avons déclenché un processus, qu’il ne faut donc pas tarder à mettre en oeuvre.
Enfin, l’amendement voté en commission élargie visant à transférer 50 millions d’euros du programme 110 au programme 209, afin de cibler les prêts et les dons, reçoit, je crois, l’assentiment général. Le Gouvernement a pris conscience que la baisse des crédits ne pouvait perdurer, permettant ainsi au Parlement de jouer tout son rôle par la suite.
Le Parlement, disais-je, a joué tout son rôle : nous pouvons tous être satisfaits du travail accompli, étant entendu que la vigilance reste de mise, dans l’intérêt de ce qui nous mobilise : faire mieux pour le développement, autrement dit pour l’aide aux pays pauvres, conformément à l’objectif de la loi que nous avions votée ; par là même, nous renforcerons le rôle historique de la France et lui permettrons, peut-être, de se montrer à la hauteur de ses ambitions.
Je ne doute pas que ce qui m’anime vous animera aussi, chers collègues.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
je vous rappelle que le temps de parole est limité à cinq minutes, monsieur Dufau.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
L’aide publique au développement restera bien entendu le principal levier du financement du développement ; mais, on l’a rappelé à Addis Abeba, elle ne saurait assumer seule ce financement.
La France s’est engagée sur l’objectif de consacrer 0,7 % de sa richesse nationale à l’aide publique au développement – et 0,2 % pour les pays les moins avancés. Le présent budget en est une première traduction. J’ai donc beaucoup de mal à comprendre que certains groupes ne votent pas un budget non seulement stabilisé mais augmenté, alors que, depuis trois ans, ils avaient voté un budget en baisse.
Pour ma part, je n’ai pas le souvenir d’avoir voté les budgets précédents !
Je parlais de M. Coronado, monsieur Tetart.
Quant au fonds vert, des réunions se tiendront la semaine prochaine pour valider un certain nombre de projets – sans doute une dizaine. Le dispositif ne va sans doute pas assez vite, non plus que son abondement, mais il commence à fonctionner : nous avons beaucoup oeuvré en ce sens.
La jeunesse est aussi ma priorité pour l’Afrique : elle représente, au-delà du climat, le vrai défi pour les années à venir, à travers des mesures fortes en matière d’éducation, de mobilité ou de soutien aux programmes de santé. La France, avez-vous dit, ne tient pas tous ses engagements ; mais elle pourra justement tenir la plupart d’entre eux grâce à l’augmentation budgétaire dont nous parlons.
Ce budget, nous nous sommes tous battus pour l’obtenir. Je m’en réjouis donc pour le développement, et je me réjouis qu’il nous permette d’affronter les défis qui sont devant nous.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Nous en venons aux questions.
Je rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est fixée à deux minutes.
La parole est à M. Jean-René Marsac, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
La France s’est engagée à consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement, et 0,2 % à l’aide aux pays les moins avancés.
Nous nous sommes également engagés à ce que 50 % des subventions de l’État et deux tiers des subventions de l’AFD soient alloués aux seize pays les plus pauvres. Par ailleurs, le Président de la République a annoncé sa volonté de rapprocher l’Agence française de développement de la Caisse des dépôts et consignations ; il s’est aussi engagé à augmenter les financements en faveur du développement de 4 milliards d’euros d’ici à 2020.
Ces initiatives doivent permettre de dégager plus de moyens pour la solidarité internationale sous la forme de dons. Le recours croissant aux prêts conduit en effet à la fixation de priorités géographiques et sectorielles différentes de celles prévues par la loi. L’utilisation des prêts concentre l’aide aux pays à revenu intermédiaire, autrement dit aux pays solvables.
Il est absolument nécessaire de soutenir davantage les pays les plus pauvres en leur permettant de bénéficier de l’aide au développement sous la forme de dons. L’aide bilatérale dédiée au financement de projets s’est, sous cette forme, particulièrement contractée au cours des quatre dernières années.
Nous avons adopté en commission élargie un amendement qui traduit au plan budgétaire les engagements de la France et du Président de la République ; il tend à rééquilibrer les politiques de prêts et de dons en redéployant 50 millions d’euros vers les seconds.
Comment la France compte-t-elle donc renforcer son aide aux pays les moins avancés, aujourd’hui très insuffisante ? L’AFD atteint-elle ses objectifs concernant l’aide aux pays pauvres prioritaires ? Le Gouvernement peut-il s’engager à mettre le rééquilibrage entre les politiques de prêts et de dons au coeur du rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’espère donc lui apporter une bonne réponse, madame Chapdelaine.
Votre attachement au sujet dont vous avez parlé est connu, monsieur Marsac ; vous l’aviez d’ailleurs évoqué l’an dernier aussi. Je partage cet objectif d’un équilibre entre les prêts et les dons, ceux-ci devant être destinés en priorité aux pays les plus fragiles ou les plus pauvres. C’est ce que nous avons rappelé à Addis Abeba, où fut réaffirmé l’objectif de consacrer 0,2 % de la richesse nationale aux pays les moins avancés.
La France, par la voix du Président de la République, a annoncé en septembre dernier une hausse de sa contribution à l’aide au développement de plus de 4 milliards d’euros d’ici à 2020 – une partie de cette somme devant aller à la lutte contre le réchauffement climatique –, dont 370 millions supplémentaires au titre des dons. Nous avons donc la volonté de ne pas dégrader le ratio entre prêts et dons.
Les résultats de l’Agence française de développement sont satisfaisants, même si l’on doit faire plus et mieux : il faut saluer, sur ce point, la loi de juillet 2014, largement soutenue sur tous les bancs de votre assemblée.
N’opposons pas prêts et dons : les deux sont nécessaires, en fonction des situations géographiques et des caractéristiques des pays concernés. La France est le seul pays à bénéficier d’une palette d’outils aussi diversifiés : ceux-ci apportent des réponses aux pays les plus pauvres comme aux pays émergents, aux demandes des organisations non gouvernementales – ONG – comme aux collectivités ou aux entreprises. L’adossement de l’Agence française de développement à la Caisse des dépôts et consignations permettra à cet égard de faire mieux, notamment en termes d’efficacité.
J’appelle les crédits de la mission « Aide publique au développement », inscrits à l’état B.
Sur ces crédits, je suis saisie de plusieurs amendements.
La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement no 2 rectifié .
Le Président de la République a fait des annonces fortes, notamment sur l’octroi de 4 milliards d’euros supplémentaires au titre de l’aide au développement à l’horizon 2020, dont 2 milliards en faveur de projets relatifs à la lutte contre le réchauffement climatique. Au total, la contribution française passera donc de 3 à 5 milliards d’euros d’ici à 2020.
C’est là une réponse, par le développement, à la crise des réfugiés mais aussi à la lutte contre le réchauffement climatique.
Ces annonces se sont traduites par deux amendements du Gouvernement au PLF pour 2016, lesquels tendent à abonder de 150 millions d’euros les ressources budgétaires prévues pour l’aide au développement. Sur cette somme, 100 millions d’euros seront dédiés au climat, principalement au titre de l’adaptation – dont je m’efforce qu’elle ait tout sa place –, et aux pays les plus pauvres, qui sont aussi les plus vulnérables au phénomène du réchauffement climatique. Cette augmentation budgétaire a été rendue possible par le relèvement du plafond du produit de la TTF affecté au Fonds de solidarité pour le développement.
L’autre amendement, que je vous présente ici, vise à majorer de 50 millions d’euros les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement », traduction budgétaire des annonces du Président de la République.
La parole est à Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères.
Après certains de nos collègues et après la secrétaire d’État, je voudrais souligner à quel point la correction opérée par le Gouvernement pour enrayer la baisse des crédits d’aide au développement est importante, grâce à la mobilisation de beaucoup de nos collègues mais aussi aux efforts que vous avez consentis, madame la secrétaire d’État.
Ce processus s’est en effet déroulé sur plusieurs années. En apportant 150 millions supplémentaires, les deux amendements du Gouvernement – nous examinons l’un d’eux, que vous venez de présenter – permettront enfin de stabiliser le budget de l’ensemble formé par la mission « Aide publique au développement » et le Fonds de solidarité pour le développement. Cela permettra en outre d’amorcer une trajectoire de hausse, conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant l’Assemblée générale des Nations unies.
Je veux souligner aussi l’excellent travail fait par nos collègues, puisque plusieurs amendements ont déjà été votés en première partie de la loi de finances : l’amendement qui élargit le champ de la taxe sur les transactions financières, dont une part de la recette abonde, nous le savons, le Fonds de solidarité pour le développement ; un deuxième amendement, dirigeant 25 % de la recette de cette taxe vers l’Agence française du développement, devrait accroître les possibilités de prêt de cette dernière ; enfin, l’amendement déposé par notre collègue Jean-Pierre Dufau et adopté par la commission des affaires étrangères, qui va être examiné dans un instant, transfère 50 millions d’euros du programme 110 vers le programme 209 pour augmenter la part de dons dans l’aide publique au développement française.
Cet ensemble doit permettre de retrouver une trajectoire beaucoup plus satisfaisante, conformément aux engagements pris par le Président de la République. Sans doute faudra-t-il procéder à quelques ajustements techniques, mais il était important que le message politique soit lancé. Je remercie donc ceux de mes collègues qui se sont battus pour obtenir ce résultat, et vous-même, madame la secrétaire d’État, qui n’avez pas ménagé votre peine, ainsi que le ministre des affaires étrangères.
La parole est à M. Jean-François Mancel, rapporteur spécial de la commission des finances pour l’aide publique au développement et les prêts à des États étrangers, pour donner l’avis de la commission.
Quelques mots à mon tour : si cet amendement a bien été adopté par la commission des finances, les crédits de la mission ont en revanche été rejetés. Je ne suis pas aussi optimiste qu’un certain nombre des orateurs qui se sont exprimés, que ce soit Mme la présidente Guigou ou Mme la secrétaire d’État.
Les deux amendements gouvernementaux, l’un de 100 millions, l’autre de 50, permettront seulement de stabiliser la baisse.
Si nous nous arrêtons là, l’aide publique au développement aura subi, en l’espace de trois ans, environ 16 % de baisse. Loin d’être une victoire, il s’agit d’une stabilisation d’une très forte baisse : voilà ce qu’il faut avoir en tête.
Je souhaite interroger la secrétaire d’État sur un sujet important : quid de l’amendement qui a été adopté contre la volonté du Gouvernement sur la première partie de la loi de finances, qui apportait de nouveaux crédits très importants à la mission « Aide publique au développement » ? Il portait sur 233 millions d’euros, si mes souvenirs sont exacts, ce qui n’est pas rien !
Cet amendement – en réalité, il y en a eu plusieurs – émanait de tous les bancs de cette Assemblée. Je constate depuis plusieurs années, en tant que rapporteur, cette mobilisation réelle de nombre de nos collègues, portant des étiquettes politiques très différentes, en faveur d’un sujet aussi important pour notre pays.
J’aimerais donc en savoir un peu plus, madame la secrétaire d’État, car cela a une incidence sur ce que nous allons décider aujourd’hui. Si vous me dites que le Gouvernement ne bougera plus, comme il l’a fait dans la première partie de la loi de finances, et que, à la fin de l’examen de la loi de finances, 233 millions s’ajouteront aux 150 millions déjà inscrits, cela fera pratiquement 500 millions supplémentaires pour la mission « Aide publique au développement » !
C’est d’une tout autre ampleur ! J’aimerais sur ce point obtenir une réponse du Gouvernement, parce que cela a une incidence immédiate sur la position que nous allons prendre à l’égard de la mission.
Quelle est la position de la commission à ce stade, monsieur le rapporteur ?
À ce stade, la commission a émis un avis favorable sur le présent amendement.
Je souhaite saluer les amendements proposant de renforcer nos capacités en investissement. Je parle d’investissement parce que la question des dons prête souvent à polémique ou à des accusations de gaspillage de l’argent public : or il n’en est rien. Nos capacités d’investissement déterminent nos possibilités de renforcement de la solidarité internationale ; elles nous permettent d’assurer et de préserver un monde meilleur, souvent un monde voisin – particulièrement au sud de la France, en Afrique –, mais pas uniquement.
Tout en soutenant les démarches et les amendements permettant de renforcer le budget de l’aide publique au développement, dans le droit fil de ce qu’a dit la présidente de la commission des affaires étrangères, je souhaite insister sur un point.
S’il ne faut certes pas opposer les dons et les prêts, nous devons tout de même avoir un débat de fond – je profite de ce débat dans l’hémicycle, car il concerne souvent les parlementaires membres de la commission des affaires étrangères. Il y a besoin pour nous de renforcer nos capacités d’investissement et, par conséquent, de dons.
Plutôt que de nous poser la question des 0,7 %, posons-nous la question du montant total que l’on est prêt à accorder en aides directes à notre politique d’investissements et de dons : c’est pour nous une question d’indépendance et de stratégie. Les Britanniques l’ont fait dès 2009 en décidant d’honorer leur parole non pas à 0,7 %, comme ils s’y étaient engagés, mais à 1 milliard en investissements directs, ce qui leur a donné beaucoup plus de marge de manoeuvre.
Par ailleurs, la question des prêts est sous-tendue par une logique bancaire, dont on peut estimer qu’elle peut être efficace quand elle est contrôlée et encadrée. Mais elle génère parfois des effets néfastes, négatifs et inattendus, par exemple lorsqu’un dispositif de prêts se révèle in fine bénéficiaire grâce aux retours de prêts, ne serait-ce que par le remboursement des taux d’intérêt, pour des montants supérieurs à ce que nous accordons nous-mêmes en dons.
Enfin, il y a parfois un effet pervers consistant à accorder des prêts à des pays qui ne peuvent pas rembourser, ce qui les place dans un état de dépendance, alors que nous donnons dans des projets à des pays – je pense à la Chine, mais ce n’est pas le seul – qui, même si ces projets sont de qualité, ont objectivement des capacités d’investissement propres.
Je voudrais souligner, à ce stade du débat, que le travail qui a été réalisé en commun sur ces questions de crédits de développement est, cette année, tout à fait exceptionnel. C’est cela que nous vivons aujourd’hui : une conjugaison du travail voulu par le Gouvernement et du travail parlementaire avec, dans un premier temps, une stabilisation et, dans un second temps, l’acceptation d’un amendement clef instituant une ressource nouvelle – en l’occurrence, la taxation sur les transactions financières journalières, qui devrait constituer une ressource conséquente et durable et permettre d’augmenter les crédits. Aujourd’hui, l’amendement qui nous est proposé par le Gouvernement fait montre d’une volonté de rééquilibrage entre prêts et dons.
J’ai le sentiment que, dans cette construction partagée, nous avançons sur tous les points qui ont été défendus sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, depuis parfois de longues années. Nous devons donc au minimum porter ensemble cette avancée, si ce n’est la reconnaître, à condition évidemment que tout cela aille au bout du débat budgétaire et au bout du débat parlementaire.
Cela dépend de nous tous : notre responsabilité collective est de défendre avec exigence l’ensemble de ces points. Nous n’avons besoin ni d’abstention, ni de recul, mais d’une volonté commune de soutenir l’ensemble de ces amendements. J’ai du reste constaté que plusieurs de ces amendements qui nous sont proposés ce soir sont rédigés de telle façon qu’ils visent les mêmes objectifs.
J’en appelle sincèrement à la conjugaison de tous les efforts pour que nous portions ensemble la même volonté : celle de voir bondir cette année, de façon considérable – 500 millions d’euros au total, comme cela vient d’être rappelé à l’instant –, les crédits en matière de développement. Nous savons en effet que nous sommes attendus dans le monde, mais c’est aussi une part de notre rayonnement qui se joue à travers notre capacité conjuguée à défendre cela.
L’amendement no 2 rectifié est adopté.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, pour soutenir l’amendement no 40 de la commission des affaires étrangères.
Cet amendement, adopté par la commission élargie, a pour objet un transfert de crédits de 50 millions d’euros du programme 110 vers le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement ». Cela s’inscrit dans la logique de ce débat : il s’agit d’abonder la ligne des dons et projets et des subventions afin de venir en aide aux pays les plus pauvres, ceux qui sont ciblés par notre loi sur le développement et la solidarité internationale. C’est conforme à un amendement que nous avions déposé en ce sens l’an dernier.
Certains députés ont déposé un amendement similaire, qui me semble superfétatoire si le présent amendement est adopté. J’invite donc notre collègue Tetart, qui a pleinement participé à tous ces débats, à retirer son amendement, qui est rigoureusement identique, afin de clarifier le débat et de montrer notre volonté commune.
Nous avons dit que nous avons progressé, et c’est vrai. Mais le mieux est parfois l’ennemi du bien : si nous faisons de la surenchère, nous perdons en responsabilité. Nous nous sommes fixé des objectifs de façon commune et partagée et nous les atteignons. Je propose, pour ma part, et ce sera l’attitude du groupe socialiste, de ne pas en rajouter, sinon nous n’aurons plus rien à faire les années suivantes : ce serait triste !
Plus sérieusement, nous avons suffisamment montré la trajectoire, pris des décisions importantes à hauteur de quelque 500 millions. Pour le reste, et parce qu’ils ne sont pas nécessaires, le groupe socialiste ne suivra pas tous les amendements proposés.
Sur la forme, je veux rappeler que, même si ces amendements paraissent identiques, ils ne le sont pas. En effet, si les objectifs sont identiques, les amendements ne le sont pas car les actions concernées ne sont pas les mêmes : c’est la raison par laquelle ces amendements ne sont pas en discussion commune et qu’ils sont examinés les uns après les autres.
Quel est l’avis de la commission ?
Juste une précision pour mon collègue Dufau : cet amendement n’a pas été adopté par la commission élargie, mais par la commission des affaires étrangères. Je ne peux pas, en tant que rapporteur, donner l’avis de la commission des finances, car elle n’a pas été saisie de cet amendement qui provient exclusivement de la commission des affaires étrangères.
Puisque vous m’avez questionnée sur l’amendement parlementaire qui augmente les crédits de cette mission, je voudrais dire que vous avez souhaité augmenter le budget de cette mission et que vous avez été entendus. Pour ma part, je m’en réjouis au nom du développement, compte tenu des défis auxquels nous faisons face.
Toutefois, et la présidente de la commission des affaires étrangères l’a également rappelé, ces montants devront être gagés afin de respecter la norme de dépense. S’agissant d’un enjeu essentiel pour notre crédibilité internationale, nous allons le confirmer assez rapidement.
Concernant le présent amendement, je souhaite dire plusieurs choses. Nous partageons la même volonté : faire davantage de dons dans les années à venir, soutenir davantage les pays les moins développés et faire en sorte d’être le plus efficace possible.
Si je comprends bien le sens de cet amendement, je suis toutefois obligée de vous répondre, parce que je fonctionne ainsi, que, pour la première fois, je ne suis pas totalement d’accord avec vous. Vous voulez en effet renforcer les dons : or ce n’est pas ce qui se passera réellement ; du moins, cela s’annulera complètement.
Votre amendement a pour objectif de renforcer les dons en prenant sur les crédits consacrés aux bonifications de prêts. Or ces crédits sont déjà engagés. Cela reviendrait donc dans la pratique à réduire les aides budgétaires globales, c’est-à-dire à transférer du don d’un chapitre à un autre, et non à accroître la part des dons.
C’est la petite divergence qu’il y a entre nous. Je comprends et partage votre objectif, mais je pense que ce que vous proposez ne permettra pas de l’atteindre, l’enveloppe consacrée aux bonifications de prêts étant déjà engagée à hauteur de 98 %.
L’avis est donc défavorable.
Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais elle ne me convainc pas tout à fait. Je vais vous donner quelques chiffres illustrant les parts respectives du don et des prêts.
Prenons l’eau. La Coalition Eau à l’échelle de l’OCDE a produit une étude extrêmement intéressante montrant qu’entre 2008 et 2013, on est à un peu moins de 400 millions en aides bilatérales destinées au secteur de l’assainissement et de l’eau potable. On découvre qu’il s’agit à 87 % de prêts, que 66 % de ces prêts sont accordés à des pays à revenu intermédiaire, et non aux PMA qui sont l’objet de l’amendement de notre collègue Dufau…
...et qu’ils vont à 87 % à des infrastructures urbaines lourdes de collecte et de traitement des eaux usées, auxquelles échappent à la fois les quartiers précaires et les zones rurales désertifiées ou en voie de précarisation.
Ils ne permettent donc pas de s’attaquer à la racine du mal, de ce mal qui finit toujours par produire de la misère et de la violence. J’aimerais qu’au-delà des logiques comptables, nous osions dire qu’un investissement dans l’aide publique au développement, notamment des pays les moins avancés, notamment en matière de dons accessibles aux plus pauvres de la planète, cela fabrique de la sécurité et du co-développement pour l’Europe et l’Afrique à dix ans.
Nous devons apprendre à mesurer en matière de prospective ce qu’est un véritable investissement de fierté pour la France et pour l’Europe.
Je vous rappelle que nous avions déjà voté une proposition similaire l’an dernier, sinon qu’il s’agissait de 35 millions au lieu des 50 millions proposés ici.
Or j’ai appris que notre belle décision n’avait sans doute pas été suivie d’effets pour les raisons que vous venez d’indiquer, madame la secrétaire d’État, à savoir qu’on ne peut pas redéployer des crédits du programme 110, qui sont déjà engagés pratiquement en totalité, puisqu’ils sont destinés à bonifier des prêts déjà accordés. J’ai cru comprendre en effet que ces 35 millions n’étaient pas venus abonder le programme d’aide. On devine que c’est ce qui motive votre avis défavorable : quel que soit notre vote, les carottes sont cuites.
C’est pourquoi mon amendement suivant vise à concentrer ce redéploiement de crédits sur l’action no 5 du programme 209, au bénéfice des programmes santé, où nous sommes en défaut du fait d’un déficit considérable. D’ailleurs l’amendement de notre collègue Dufau cible en partie l’Initiative solidarité santé Sahel, qui est un des programmes sur lesquels nous ne tenons pas nos engagements. De grâce, si nous devons voter l’un de ces amendements, que ce redéploiement serve au moins à régler nos dettes et à soutenir des actions sur lesquelles nous sommes aujourd’hui en défaut !
Puisqu’il existe cette année une belle unanimité parmi nous pour faire progresser l’aide au développement, ou du moins faire en sorte qu’elle ne baisse plus, continuons ensemble à nous mobiliser pour exiger que ce que nous votons soit appliqué.
Je rejoins les propos de mon ami Dominique Potier, madame la secrétaire d’État, pour manifester l’intention unanime des membres de la commission des affaires étrangères.
Je vous rappelle, chers collègues de l’opposition, que Hervé Gaymard, qui est rapporteur pour avis et premier signataire de cet amendement, appartient, jusqu’à preuve du contraire, à l’opposition.
Je voudrais dire aussi, madame la secrétaire d’État, que les parlementaires ont non seulement un devoir d’amendement, mais aussi un devoir de contrôle tout au long de l’année.
C’est exactement ce que j’ai dit – mais nous ne l’avons pas fait l’an dernier.
Comme nous avons manifesté cette volonté très ferme et quasi unanime, nous avons désormais, à partir du vote qui va intervenir sur l’amendement de la commission des affaires étrangères, un devoir de contrôle tout au long de l’année.
J’attire votre attention, madame la secrétaire d’État, sur ce que nous allons faire – et à partir de là, je vous demande respectueusement d’en appeler à la sagesse de l’Assemblée nationale.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Vos réponses sont très intéressantes, madame la secrétaire d’État. Nos collègues de la majorité s’étonnaient que l’opposition ne vote pas votre budget alors que selon eux, il bénéficie d’un effort important.
En réalité, on est resté à une stabilisation de la dette, puisqu’à la proposition parlementaire d’affecter 25 % du produit de la TTF au budget de l’AFD, vous opposez la nécessité d’avoir l’assurance que tout cela soit gagé. Cela signifie qu’aujourd’hui, au moment de la première lecture du projet de budget, vous n’avez toujours pas de réponse à cette question – à moins que j’aie mal compris votre réponse.
Si vous pouvez nous assurer en deuxième lecture que 25 % du produit de la TTF seront affectés à ce budget, ma position sera différente et je m’orienterai vers l’abstention.
En effet, ce budget ne cesse de diminuer.
Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
On peut certes se satisfaire que cela se stabilise à 0,36 %, mais à un moment il ne va plus rester grand-chose.
Deuxièmement, le débat sur la part respective des dons et des prêts est intéressant. Les pays pauvres sont scandalisés par ces positions des grands pays donateurs et l’écart entre leurs promesses et la réalité de leur aide, qui consiste essentiellement en prêts ou en recyclage d’opérations en cours.
J’attire votre attention sur l’émoi qu’ont suscité les déclarations de l’OCDE sur le fonds vert. On arrive presque à 100 milliards : cela fait hurler de rire, ou plutôt crier la communauté des pays pauvres.
Il en va de même de la belle déclaration du Président de la République à la tribune de l’ONU évoquant 4 milliards, chiffre dont la presse s’est fait l’écho. Voilà que vous nous dites que la plus grande partie en sera versée sous forme de prêts.
Ce dont les pays pauvres ont besoin, c’est d’une part plus importante de dons, madame la secrétaire d’État.
Mon collègue Tetart sait aussi bien que moi que les 35 millions que nous avions votés en première lecture étaient devenus 20 millions en deuxième lecture.
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, je voudrais préciser ce qui a été excellemment dit par nos collègues Potier et Loncle. Nous souhaitons cibler ces dons et prêts sur les pays les plus pauvres, notamment les seize pays de l’Afrique de l’ouest, qui relèvent de la loi relative à la politique de développement et de solidarité internationale pour les actions qui ont déjà été décrites.
Nous ne nous contentons donc pas de proposer de voter ces crédits : nous précisons également à quel pays ils doivent être affectés.
Vraiment, si je pouvais vous dire oui, je le ferais, parce que nous avons la même volonté. J’ai dit à Addis-Abeba que la France serait davantage aux côtés des plus vulnérables, que ce soit dans la lutte contre le réchauffement climatique ou dans la lutte contre la pauvreté ; je l’ai répété à New York.
En l’espèce, c’est simplement un problème de petits tiroirs qui ne vont pas fonctionner. Le programme 110 comporte trois actions. Il y a d’abord l’aide multilatérale. On ne la changera pas : c’est notre participation à la Banque mondiale et autres institutions multilatérales. L’action no 2 est l’aide bilatérale. Elle comprend notamment les bonifications des prêts et, comme je vous l’ai dit, 98 % de ces crédits sont engagés puisque ces prêts ont d’ores et déjà été accordés.
Et puis il y a, dans cette action no 2, une petite enveloppe destinée à d’autres opérations, notamment des dons. Les crédits dont vous aviez voté le redéploiement l’an dernier ont pu être pris sur cette enveloppe, dont le montant est de 35 millions, mais ce ne sera pas possible si vous demandez un redéploiement de crédit de 50 millions.
Quant à l’action no 3, c’est la réduction de la dette.
C’est donc en raison de la composition même de ce programme 110 qu’il est impossible d’y prendre ces 50 millions.
Il va de soi que faire plus de dons que de prêts aux PMA, notamment aux seize pays prioritaires ciblés par notre loi, est ma priorité, mais je ne peux pas le faire de cette façon. Trouver une source de financement complémentaire dans une fraction du produit de la TTF, comme le propose un autre amendement, on peut y arriver, mais la présente proposition est techniquement impossible à mettre en oeuvre.
D’abord, madame la secrétaire d’État, je n’ai pas bien compris pourquoi on ne pourrait pas prendre sur les crédits destinés aux bonifications dès lors que la loi l’imposerait.
Je voudrais par ailleurs dire, dans le prolongement de ce qu’ont dit mes collègues, qu’on ne discute pas simplement de notre politique étrangère à travers soit la guerre, soit l’empathie généreuse de quelques miettes et de dons. Il s’agit de conforter nos capacités à renforcer des États fragiles, car c’est à partir de leur faillite que se créent et se développent des situations insupportables de pauvreté, d’éjection de fait de notre histoire collective, mais aussi des frustrations, de la violence, des embrigadements, des guerres – auxquelles nous participons d’ailleurs pour certaines.
Il y a là un enjeu stratégique. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter notre aide au développement par simple générosité, ou pour se donner bonne conscience. C’est certes tout à fait louable, et je crois que c’est ce qui anime l’ensemble de nos collègues ici. Mais nous devons aussi avoir une vision stratégique. Notre collègue Potier dit qu’il s’agit aussi de construire à travers l’aide au développement un monde plus sûr : c’est exactement la ligne stratégique qu’il nous faut suivre ensemble, car il va de soi que ce qui se passe au sud de la Méditerranée nous percute directement et que nous en sommes aussi responsables.
Nous devons donc anticiper à dix ou à quinze ans – pas simplement dans les discours, mais en y consacrant réellement des moyens – un monde meilleur demain, tout simplement.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Comme vous l’avez souligné vous-même, madame la secrétaire d’État, nous poursuivons le même objectif : augmenter la part des dons. Vous venez en effet de dire que vous êtes d’accord avec ceux qui, sur tous ces bancs, souhaitent qu’on arrive à remplir cet objectif.
Vous nous avez expliqué pourquoi ces « tiroirs » ne fonctionnent pas techniquement. Mais notre responsabilité en tant que parlementaires, madame la secrétaire d’État, c’est de vous aider à obtenir un résultat dans la négociation interministérielle.
Applaudissements sur tous les bancs.
Nous sommes au début de la discussion parlementaire, et voter cet amendement n’est pas voter contre le Gouvernement, puisque vous êtes d’accord avec nous. C’est une invitation à apporter une solution technique à un problème technique, alors que sur tous ces bancs, nous sommes d’accord avec le Gouvernement sur le fond.
Tel est le sens de la proposition de la commission des affaires étrangères, et je crois qu’elle recueillera l’assentiment de beaucoup ici.
L’amendement no 40 est adopté à l’unanimité.
La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement no 111 . Le maintenez-vous, monsieur Tetart ?
Je ne voudrais pas ajouter un tiroir aux tiroirs, ce qui finirait par faire une commode.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je voudrais quand même vous demander de bien spécifier que le rattrapage de nos dettes et de nos engagements sur quelques programmes seulement – comme Initiative santé solidarité Sahel – est visé.
Je voudrais que le Gouvernement s’engage sur les 25 % versés à l’AFD et qu’on ait vraiment envie de régler les dettes. Dans ce cas, mon amendement n’aurait plus d’objet.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je l’ai dit, les financements complémentaires iront en priorité – si vous en êtes tous d’accord, puisque vous êtes à l’origine de ces crédits – aux engagements que l’État a pris en matière de santé. Je pense à l’Alliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation ou GAVI : j’avais indiqué que j’espérais trouver une solution avant le 31 décembre. Ce sera le cas également des actions de santé au Sahel. Je vous le confirme.
Rassuré par les engagements de la secrétaire d’État à qui j’accorde toute ma confiance quand elle fait une promesse, je retire l’amendement.
L’amendement no 111 est retiré.
Les crédits de la mission « Aide publique au développement », modifiés, sont adoptés.
L’article 48 est adopté.
La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement no 67 .
Cet amendement, comme le suivant, sont des amendements que je présente chaque année, en essayant des niches différentes.
L’an dernier, je les ai présentés lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, devant un public peu favorable. Je tente donc ma chance cette année devant vous.
De quoi s’agit-il ? L’huile de palme, tout comme les boissons sucrées, vont contribuer à provoquer demain en Afrique les nouvelles maladies dominantes, celles qui vont conditionner les budgets de santé africains – comme le diabète en France aujourd’hui.
L’huile de palme pose un second problème : les plantations nécessaires à cette monoculture contribuent à la déforestation massive, tout cela pour une production dommageable à la santé.
Comme je l’ai dit en discussion générale, le principe pollueur-payeur devrait nous inspirer, en vue de définir un principe destructeur-réparateur. Nous pourrions ainsi inviter les producteurs d’huile de palme et de ses dérivés, tout comme ceux de boissons sucrées, à abonder un fonds qui permettrait dès maintenant d’agir.
Les notes blanches des lobbies divers disent que cela casserait l’emploi et dégraderait le pouvoir d’achat de millions de Français.
Ce qui est en jeu ici, c’est un centime d’euro par litre de soda et 40 centimes d’euros par an pour les consommateurs de certaines pâtes à tartiner au chocolat. C’est cela qui permettrait d’apporter deux fois 25 millions à l’AFD.
Je recevrai les représentants de ces lobbies. Ils peuvent faire du chantage à l’emploi ou dénoncer la dégradation du pouvoir d’achat, mais dans ce cas, qu’ils constituent un fonds volontaire pour agir en Afrique.
Cet amendement n’a pas été examiné par la commission, pas plus que le suivant.
Je comprends bien votre objectif.
La France, à travers l’AFD, a pris l’engagement en 2013 de doubler ses efforts financiers en matière de sécurité alimentaire en Afrique. D’ici 2016, l’aide sera d’un montant annuel de 400 millions d’euros.
Je comprends votre souhait et nous nous sommes engagés, dans l’objectif de développement durable, à éradiquer la faim dans le monde et la malnutrition d’ici 2030. Nous allons donc devoir renforcer nos actions.
Vous proposez deux petites taxes, pour ainsi dire, au moment où nous nous sommes engagés à ne pas créer de taxe additionnelle sur l’huile de palme, tout simplement parce qu’il faudrait l’appliquer aux différentes huiles alimentaires. De même, s’agissant des boissons sucrées, il faudrait aussi parler du Spartan ou d’autres produits. À ce stade, honnêtement, je ne peux que donner un avis défavorable du Gouvernement.
M. Tetart, et c’est à son honneur, cherche des financements innovants, comme chacun d’entre nous. Il en propose et essaie de faire avancer le dossier. Nous pouvons travailler en bonne intelligence, je le crois, sur ces actions-là.
Sa suggestion mérite d’être examinée, étudiée, pour en évaluer l’impact, et ce – pourquoi pas ? – de façon concertée. Je suis prêt à en discuter, mais à ce stade, je pense que nous avons fait suffisamment avancer les choses dans d’autres domaines pour ne pas en rajouter. Les incidences sur la santé méritent aussi d’être examinées, d’ailleurs.
J’ai bien vu, en exposant mon amendement, que vos mines n’étaient pas trop patibulaires.
Sourires.
Je me dis que nous pouvons travailler ensemble sur ce sujet. Cependant, je souhaite que mon amendement soit tout de même mis aux voix pour qu’on en prenne acte. De session en session, nous promènerons ces amendements qui, selon le principe du comique de répétition, finiront par avoir du succès.
Nous sommes tous soucieux de l’impact qu’a la production d’huile de palme sur la biodiversité et sur la santé. C’est un sujet, vous venez de le rappeler, qui est en débat depuis de longues années.
Si nous nous engageons dans un travail collectif, nous devrons être attentifs à l’évolution de la production d’huile de palme chez de nombreux industriels qui, à force d’être montrés du doigt, ont fait des efforts me semble-t-il très importants. Depuis la table ronde dite Roundtable on Sustainable Palm Oil ou RSPO, ils ont adopté des processus beaucoup plus satisfaisants.
Travaillons, mais travaillons aussi avec l’ensemble du secteur, pour ne pas en rester à des oppositions frontales qui, aujourd’hui, ne peuvent tenir lieu de méthode de travail.
L’amendement no 67 n’est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement no 66 .
L’amendement no 66 n’est pas adopté.
J’appelle les crédits du compte d’affectation spéciale « Prêts à des États étrangers », inscrits à l’état D.
Les crédits du compte d’affectation spéciale « Prêts à des États étrangers » sont adoptés.
Nous avons terminé l’examen de la mission « Aide publique au développement » et du compte d’affectation spéciale « Prêts à des États étrangers ».
Prochaine séance, à vingt et une heures trente :
Suite de discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2016 :
Mission « Enseignement scolaire ».
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly