Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015. Avant d’en venir au contenu de ce texte et d’exprimer le point de vue des députés du Front de gauche, membres du groupe GDR, permettez-moi d’évoquer les circonstances dans lesquelles ce PLFR est examiné.
À peine avons-nous achevé l’examen, en première lecture, du budget pour 2016, qu’un nouveau texte budgétaire, rectificatif, nous est présenté – ce qui est certes habituel à cette période de l’année – dans des délais d’examen pour le moins contraints, des circonstances très particulières pour le pays, au lendemain des tragiques événements du 13 novembre, et un calendrier politique chargé, avec le début de la COP21 à Paris, aujourd’hui. À cela s’ajoute le premier tour des élections régionales, qui aura lieu ce dimanche. Disons-le clairement : il est difficile pour le Parlement, dans de telles conditions, de réaliser un travail législatif digne de ce nom sur un texte déjà riche de 43 articles avant son passage en commission. Nous le regrettons très sincèrement.
Mes chers collègues, examinons maintenant le coeur du texte dont nous abordons l’examen. Il s’agit d’un projet de budget rectificatif qui, en réalité, ne modifie pas grand-chose, même si je constate que les manques que j’avais soulignés en qualité de rapporteur spécial de la mission « Insertion, solidarité, égalité des chances » ont été budgétés, notamment pour le revenu de, solidarité active – RSA – et l’allocation aux adultes handicapés – AAH –, ou que la mission « Travail et emploi » bénéficie désormais de moyens très sensiblement accrus pour la création de plus de 100 000 contrats aidés supplémentaires, ce dont je me réjouis.
Mais, plus globalement, il ne modifie pas les orientations en matière économique et budgétaire. Ainsi, il ne rectifie pas le « pacte de responsabilité », bien mal nommé, qui prévoit 50 milliards d’euros d’économies sur les services publics et les biens communs que sont nos collectivités et notre Sécurité sociale. Il ne rectifie pas non plus les cadeaux accordés aux entreprises sans contrepartie, sans ciblage et sans efficacité. Il ne rectifie pas davantage la trajectoire sociale du pays, ne change rien au quotidien des 6 millions de nos concitoyens inscrits à Pôle Emploi et n’apporte pas d’espoir aux 9 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté. Alors que les Restos du Coeur lancent aujourd’hui leur 31e campagne, notre pays, la France, est plus que jamais en état d’urgence sociale.
Bien entendu, après les événements du 13 novembre, nous saluons la mise en oeuvre future d’un « pacte de sécurité » qui sera introduit dans le budget pour 2016 et qui renforcera les effectifs de la police, des douanes et de la justice. Sans l’ombre d’un doute, il s’agit d’une bonne nouvelle pour nos concitoyens, tant ces services publics, pourtant essentiels à la sécurité des Français, ont été détériorés depuis dix ans, avec des milliers de suppressions de postes que nous n’avons eu de cesse, nous, députés du Front de Gauche, de dénoncer année après année – je demandais d’ailleurs voilà seulement un mois, dans le cadre d’une question au Gouvernement, l’arrêt des suppressions de postes dans les douanes et démontrais combien la réduction des effectifs était préjudiciable.
Les attentats ont mis en lumière le rôle, le dévouement et l’efficacité de nos services publics – policiers, militaires, pompiers, personnel hospitalier, et j’en oublie certainement –, des services qui se sont mobilisés avec courage, sans prime de mérite, signalons-le, pour apporter les réponses dont avaient besoin nos concitoyens. Cette leçon, nous devons la retenir.
Ce « pacte de sécurité », bien qu’il aille dans le bon sens, ne suffira pas. La réponse sécuritaire ne saurait être la seule réponse à l’obscurantisme et à la barbarie. À l’évidence, en effet, il faut aussi une réponse forte sur les fronts de l’éducation et de la culture.
Le Gouvernement serait bien avisé de s’inspirer des recettes transalpines en la matière. Le Gouvernement de Matteo Renzi vient ainsi de faire des annonces fortes pour lutter contre la menace terroriste. Il a par exemple été décidé que, pour chaque euro supplémentaire alloué au renforcement de la sécurité du pays face au terrorisme, un euro supplémentaire serait accordé au budget de la culture. Ce faisant, l’Italie va mettre en place un vaste plan de rénovation urbaine, accorder un « bon d’achat culturel » aux jeunes, renforcer le système de bourses pour les étudiants et améliorer le financement des associations.
Monsieur le ministre, un « pacte de sécurité » isolé ne permettra pas de redonner espoir aux jeunes générations. Un véritable « pacte de fraternité et de solidarité » ciblant l’accès à la culture, aux savoirs et à la connaissant le permettrait. Nous espérons que le Gouvernement s’engagera dans cette voie en soutenant certaines de nos propositions, comme celle visant à instaurer une TVA au taux réduit de 5,5 % pour l’accès aux musées, expositions, zoos et monuments historiques.
Pour ce faire, les moyens financiers existent. En vue de financer les mesures que j’évoquais préalablement, le gouvernement italien a ainsi décidé de reporter les allégements fiscaux qu’il entendait accorder aux entreprises. En France, l’abrogation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – permettrait de libérer 18 milliards d’euros d’argent frais par an, somme qui pourrait être allouée à l’investissement durable, à la transition énergétique, aux services publics et aux collectivités territoriales, lesquelles retrouveraient les moyens dont elles ont besoin pour assurer la cohésion du territoire et leur rôle de correctrices des inégalités, et pour contribuer de manière décisive au développement du tissu économique, social et écologique, en relançant par exemple des investissements profitables au BTP.
Les moyens financiers existent. Il nous faut durablement remettre en cause les règles financières européennes et libérer les États de la tutelle austéritaire de la Commission européenne.
Un premier pas vient d’être franchi, mais l’état de décomposition économique, politique et sociale de l’Europe montre qu’il faut aller plus loin. Ces règles nous entraînent sur une fausse route et mènent le continent à sa perte. Le rêve européen s’est évanoui, il ne mobilise plus. La violence qui a frappé nos amis grecs l’été dernier en a été le symbole. L’austérité ne saurait être, à nos yeux, un projet politique mobilisateur, loin de là. Il faut d’urgence agir, en remettant l’humain au-dessus des règles comptables et financières qui nous dominent aujourd’hui !
Les moyens financiers existent, mes chers collègues ! Où sont passés les 1 100 milliards que la BCE – Banque centrale européenne – a décidé d’injecter dans l’économie en janvier dernier ? On se le demande bien, tant l’économie réelle et l’emploi ne semblent pas en avoir bénéficié. Ce qui est sûr, c’est que ces 1 100 milliards ne sont pas allés à la satisfaction des besoins de nos concitoyens, qui vivent des temps bien difficiles.
En réalité, nous savons bien où sont allés tous ces milliards : dans la bulle, dans la spéculation, dans les réserves des banques. Voilà qui pose bien des questions sur l’efficacité de l’action de la BCE, pourtant saluée par tous les pseudo-experts en politique monétaire.
In fine, l’action de la BCE est-elle au service de l’intérêt général ou de l’intérêt de quelques-uns – banques, compagnies d’assurances, fonds de pension ? Pouvons-nous laisser la BCE engager de tels montants sans un réel contrôle démocratique ? Le débat mérite d’avoir lieu dans cette enceinte.
De même, en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, ce sont les actes qui comptent. Chaque année, plus de 60 milliards d’euros échappent au budget de l’État – un chiffre tout bonnement hallucinant. Certes, ce combat est difficile et les avancées au niveau international, bien que réelles, sont lentes et manquent parfois d’ambition.
Mais notre pays ne peut rester les bras croisés et doit montrer l’exemple. Nous pouvons être inquiets à cet égard : plusieurs ONG viennent de rendre un rapport montrant que la France, dans les négociations européennes et internationales, a perdu son rôle de locomotive dans la lutte contre l’évasion fiscale. Au regard des enjeux financiers considérables, notre pays ne peut se contenter de règles a minima et doit se battre pour un programme européen ambitieux. Pour ce faire, il doit prendre des initiatives fortes !
Tel est le sens du souhait formulé par des parlementaires de diverses sensibilités visant à renforcer la transparence sur la localisation de l’activité et des bénéfices des grandes entreprises. Aux côtés de nos collègues écologistes et socialistes, nous proposerons d’étendre la fameuse obligation de reporting, qui ne concerne que les seules banques pour le moment, aux multinationales de tout secteur. Il s’agirait d’une avancée fondamentale. En complément, nous proposerons qu’une contrepartie financière soit instaurée afin de pénaliser le recours aux paradis fiscaux par les entreprises.
Mes chers collègues, une nouvelle fois, nous aborderons ce débat dans un esprit constructif. L’urgence sociale et l’urgence écologique seront nos deux boussoles. Nous nous battrons pour démontrer l’utilité d’apporter des solutions progressistes, ambitieuses, aux formidables défis auxquels notre pays doit faire face aujourd’hui. Telle sera notre démarche au cours des prochains jours.