Intervention de Gérard Menuel

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 9h30
Intégration du principe de substitution dans le cadre réglementaire national applicable aux produits chimiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Menuel :

Mais avant de légiférer, avant de surtransposer, un point d’étape est nécessaire sur l’application du nouveau dispositif, et ce n’est pas en complexifiant l’existant que l’on donnera de la lisibilité, donc de l’efficacité à un nouveau cadre réglementaire.

Premier point, donc : avant de légiférer, l’étude de la réglementation existante est nécessaire. Dans les faits, cette réglementation est-elle bien appliquée ?

Deuxième point : il est primordial de réaliser une étude d’impact précise sur les conséquences des présentes dispositions, y compris dans les domaines de la recherche et de l’économie.

Notre pays a trop de contraintes et de normes, et il en souffre ; son secteur industriel a ainsi perdu de sa superbe : il est même devenu trois fois moins important qu’en Allemagne et deux fois moins qu’en Italie. Regardez aussi, dans un autre domaine, comment la surréglementation pénalise notre élevage et notre agriculture. Les abattoirs ferment en France et s’ouvrent en Allemagne : cherchez l’erreur et sa cause !

Dans le domaine dont nous parlons comme dans beaucoup d’autres, on ne peut légiférer sans prendre en compte les réalités du moment, et, de ce point de vue, les interrogations ne manquent pas. Par exemple, monsieur le secrétaire d’État, comment appréhender les règles de la propriété intellectuelle ? Comment substituer d’autorité une substance chimique homologuée, fruit de longues et coûteuses recherches, par une autre ? Sur ce seul point, il y a certainement des réponses, mais elles doivent être clarifiées, ne serait-ce qu’au regard de la propriété intellectuelle.

La substitution est-elle scientifiquement applicable, et peut-elle se faire sans préjudice pour la compétitivité de nos entreprises ? À notre connaissance, le dispositif proposé ne porte aucun regard sur les coûts et les contraintes induites pour les entreprises, quelle que soit leur taille. Soyons donc attentifs et n’oublions pas que, dans ce domaine, celui des produits chimiques, un cadre communautaire harmonisé existe, qui permet d’éviter toute nouvelle source de distorsion de concurrence au sein de l’Union européenne.

Faut-il le rappeler, le règlement européen REACH instaure une gestion communautaire précise des risques liés à l’utilisation de substances chimiques ; il représente une avancée juridique majeure et un socle réglementaire important. Ce règlement impose en particulier des obligations précises à l’encontre, non seulement des producteurs, mais aussi des importateurs de substances chimiques, et il renverse la charge de la preuve des autorités publiques vers l’industrie. Il s’agit de recenser, d’évaluer et de contrôler les substances chimiques fabriquées, importées et mises sur le marché européen. En vertu de ce règlement, à échéance de deux ans, plus de 30 000 substances chimiques seront mieux connues et répertoriées, et leurs risques potentiels établis. L’Europe – donc la France – disposera ainsi des moyens juridiques et techniques pour garantir à tous un haut niveau de protection contre les risques liés aux substances chimiques.

Les dispositions de ce règlement sont claires : tous les industriels doivent enregistrer, au niveau européen, les substances qu’ils fabriquent ou importent en quantité supérieure à une tonne par an. Après enregistrement, plusieurs hypothèses sont possibles. Soit la substance est déclarée sans risque et peut donc être utilisée ; soit elle présente des risques maîtrisables moyennant des précautions d’emploi, et elle peut alors être utilisée sous certaines conditions ; soit elle présente des risques, auquel cas son utilisation est encadrée, voire interdite, et le principe de substitution est appliqué. On voit donc bien, en faisant le point sur la réglementation existante, que cette proposition de loi du groupe écologiste risque fort de faire double emploi avec le droit existant.

Le texte me paraît donc inopportun au moment où l’Union européenne s’est dotée de règlements très protecteurs : je parlais de REACH à l’instant, mais l’on peut aussi évoquer CLP – Classification, labelling, packaging. L’Union s’est également dotée d’organisations uniques au monde, dont on commence seulement à voir les fruits. Le cadre national, avec tous les inconvénients qui en découlent, n’est donc pas le niveau approprié pour faire évoluer les dispositifs d’encadrement sur ces sujets.

La proposition de loi, dont on peut douter de la compatibilité avec la situation des entreprises et leur compétitivité, n’a par ailleurs été précédée d’aucune analyse scientifique, en dépit de la complexité, fort lourde, du processus de substitution.

L’idée de la substitution ne relève pas, à proprement parler, d’une surtransposition de la réglementation européenne, c’est vrai ; mais elle en garde l’esprit, et aurait bien souvent les mêmes conséquences. En définitive, la substitution proposée est un peu le « Canada Dry » de la surtransposition…

Le Président de la République, lors de sa visite annuelle au Salon de l’agriculture, avait clairement exprimé la nécessité de mettre fin à la surtransposition de la réglementation européenne, car cette démarche atteint rarement les buts qu’elle poursuit et contribue, en raison de charges non répercutables dans un monde concurrentiel, à la dégradation de la compétitivité de nos entreprises.

Personne ne peut nier que les trop nombreuses surtranspositions ont eu un impact sur l’économie, donc sur l’emploi, dans notre pays.

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