Intervention de Laurence Abeille

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 9h30
Automaticité du déclenchement de mesures d'urgence en cas de pics de pollution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Abeille :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je remercie François de Rugy d’avoir travaillé à cette proposition de loi, inscrite dans la niche de notre groupe écologiste. La pollution de l’air est un problème majeur de santé publique, qui se retrouve quasiment partout sur notre territoire et pas uniquement en milieu urbain. C’est un sujet emblématique de ce que les écologistes répètent depuis des années : il faut prendre en compte les facteurs environnementaux dans la dégradation de notre santé.

Si les écologistes n’avaient pas demandé l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour, toute la législature aurait pu s’écouler sans même que l’on légifère sur ce sujet pourtant majeur et à propos duquel l’opinion publique est largement alertée. Je le rappelle, la pollution de l’air, ce sont plusieurs dizaines de milliers de morts prématurées par an rien qu’en France, selon l’Organisation mondiale de la santé. Et, contrairement à d’autres maladies environnementales dont les liens de cause à effet sont encore soumis à controverse, l’impact de la pollution de l’air sur notre santé est avéré par toutes les agences sanitaires. Cet impact est catastrophique, et pourtant, nous n’agissons pas, ou nous le faisons de manière désordonnée.

Vous le savez, en 2012, le Centre international de recherche sur le cancer a classé comme cancérigènes les effluents des véhicules diesel. Par ailleurs, 30 % de la population française présente une allergie respiratoire. La France compte 3,5 millions d’asthmatiques. Le coût de l’inaction est exorbitant. L’exposition de la population aux seules particules fines coûte en France près de 30 milliards d’euros par an. Cela est dû aux décès prématurés, aux hospitalisations, aux consultations médicales, aux achats de médicaments, à la réduction de l’activité quotidienne. Récemment, un rapport sénatorial, vous en avez parlé, a chiffré le coût global de la pollution de l’air à plus de 100 milliards d’euros par an en France, en tenant compte de tous les coûts annexes, comme la dégradation des bâtiments publics. Le rapport de l’Agence européenne pour l’environnement estime que la pollution atmosphérique liée aux seuls poids lourds coûte entre 43 et 46 milliards d’euros par an dans l’Union.

Toutes ces données démontrent évidemment l’importance du problème et la nécessité d’agir rapidement, ce que rappellent inlassablement les écologistes depuis des années. Des mesures ont certes été prises, qui vont dans le bon sens. Nous nous dirigeons ainsi vers un alignement des prix de l’essence et du diesel. Si cet alignement est bien sûr indispensable, l’effet ne se verra qu’à long terme, et cette mesure est loin d’être suffisante pour résoudre le problème de la pollution de l’air. De surcroît, pour obtenir cet alignement, il aura fallu beaucoup trop de temps, alors que nous savons depuis des années que les particules émises par le diesel sont cancérigènes, et que, de surcroît, les constructeurs ont triché sur le niveau d’émission, intoxiquant impunément des millions de personnes. Certes, cette proposition de loi ne s’attaque pas frontalement au problème du diesel. Nous avons, à plusieurs reprises, émis des propositions en réaction au scandale du diesel, notamment au Sénat, malheureusement sans succès : la diésélisation de notre pays semble être un dogme intouchable.

Pour améliorer la qualité de l’air, une action d’ampleur doit être décidée, et nous ne pouvons pas nous contenter sur ce sujet d’appels à projets, comme le propose le ministère de l’écologie. En effet, ces appels à projets n’impliquent que quelques collectivités, laissant la majeure partie du territoire de côté. Agir contre la pollution de l’air, c’est revoir les seuils, imposer des restrictions, notamment en cas de pics de pollution, revoir les flottes de véhicules, limiter les émissions de rejets industriels et agricoles, favoriser les transports propres, parvenir à limiter en ville la place de la voiture et favoriser le vélo. À cet égard, je regrette le recul du Gouvernement sur l’indemnité kilométrique vélo, qui a pourtant été votée dans la loi de transition énergétique : le Gouvernement nous a annoncé une indemnité de 25 centimes par kilomètre, ce qui est très positif, pour annoncer ensuite que cette indemnité était facultative et plafonnée à 200 euros par an. Donc, si l’on réside à plus de 1,5 kilomètre de son lieu de travail, on atteint le plafond de l’indemnité. Bref, il reste encore beaucoup de chemin à faire avant que nos villes deviennent respirables.

Revenons-en à cette proposition de loi. Si elle ne règle pas tout, loin de là, elle vise un point particulier et essentiel : le manque de réactivité lors d’épisodes de pic de pollution. Ces épisodes de pollution intense sont désormais réguliers, notamment au début du printemps. Ils donnent lieu, à chaque fois, aux mêmes réactions trop lentes, fébriles, tardives. Et à chaque fois nos concitoyens doivent respirer durant plusieurs jours un air toxique, sans que cela ne semble émouvoir les pouvoirs publics. En Île-de-France, c’est un arrêté du préfet qui peut ainsi déclencher le processus de circulation alternée, après trois jours de pic de pollution aux particules, et si la prévision est encore mauvaise pour le quatrième jour. Lors des précédents pics de pollutions printaniers en Île-de-France, en mars 2014 et mars 2015, il a fallu attendre plusieurs jours consécutifs, jusqu’à sept jours, pour que la circulation alternée soit enfin décidée.

Même si le trafic routier n’est pas la seule source de pollution et que les épandages agricoles, les rejets industriels ou le chauffage au bois sont aussi largement responsables, la circulation alternée a montré son efficacité. Dans une évaluation réalisée en mars 2014, on note que la circulation alternée a permis de réduire le trafic routier de 18 % dans la capitale, de 13 % dans la petite couronne et de 9 % dans la grande couronne, avec une baisse significative de la concentration de particules et de dioxyde d’azote. Et il est important de relever que la population a globalement accepté la circulation alternée, consciente du risque sanitaire et de la nécessité d’agir.

L’automaticité du déclenchement de mesures contraignantes en cas de pic de pollution est donc utile, même indispensable, et ne doit plus dépendre d’un ministre tiraillé entre des considérations contradictoires.

Pour une lutte efficace contre la pollution de l’air, d’autres mesures devront bien sûr être élaborées. Pour compléter le dispositif, notre groupe déposera un amendement qui vise à informer la population sur les concentrations de pollens dans l’air en cas de pic de pollution. Les pollens étant un facteur aggravant pour les personnes sensibles, il nous semble important de les intégrer à l’information donnée au public.

On peut regretter que, depuis des années, rien n’ait été fait pour lutter efficacement contre cette pollution de l’air. L’occasion nous est donnée aujourd’hui d’adopter une mesure simple et de bon sens, et je remercie notre collègue François de Rugy de rappeler l’urgence d’agir avec responsabilité et fermeté.

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