Intervention de Alain Claeys

Séance en hémicycle du 27 janvier 2016 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Une seule chose nous a guidés tout au long de ces mois : permettre à chacun de disposer de sa vie jusqu’à son ultime moment et de bénéficier d’une mort apaisée.

Alors, oui, le texte que vous allez de nouveau adopter va ouvrir de nouveaux droits aux malades et aux personnes en fin de vie. Il est l’expression du progrès nécessaire. L’autonomie, c’est le renforcement du rôle des directives anticipées et de la personne de confiance pour les malades hors d’état d’exprimer leur volonté.

Le droit à une mort apaisée, c’est le droit à une sédation profonde et continue, provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie.

Un patient encore conscient, atteint d’une affection grave et incurable qui lui provoque une souffrance réfractaire aux traitements, pourra ainsi, lorsque son pronostic vital est engagé à court terme, y recourir.

De même, un malade atteint d’une affection grave et incurable qui souhaitera arrêter les traitements qui le maintiennent en vie, s’exposant ainsi à une souffrance insupportable, pourra bénéficier de ce même traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la conscience et ce jusqu’à son décès.

Enfin, les malades en état végétatif pourront également bénéficier de ce traitement à visée sédative. Il faudra pour cela que leur volonté en ce sens soit recueillie. Elle pourra l’être au travers de la personne de confiance qu’ils auront antérieurement désignée ou des directives anticipées qui s’imposeront désormais au médecin.

Ces nouveaux droits, j’ai eu l’occasion de vous le dire lors de mes précédentes interventions, ne sont pas le fruit d’un compromis entre deux parlementaires de sensibilités différentes. Ils sont au contraire le fruit du dépassement de nous-mêmes auquel Jean Leonetti et moi avons dû parvenir pour converger vers les mesures que contient cette proposition de loi.

Cet exercice, je l’ai de nouveau mené lors de la réunion de la commission mixte paritaire, qui s’est déroulée la semaine dernière et dont est issu le texte qui vous est présenté. Mon état d’esprit a toujours été le suivant : l’indispensable accord ne valait pas qu’on sacrifiât l’essentielle avancée. C’est mû par ces deux volontés, fort de l’approbation qu’avait reçu à deux reprises notre texte dans cet hémicycle, que j’ai abordé la commission mixte paritaire.

Je ne peux aujourd’hui que me réjouir du travail mené en commun avec les sénateurs. Malgré les légitimes différences d’approche, chacun, conscient de l’enjeu et de sa responsabilité, a cherché à construire et à dépasser ses préventions.

Pour ma part, j’ai à chaque instant pris garde à ce que nos objectifs premiers soient, sur le fond, préservés. Vous le savez, c’est dans les sujets les plus complexes que la rédaction doit être la plus claire. J’y ai veillé afin de limiter d’éventuels contentieux.

Je le dis ici par anticipation à ceux qui, demain, se pencheront sur la loi pour trancher d’éventuels différends. Le sens de notre proposition de loi est limpide : chacun doit pouvoir décider en conscience de la façon dont il entend vivre ses derniers moments et cette volonté doit être appliquée par ceux qui en ont la charge. Notre texte est dictée par une seule volonté : combattre le mal-mourir qui règne encore trop souvent en France.

Reste qu’une fois cette loi adoptée, il restera deux objectifs auxquels nous devrons veiller. La manière dont les décrets d’application seront rédigés sera primordiale pour l’avenir du texte. Je pense notamment au modèle nécessaire à l’élaboration des directives anticipées. En dépendent à la fois leur plus grande capacité à s’imposer aux médecins et l’augmentation de leur nombre dans notre pays.

Le deuxième objectif, de loin le plus important, sera notre capacité à expliquer, à faire connaître ces nouveaux droits à nos concitoyens. Avec raison, beaucoup d’entre nous ont constaté que la loi de 2005 n’était pas assez connue, alors même que, traitant du refus de l’obstination déraisonnable, elle intéressait au premier chef les professionnels de santé.

Le texte que Jean Leonetti et moi-même portons aujourd’hui est une loi pour les patients. Elle ne permettra à nos concitoyens de disposer d’eux-mêmes jusqu’à leur dernier souffle qu’à la condition expresse qu’ils se soient approprié le droit à la sédation, qu’ils aient plus souvent qu’aujourd’hui pensé à désigner une personne de confiance ou à rédiger des directives anticipées.

La publicité de la loi est indispensable. Elle décidera de sa réussite ou de son échec et si, ce dernier devait advenir, ce serait celui non de quelques-uns, mais de notre société tout entière.

Naturellement, cette loi n’épuisera pas le débat sur la fin de vie. De la même façon, elle ne pourra seule mettre un terme à toutes les inégalités dans ce domaine. Pour autant, les avancées qu’elle contient, la mise en oeuvre du plan triennal pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie voulu par Mme la ministre, la mise en place d’un enseignement spécifique obligatoire et commun à tous les étudiants concernés, consacré à l’accompagnement des malades et intégré à l’ensemble des formations sanitaires aussi bien pour les diplômes d’État que pour les études de médecine, tout cela ne peut que contribuer à l’amélioration des conditions de fin de vie de nos concitoyens, ce que nous souhaitons sur tous les bancs de cette assemblée.

Mes chers collègues, la loi qui, je l’espère, sera définitivement adoptée ce soir, est profondément un texte d’humanité. Quand vient l’inéluctable, l’humanité, pour le médecin, c’est le refus de l’obstination déraisonnable. L’humanité, pour les familles et les proches, c’est la traduction dans leurs mots de ce que souhaitait réellement celui qui vient à les quitter. L’humanité, enfin, pour le malade en fin de vie, c’est le respect absolu de ses volontés, l’apaisement de ses souffrances, toutes choses que nous lui devons.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons eu pendant toute l’année dans cet hémicycle des débats sérieux, marqués par un grand respect. J’en remercie les parlementaires. Quelles que soient les opinions des uns et des autres – nous connaissons le débat : certains d’entre nous considèrent que le texte ne va pas assez loin, d’autres que certaines dispositions sont excessives –, nous avons voulu converger, Jean Leonetti et moi-même, non pour arriver à un texte qui permettrait de réunir majorité et opposition, mais pour répondre à nos concitoyens, qui nous interpellaient depuis de nombreuses années.

Il fallait répondre à leurs interrogations. Nous souhaitons être entendus ; nous voulons, pour nos proches comme pour nous-mêmes, une dernière partie de vie apaisée, nous disaient-ils. C’est à ces deux questions, dans toute leur étendue, que nous avons souhaité répondre par ces deux nouveaux droits.

J’entends certains dire que c’est une étape, et qu’il faudra revoir la loi. Auparavant, chers collègues, soyons modestes : essayons d’abord d’appliquer cette loi, si elle est adoptée, et de la mettre quotidiennement en pratique.

L’attente est grande. Le rapport Sicard le montre, et celui du Comité consultatif national d’éthique nous l’a confirmé. Le débat citoyen l’a traduit merveilleusement bien. Sur ces questions, il existe aujourd’hui des inégalités insupportables. Les réduire constitue une avancée. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Je sais combien dans cet hémicycle la volonté de progrès en ce domaine est forte et partagée. Je ne doute pas que nous ferons ce soir, collectivement, avancer notre société.

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