Le premier aggrave les peines encourues par les personnes reconnues coupables de certaines infractions commises à rencontre d’une personne prostituée. L’article 16, pièce maîtresse du volet de la proposition de loi consacré à la responsabilisation du client, crée l’infraction de recours à l’achat d’actes sexuels qu’il punit d’une amende contraventionnelle de cinquième classe, soit 1 500 euros et, en cas de récidive, d’une amende délictuelle de 3 750 euros. L’article 17, composante de ce même volet, instaure une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.
La commission spéciale a, par ailleurs, apporté quelques modifications à d’autres articles de la proposition de loi. Je prendrai trois exemples.
À l’article 1er, qui vise à renforcer, sur internet, la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme, elle a supprimé la disposition, introduite par les sénateurs, qui permettait à l’autorité administrative de demander aux éditeurs et hébergeurs de sites internet le retrait des contenus liés à une activité d’exploitation sexuelle, tout en conservant l’obligation qui leur sera faite de participer à la lutte contre ces contenus.
À l’article 1er ter, destiné à mieux protéger les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme, elle a tenu à préciser que les dispositions de l’article 62 du code de procédure pénale, relatif à l’audition libre et à la retenue judiciaire d’un témoin, seraient applicables.
À l’article 6, enfin, elle a réintroduit la condition de cessation de l’activité de prostitution pour la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour aux personnes étrangères.
Notre assemblée a adopté ce texte à une large majorité à chaque fois qu’il lui a été donné de le faire. L’examen de cette proposition de loi est long, certes. Mais c’est le lot des textes qui opèrent un véritable changement sociétal.
Depuis l’ouverture en 2011 par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy du débat à l’Assemblée nationale sur la possibilité d’inverser la charge pénale en matière de prostitution, à savoir dépénaliser les personnes prostituées et responsabiliser les clients, c’est l’ensemble de la société qui débat et s’interroge, mais surtout, qui évolue. On le voit aujourd’hui : le temps et la nature des échanges ont fait leur oeuvre. D’autres pays se sont inspirés de notre démarche, pour finalement adopter cette législation avant nous : l’Irlande du Nord et le Canada ont ainsi rejoint la Suède, l’Islande et la Norvège.
Il fallait donner du temps à la discussion. Mais la société française est prête !
Je reprenais en première lecture les propos de Victor Hugo sur la prostitution, dans Les Misérables : « La misère offre, la société accepte. » Maintenant, la société n’accepte plus. Certainement parce qu’elle a bien voulu voir la réalité de la prostitution pour ce qu’elle est : un système de violence et de domination inacceptable.
L’une des traductions particulièrement actuelle de cette réalité est l’exploitation sexuelle organisée par les réseaux terroristes que sont Daech et Boko Haram. Nous savons que les moyens financiers qu’ils en tirent constituent une part considérable de leurs revenus. Des victimes, vendues aux réseaux de prostitution, qu’elles soient exploitées en Europe ou sur les territoires contrôlés par ces organisations, commencent à raconter les sévices qu’elles ont vécus. C’est aussi ce terrible esclavage des femmes par les réseaux terroristes que nous devons combattre.
Une autre réalité terrible a été mise en lumière récemment par la coordination policière Europol : elle confirme que plus de 10 000 enfants migrants non accompagnés ont disparu en Europe sur les 18 à 24 derniers mois, et craint que nombre d’entre eux ne soient exploités, notamment sexuellement, par le crime organisé. Europol évoque une infrastructure criminelle paneuropéenne sophistiquée, visant désormais les migrants à diverses fins, dont l’esclavage ou des activités liées au commerce du sexe.
La prostitution fait partie d’un continuum de violences et s’inscrit dans le phénomène plus large de sociétés profondément inégalitaires. Les femmes sont encore considérées par beaucoup comme une sous-catégorie d’individus que l’on peut humilier, frapper, exploiter, violer, acheter, tuer, mépriser parce que ce sont des femmes. Les inégalités et les violences subies par les femmes partout dans le monde, bien qu’elles soient régulièrement dénoncées, sont largement et communément admises. Cela est insupportable.
Du refus de serrer la main à une femme, à l’enfer vécu pendant 47 ans par Mme Jacqueline Sauvage, en passant par Assiatou qui, à 14 ans, a été enlevée par Boko Haram, puis violée, ou par la jeune fille contrainte à vendre un acte sexuel : tout cela fait partie d’un tout. En France, en Inde, en Syrie, et partout ailleurs, les violences et les discriminations subies par les femmes sont un tout. Et la loi que nous examinons à nouveau ce soir vient ébrécher encore un peu plus ce système de domination, d’inégalités, comme nous le faisons depuis des années, à force de lois, mais aussi et avant cela, à force de mobilisations citoyennes, humanistes, féministes.
Le débat qu’elle a ouvert dans la société est positif. Il est venu mettre en lumière des inégalités qui étaient tellement intégrées qu’on ne les voyait plus : non, le fait que des hommes clients achètent des actes sexuels à des femmes contraintes de s’y prêter soit par la force, soit économiquement, n’est pas acceptable. Cela contrevient aux principes de la non-patrimonialité du corps humain, à celui de la dignité humaine, mais aussi à celui de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous affirmons avec ce texte que la société n’accepte plus ces violences et nous mettons les moyens légaux et financiers pour répondre, au-delà des principes, aux enjeux concrets des personnes concernées, les personnes prostituées, qui ont besoin de se reconstruire, d’être mises en sécurité, d’obtenir réparation des dommages subis, et d’être soutenues, pour quitter ce système de violences.