Intervention de Pascale Crozon

Séance en hémicycle du 3 février 2016 à 15h00
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Crozon :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, mes chers collègues, voici maintenant près de trois ans que nous étions réunis dans cet hémicycle pour débuter nos discussions sur cette proposition de loi qui, rappelons-le, entend concrétiser l’engagement abolitionniste que la représentation nationale avait adopté à l’unanimité en 2001. Cela fait près de trois ans que ce texte est en navette, qu’il subit retards, détricotages, retricotages et rumeurs d’enterrement. Mais près de trois ans plus tard, nous sommes toujours là, et bien là.

L’ambition qui nous porte et qui nous réunit est d’écrire une loi d’émancipation. Je veux remercier du fond du coeur les artisans de ce texte – M. Geoffroy, Mme Olivier, Mme Coutelle – pour la ténacité et la force de conviction qui sont les leurs depuis le début de nos travaux.

Cette loi d’émancipation nous invite à ne plus regarder les femmes prostituées comme des coupables, à ne plus porter sur elles un jugement moral, mais à les considérer dorénavant comme les victimes d’un système reposant sur l’exploitation et la marchandisation du corps.

Le groupe socialiste se félicite que ce que nous considérons depuis le départ comme le coeur de ce projet, à savoir l’abrogation du délit de racolage, ait pu réunir une majorité de députés et de sénateurs avant même la CMP. C’est un acquis important, partagé sur l’immense majorité de nos bancs, et attendu de longue date par les personnes prostituées, les associations et les professionnels qui oeuvrent à leur protection sanitaire et à leur accompagnement social. Ces associations et ces professionnels font un travail difficile : il faut les en remercier aujourd’hui.

C’est une disposition qui nous engage et doit nous inviter, en responsabilité, à cheminer rapidement vers la promulgation de ce texte.

C’est une loi d’émancipation parce qu’elle entend accompagner concrètement les personnes prostituées dans un parcours de sortie qui mobilise à leur profit des droits, au séjour ou à une allocation par exemple, et organise la coordination des différents acteurs en charge de cet accompagnement.

C’est une loi d’émancipation parce qu’elle entend mener une bataille culturelle et combattre les représentations selon lesquelles le corps des femmes est un objet soumis aux désirs des hommes ; les représentations selon lesquelles il existerait un droit au sexe et dans lesquelles le consentement pourrait s’acheter ; les représentations selon lesquelles une liberté à recourir à la prostitution serait totalement déconnectée de l’existence de réseaux mafieux, mondialisés, d’exploitation des êtres humains que nous sommes par ailleurs tous d’accord pour combattre.

Alors oui, cette loi d’émancipation doit s’assumer abolitionniste. Et elle doit pour cela affirmer clairement l’interdiction de tout achat d’acte sexuel. Car c’est bien une loi d’émancipation, lorsqu’elle pose pour seule limite à la liberté de disposer de son corps l’interdiction de disposer du corps d’autrui. C’est bien une loi d’émancipation, lorsqu’elle fixe la frontière entre ce qui relève du secteur marchand et ce qui n’en relève pas. La marchandisation, ce n’est pas la liberté. Ce n’est pas l’égalité. C’est la négation même de toute humanité dès lors qu’elle repose sur la transaction entre un client et une présence humaine rabaissée au rang de bien de consommation.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise en nouvelle lecture n’est donc pas une loi qui se limite à la responsabilité des clients, mais j’ai la conviction que tout ce qui nous réunit par ailleurs serait en réalité bien vide si nous ne posions pas ce principe.

Depuis plus de deux ans en effet, chacun a eu le loisir d’exposer ses thèses et ses propositions, nous les avons confrontées, vivement débattues, et nos débats ont été abondamment commentés. Les deux lectures précédentes ont été l’occasion d’enrichir la proposition de loi initiale, d’y conserver les contributions les plus pertinentes de l’Assemblée et du Sénat et les apports constructifs de chaque groupe politique. Nous avons aujourd’hui la conviction que le texte dont nous allons discuter sera équilibré et efficace. Il a vocation à devenir la loi. Et croyez-le, nous avons la volonté de le faire enfin aboutir.

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