Des travaux universitaires ou scientifiques, il n’en a jamais été question dans nos débats. Il est vrai que c’est à la mode, puisque rechercher des explications, c’est déjà excuser.
Vous avez préféré asséner des chiffres, jamais « sourcés », jamais contextualisés. Peu importe que le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – de décembre 2012 rappelle tout d’abord que la prostitution recouvre des réalités diverses, contrastées ; qu’il appelle, dans le cadre de la prévention, du suivi médical et des soins des personnes qui se prostituent, à une véritable reconnaissance et une effectivité de leurs droits ; qu’il recommande enfin une approche pragmatique, transversale et coordonnée visant à organiser et faire converger les efforts de tous les acteurs – pour améliorer la connaissance concernant les différentes formes de prostitution, mieux prendre en compte les problématiques prostitutionnelles dans les différentes politiques menées, conforter et développer l’approche préventive, apporter une attention particulière aux publics les plus fragiles. Ce rapport pointait la difficulté à, comme vous l’avez fait, manier des chiffres, à généraliser une diversité de situations.
Les chiffres ont volé, chaque fois plus extravagants : 90 % des personnes prostituées sont des esclaves de la traite, nous avez-vous dit, et 90 % de ces esclaves sont étrangères, avez-vous répété, très bien aidée en cela par M. le président de la commission spéciale. Peu importe que les quelques études universitaires et scientifiques européennes disponibles, trop peu nombreuses, disent le contraire. Vous n’en avez jamais tenu compte. Il vous fallait amalgamer traite et prostitution. Il vous fallait simplifier à l’extrême une réalité sociale plus diverse, plus complexe, et assimiler le fait de se livrer soi-même à la prostitution et celui d’y être contraint.
Se prostituer est une activité légale en France, sous réserve du respect de l’ordre public, tandis que l’exploitation de la prostitution pour autrui est une autre activité, fortement pénalisée au niveau tant national qu’international. Tous les travaux réalisés dans le cadre du Conseil de l’Europe font cette distinction fondamentale entre la prostitution consentie et la contrainte, la traite, le fait d’être victime du proxénétisme, en condamnant fermement ce dernier cas de figure. La CNCDH fait elle aussi clairement cette distinction capitale. Or, l’amalgame vous permet d’évacuer la question du consentement.
Je croyais pourtant que le combat que nous menons ensemble sur ces bancs en faveur du droit des femmes, ce combat féministe mené par des pionnières pendant des décennies, avait justement permis que les femmes puissent devenir des actrices autonomes, capables de choisir leur destin sur le plan privé aussi bien que sur le plan politique. Considérer qu’aucune femme, dans aucune circonstance et d’une manière absolue, ne peut donner librement son consentement à la prostitution revient donc à réactualiser une attitude paternaliste – j’allais dire « maternaliste » – à leur égard. En excluant la possibilité d’une participation consentie à la prostitution, on répète la représentation archaïque des femmes comme victimes incapables de choix autonomes. C’est le fondement de l’article 16 de la proposition de loi, c’est la doctrine de ce texte qui prétend sauver des victimes dont il ignore et méprise la parole.
Du reste, dès lors que l’on considère que tout acte sexuel est un viol, je ne comprends pas que l’on puisse se satisfaire d’en faire une contravention et que l’on ne mette pas toutes ses forces à obtenir une interdiction totale et absolue de la prostitution,…