Alors que notre assemblée, après avoir mené une mission d’information sur le sujet, a adopté à l’unanimité, le 6 décembre 2011, la résolution Bousquet-Geoffroy réaffirmant la position abolitionniste de la France et décidant de la pénalisation du client, force est de constater qu’après presque deux ans et demi de navette, le texte qui nous est présenté ce jour est loin de l’esprit de consensus qui l’avait inspiré comme des ambitions qui l’avaient guidé.
L’échec de la commission mixte paritaire atteste des positions inconciliables des deux chambres sur ce sujet qui devrait pourtant nous réunir autour de la défense des victimes de la traite et du proxénétisme que sont les personnes prostituées.
À mille lieues des déclarations de la ministre Vallaud-Belkacem, qui s’était réjouie de l’abolition de la prostitution grâce à ce texte, il ne nous reste plus à débattre que de demi-mesures qui ne parviennent même pas à nous rassembler. Malgré les efforts déployés par le président de la commission spéciale, Guy Geoffroy, et par notre rapporteure, Maud Olivier, dont je tiens à mon tour à saluer la grande ouverture d’esprit et l’intense travail pour aboutir à un consensus parlementaire, le texte achoppe, hélas, sur des dispositions fondamentales. La plus importante d’entre elles, la pièce maîtresse, est évidemment la pénalisation du client, sans qui il n’y a pas de prostitution.
Le rapport Geoffroy-Bousquet, s’inspirant du modèle suédois, préconisait de réprimer ce délit par deux mois de prison, 3 750 euros d’amende et une peine complémentaire ou alternative aux poursuites de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Les gardes à vue ou les auditions de témoins rendues alors possibles auraient pu permettre de remonter les filières et de traiter les zones frontalières avec des pays où la prostitution est légalisée, comme l’Espagne et l’Allemagne, et qui charrient des flux considérables de clients français.
Aussi est-il navrant de constater que même le compromis minimaliste proposé par les rapporteurs, à savoir une contravention de cinquième classe dont la récidive constitue un délit, a été purement et simplement supprimé par le Sénat.
La seconde disposition concerne le démantèlement des réseaux de traite par les services de police.
L’abrogation du délit de racolage public, qui, elle, a été adoptée conforme par les deux chambres, conjuguée à la suppression de la pénalisation du client voulue par le Sénat, reviendrait, selon moi, à dépénaliser de fait l’exploitation sexuelle des victimes de la prostitution et à reconnaître finalement, comme le souhaitent d’ailleurs certains, qu’il s’agit d’un métier comme un autre, ce que nous ne pouvons nous résoudre à accepter pour ce qui nous concerne.
Loin d’être une violence sur ces femmes qui, réduites en esclavage, sont les victimes d’une violence quotidienne, le délit de racolage permettait de les identifier et surtout leur donnait l’accès aux soins et la possibilité de dénoncer leurs exploiteurs. Accessoirement il avait aussi rendu la tranquillité à bien des quartiers parisiens.
Tentant de remédier à la déperdition d’information et de prise de contact qui résultera de cette abrogation, l’article 1er ter, visant à faciliter l’audition des personnes prostituées au titre de l’article 62 du code de procédure pénale, sous forme d’entretien ou d’audition de quatre heures, est une amélioration mais on pourrait aller encore plus loin en précisant que la protection dont elles pourront bénéficier si elles coopèrent avec la police n’est pas corrélée à la commission d’un délit.
Mais pour cela il faudra rendre réellement incitative cette coopération en la distinguant du parcours de sortie de la prostitution créé par ce texte.
Si personne ne conteste la générosité de la vision humaniste qui a inspiré un dispositif qui ne favorise pas cette coopération, il ne saurait conduire pour autant à dénaturer les dispositions de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, visant à inciter les personnes victimes de traite et de proxénétisme à porter plainte ou à témoigner contre leurs exploiteurs.
Or, la délivrance obligatoire du titre de séjour « parcours de sortie de prostitution », en le portant à une durée minimale d’un an, sans même exiger la cessation de l’activité prostitutionnelle condamnerait le titre de séjour actuellement délivré pour coopération avec la police, d’une durée de six mois.
Ainsi dépourvu d’engagement de la part de la personne qui y souscrit, le parcours de sortie de la prostitution constituerait une véritable aubaine pour les réseaux de proxénètes et trouverait davantage sa place dans le projet de loi sur l’immigration.
Mes chers collègues, à ce stade de la navette, doutant qu’une nouvelle lecture aboutisse là où la commission mixte paritaire a échoué, je vous appelle donc, pour ma part – car il y a plusieurs demeures dans la maison du père – à raffermir ce texte pour qu’il confère à notre pays les moyens de lutter véritablement contre les proxénètes et les réseaux qui exploitent la misère humaine, retrouvant ainsi l’ambition abolitionniste qui l’a inspiré.
À défaut, je serai au regret – et c’est pour moi un regret véritable – de m’abstenir devant une proposition de loi qui nous laisserait au milieu du gué.