Comment, en effet, aborder la question de la prostitution en refusant d’admettre ce que nous disent les premiers et les premières concernés – je parle ici des prostituées – à savoir qu’il existe des prostitutions. Car n’en déplaise à la vision simplificatrice et moralisante qui anime ce texte, toutes les situations de prostitution ne peuvent être réduites à de l’esclavage. Que cela plaise ou non, que cela choque ou non, certaines personnes ont recours à la prostitution sans contrainte.
Celles et ceux qui se définissent travailleurs et travailleuses du sexe revendiquent leur métier comme un choix. Aujourd’hui des prostituées travaillent à leur compte et payent des impôts sur les revenus de leur travail. Nous ne pouvons nier qu’il s’agit là de choix opérés en conscience par les personnes concernées. Comme l’ont dit Elizabeth Badinter et quelques autres dans une tribune, qui peut s’ériger en juge dans ce domaine éminemment privé ?
Face au droit de disposer de son corps, face au principe de la liberté sexuelle entre adultes consentants, ce texte réduit la prostitution à une marchandisation du corps qui porterait ainsi atteinte à la dignité humaine. Dans ce cas, pourquoi se limiter à la prostitution ? D’autres professions pourraient en effet faire l’objet de la même analyse : pourquoi, par exemple, ne pas abolir la pornographie ?
Ce texte, animé de bonnes intentions, comporte en outre des risques dont la gravité pour les personnes que l’on entend ici « protéger » est bien réelle.
Certes, l’abolition du délit de racolage est une très bonne chose. En faisant l’amalgame entre prostitution et délinquance, la pénalisation des prostitués les a forcés à se cacher, avec tout ce que l’invisibilité induit, notamment pour leur santé et leur sécurité. Et ce délit de racolage n’a pas permis de lutter contre les réseaux mafieux et la traite des personnes.
Pourtant, aujourd’hui, on voudrait substituer à la pénalisation des prostitués celle des clients. Comment ne pas voir les risques que cela comporte ?
Des organisations internationales et des associations qui accompagnent les personnes prostituées dans l’accès à leurs droits nous ont alertés : les politiques prohibitionnistes dont cette mesure s’inspire ont toujours pour conséquence une plus grande précarité pour celles et ceux qui ont recours à la prostitution.