Intervention de Olivier Falorni

Séance en hémicycle du 4 février 2016 à 15h00
Capacités d'intervention des forces de l'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Falorni :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois – que je félicite pour sa nomination récente –, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen de la proposition de loi visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre, présentée par notre collègue Éric Ciotti dans le cadre de la journée réservée au groupe Les Républicains, et qui a été rejetée mardi dernier en commission des lois.

L’auteur et rapporteur de la présente proposition de loi précise que ce texte fait suite aux récentes menaces subies par la France et aux risques d’attentats et d’atteintes à la sûreté de l’État mettant les forces de l’ordre en grande difficulté, celles-ci étant le premier rempart contre la criminalité et la violence terroriste.

Le texte que nous présente M. Ciotti prévoit en premier lieu de renforcer la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée dans des situations dangereuses. Cette disposition, visant à élargir la reconnaissance des cas de légitime défense des forces de l’ordre, avait déjà fait l’objet d’un texte, présenté par M. le rapporteur lui-même et rejeté le 2 avril 2015 dans notre hémicycle.

Nous ne nions pas le souci de renforcer la sécurité des forces de l’ordre compte tenu de la menace terroriste à laquelle elles font actuellement face. L’action des forces de l’ordre est à saluer et à féliciter, et nous ne pouvons que rendre hommage à leur mobilisation, d’autant plus dans le contexte actuel de l’état d’urgence où toutes les forces de sécurité sont mises à contribution afin d’assurer la sécurité de nos concitoyens.

Nous ne nions pas l’existence d’événements dramatiques renforçant le besoin de sécurité et de protection des individus contre les grands délinquants et les terroristes. Nous ne nions pas non plus le recours fréquent aux armes lourdes par ces délinquants et à l’usage du feu fait par ceux-ci.

Mais le dispositif du premier article de la proposition de loi que vous nous présentez, monsieur le rapporteur, est le même qu’en avril dernier. Or, nous avions déjà eu l’occasion d’opposer des critiques en avril, et vous ne serez pas surpris que nous ne changions pas d’analyse maintenant.

Plusieurs conditions, confirmées par une jurisprudence constante, se posent afin de pouvoir parler de légitime défense, et ces conditions s’appliquent également aux forces de l’ordre.

La légitime défense, pour être caractérisée, suppose que le danger soit réel et actuel, que la riposte soit absolument nécessaire et que cette riposte soit proportionnée à la menace. Or le dispositif, tel que vous le présentez, introduit de fait une présomption de légitime défense dans les ripostes faites par les forces de l’ordre.

Il apparaît difficilement concevable de remettre en cause cet équilibre sans remettre en cause la proportionnalité, si difficile à trouver, entre la menace et la riposte.

Pour autant, nous partageons votre constat, monsieur le rapporteur, à savoir que la différence de traitement entre les forces de l’ordre trouve de moins en moins de justifications. En effet, les gendarmes sont des forces militaires qui exercent leurs fonctions essentiellement en milieu rural et assurent la protection des bâtiments publics. Les policiers en revanche exercent leurs missions en milieu urbain. Or il faut admettre, et les récents événements le confirment, que les menaces sont particulièrement fortes en milieu urbain et le régime d’irresponsabilité pénale spécifique dont bénéficient les militaires de la gendarmerie nationale et dont sont exempts les policiers nationaux est difficilement justifiable aujourd’hui.

En ce sens, nous avions déposé, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la légitime défense des policiers, un amendement visant à aligner le principe de proportionnalité entre la défense et l’attaque entre les policiers et les gendarmes. L’annonce de la création d’un groupe de travail, à la demande du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, visant à harmoniser les deux statuts et réunissant les inspections de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des parlementaires de la majorité et de l’opposition était de ce point de vue bienvenue. En effet, il apparaît nécessaire de trouver sur ce sujet un consensus républicain, consensus utile pour les forces de l’ordre et conforme à la confiance exprimée encore récemment par les citoyens dans l’action de celles-ci. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous examinerons le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, adopté hier en conseil des ministres.

Votre texte propose aussi, monsieur le rapporteur, en son article 2, d’étendre les possibilités de contrôle d’identité reconnues aux forces de l’ordre.

Aujourd’hui et en temps normal, le contrôle d’identité opéré par les officiers de la police judiciaire peut intervenir soit à l’initiative des forces de l’ordre, soir sur réquisition du parquet lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction, qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

En ce qui concerne le contrôle d’identité de police administrative, celui-ci peut intervenir pour toute personne et quel que soit son comportement afin de prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.

Si, en période d’état d’urgence, il est possible de trouver une justification à la généralisation des contrôles d’identité des personnes se trouvant sur le territoire national en raison de la menace pesant sur les intérêts fondamentaux et la préservation de l’intégrité de l’État, il convient, hors de cette situation, de renforcer l’efficacité des contrôles d’identité : le projet de loi adopté hier en conseil des ministres prévoit que ces contrôles, décidés sur réquisition du procureur de la République et sous son contrôle, seront étendus à l’inspection visuelle et la fouille des bagages. En outre, les personnes dont le comportement paraîtrait lié à des activités terroristes pourront être retenues, afin que leur situation soit examinée, pendant une durée maximale de quatre heures, nonobstant le fait qu’elles aient présenté des documents d’identité qui peuvent être falsifiés.

Il n’apparaît pas souhaitable d’insérer dans le code de procédure pénale l’extension des possibilités de fouille des véhicules et des bagages par les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie proposée par les articles 3 et 4 de la proposition de loi. Cette possibilité se heurterait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement a d’ailleurs renoncé à inscrire des dispositions similaires dans son projet de loi.

Ces propositions sont d’autant plus contestables qu’elles sont faites la veille de la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation, qui vise à constitutionnaliser le dispositif de l’état d’urgence et conduit à la reconnaissance de prérogatives étendues au bénéfice des forces de l’ordre et des pouvoirs publics pendant la durée d’application de l’état d’urgence.

Monsieur le rapporteur, nous comprenons votre préoccupation, à savoir la protection de nos forces de l’ordre, et nous la partageons, comme nous partageons votre volonté de renforcer la sécurité dans notre pays. Cependant nous différons quant aux solutions à apporter et nous ne pensons pas que le texte que vous nous proposez, en ce qu’il modifie les dispositions législatives du code de procédure pénale, remplisse les objectifs qu’il prétend atteindre. L’examen du projet gouvernemental, plus complet, permettra, j’en suis persuadé, d’adopter de manière consensuelle des dispositions particulièrement adaptées à la nécessité de donner à la police administrative et judiciaire les moyens de lutter contre le terrorisme et de préserver ainsi la sécurité de nos concitoyens.

Vous l’aurez compris, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste ne votera pas cette proposition de loi.

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