Intervention de Cécile Duflot

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 9h30
Protection de la nation — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

De quoi est-il ici question ?

L’article 1er crée un nouvel article 36-1, après l’article 36 sur l’état de siège, qui inscrit dans la Constitution la possibilité de décréter l’état d’urgence. Il reprend la rédaction suggérée par le Conseil d’État. Je l’ai dit, il est curieux d’avoir à étudier une réforme constitutionnelle sur l’état d’urgence lorsqu’on se trouve en état d’urgence.

Dans sa décision du 22 décembre, le Conseil constitutionnel a considéré que cette constitutionnalisation n’était pas indispensable. Je cite le huitième considérant : « La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence ».

Loin d’être une garantie supplémentaire en matière de libertés, comme cela nous a été dit, la constitutionnalisation aurait comme effet utile d’alléger une partie des garanties constitutionnelles, qui seraient alors mises sur le même plan. Comme l’indique le rapport, la constitutionnalisation autorisera une vaste révision des mesures dérogatoires prévues par la loi de 1955.

Selon le Gouvernement, cette constitutionnalisation de l’état d’urgence est nécessaire pour une nouvelle modification de la loi de 1955 qui permettrait la retenue administrative d’une personne perquisitionnée ou autoriserait la saisie administrative d’objets et d’ordinateurs durant les perquisitions administratives.

Il est donc faux d’affirmer, comme cela a été fait avec une légèreté proche de la désinvolture, que le Gouvernement se contente de constitutionnaliser un régime existant. Il vise au contraire à l’alourdir, à l’affranchir des limites constitutionnelles actuelles et à passer par-dessus le pouvoir judiciaire. Il me paraît néfaste de s’engager plus avant dans cette voie.

Des magistrats ont ainsi alerté à raison sur le recul de leurs pouvoirs. On aurait tort de faire peu de cas de leurs alertes.

Dans le même temps, des pouvoirs essentiels ont été transmis aux parquets ou aux préfets. La loi relative à la lutte contre terrorisme de 2014, la loi relative au renseignement ou encore le prochain projet de loi de réforme de la procédure pénale sont des éléments lourds de cette tendance.

L’état d’urgence en est le cas le plus abouti, et certainement le plus grave.

Nous avons également regretté le refus de la commission des lois de prévoir que la loi qui fixera les modalités de l’état d’urgence, non son déclenchement ou sa prolongation, serait une loi organique et non une loi simple. En novembre, lors de la prolongation de l’état d’urgence, nous avons modifié ce régime en toute hâte – en presque 48 heures –, en l’alourdissant de mesures importantes comme le blocage administratif des sites internet, l’extension des possibilités de dissolution d’associations ou le placement sous surveillance électronique des assignés à résidence – je l’avais relevé lors des débats. Ces ajouts ont été faits dans des délais très brefs, pour que le Parlement ne puisse pas pleinement prendre conscience de l’ampleur des changements votés.

Dans le même temps, monsieur le Premier ministre, vous demandiez au Sénat de ne pas saisir le Conseil constitutionnel du texte, évoquant le risque qu’il y avait à le faire. Je regrette que ces propos aient été tenus. Ils dénotent une dérive inquiétante : le Conseil constitutionnel n’est pas un risque ; c’est un garde-fou essentiel de notre vie démocratique.

Dès lors que la loi de 1955 est actualisée et stabilisée, il semble indispensable de garantir que les prochaines réformes se feront dans des délais minimaux satisfaisants – nous parlons de quinze jours – et avec un contrôle systématique de constitutionnalité.

J’en viens maintenant à la question de la déchéance de nationalité. L’article 2 modifie l’article 34 de la Constitution, qui porte sur le domaine de la loi. Cet article 34 prévoit actuellement que la loi fixe notamment les règles concernant la nationalité. L’article 2 du projet de loi initial ajoute qu’il fixerait notamment « les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». C’est, là aussi, une reprise de la rédaction suggérée par le Conseil d’État, afin d’éviter de créer un article uniquement consacré à la déchéance de nationalité dans la Constitution.

Toutefois, je note qu’au sein de l’article 3, la nationalité serait séparée des autres champs du code civil, comme si l’on refaisait un code de la nationalité. Cette rédaction, comme vous l’avez dit, n’est évidemment plus d’actualité.

En la matière, le Gouvernement n’a cessé d’évoluer dans ses rédactions, multipliant hésitations et formulations.

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