Intervention de Cécile Duflot

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 9h30
Protection de la nation — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Au Sénat, une partie de la droite et une partie du centre avaient pourtant approuvé cette mesure, mais le Gouvernement avait finalement accepté le retrait de l’article. Ce que la droite a fait, sur un sujet si fondamental pour notre pays, la gauche n’en serait-elle pas capable ? Il le faut pourtant.

Notre vieille nation à besoin de pondération et d’esprit de concorde pour résister au vent mauvais qui souffle sur tout le continent. Une loi de circonstance, concoctée à la hâte risque de venir altérer la conception que nous avons de l’égalité de tous les Français devant la loi.

On me dit, et l’on dit souvent, que les Français sont majoritairement acquis à l’idée de la déchéance de nationalité. Cette pseudo-majorité puise sa source dans l’écoeurement légitime qui envahit chacun de nous quand nous imaginons que des Français s’en prennent à d’autres Français. On est tenté de se dire que s’ils ont prêté leurs bras meurtriers à la haine c’est qu’au fond, ils n’étaient pas vraiment Français, puisque d’ailleurs ils avaient notre pays en horreur. Alors pourquoi refuser de les déchoir d’une nationalité qu’eux-mêmes récusent violemment ?

Parce qu’à cet instant précis, mes chers collègues, nous emprunterions le chemin de nos ennemis. Notre conception de la nationalité en ressortirait à jamais blessée. Notre vivre ensemble serait marqué à perpétuité par l’esprit de suspicion qui distinguerait les Français en catégories. Inscrire la déchéance dans notre Constitution, c’est au fond laisser l’insensé dire le sens commun, laisser l’aliéné prescrire l’ordonnance, laisser le fanatique décider d’un traitement qui nous empoisonnerait tous. Leur haine ne saurait dicter notre conduite collective.

Tenons la déchéance pour ce qu’elle est, une diversion commode mais inefficace, et attachons-nous plutôt à rebâtir un esprit républicain trop longtemps délaissé. La priorité n’est pas la révision de la Constitution ; c’est la réinvention de la République.

Car la République n’est pas une idée morte. Elle est notre maison commune. Ses fondations sont solides, mais son visage est aujourd’hui défiguré par la montée de l’esprit de sécession, par les divisions, par les communautarismes étouffants. Parce que nous ne disons plus ensemble ce que signifie être Français, nous vivons un temps d’hypertrophie des identités particulières.

Or la République est le régime qui, sans abolir les identités singulières, les transcende en une identité plus haute. Elle est donc plus que jamais d’actualité. La République est une tension vers le commun : elle ne souffre aucun relâchement. La République est un combat qui se mène dans le ciel des idées, mais aussi dans la glaise des conditions matérielles d’existence de nos concitoyennes et concitoyens.

Après janvier 2015, monsieur le Premier ministre, vous aviez eu des mots très forts pour dénoncer les inégalités de condition, parlant même d’apartheid. Au choc des mots a succédé le vide des actes. Pourquoi ? Pourquoi une telle inconsistance des politiques publiques ? Pourquoi des quartiers laissés à l’abandon, qui méritent autre chose que l’éternel mensonge d’une égalité toujours évoquée et jamais mise en actes ?

Que l’on me comprenne bien à cet instant : je ne dis pas un seul instant que le terrorisme est le fruit d’un déterminisme social qui dédouanerait les auteurs de ces crimes odieux de leur fardeau de sang. J’affirme, au contraire, que, dans la guerre de mouvement qui nous oppose aux terroristes semeurs de mort, la question première est de les empêcher d’enrôler les esprits faibles, perdus, ivres d’ignorance et de haine qui les rejoignent. Certains ont dit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre, qu’il n’y avait rien à comprendre. Je veux ici plaider le contraire et affirmer que notre devoir d’élucidation de ce qui nous arrive n’a jamais été si grand. Parce qu’en vérité notre sécurité passe autant par le renforcement de mesures policières que par la déconstruction minutieuse des procédés par lesquels on fabrique un terroriste.

Vous ne pouvez rien contre un gosse de dix-sept ans qui a décidé de poser une bombe quelque part.

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