En fait, vous êtes en train de créer des étrangers dans leur propre pays. Mais les citoyens sont libres et égaux en droit, point barre ! Le président Larcher a d’ailleurs dit le mot de la fin : Il faut arrêter là ! Continuer reviendrait à commettre une forfaiture au regard des principes intangibles du droit du sol. En effet, en quoi l’article 2 consacrant la déchéance de nationalité de citoyens nés français et disposant d’une autre nationalité protège-t-il l’unité de la nation ? Quel État acceptera d’accueillir un citoyen déchu de sa nationalité française au prétexte que nous souhaitons nous en débarrasser et qu’il détient la nationalité du pays ?
Les Français sont de plus en plus nombreux à ne rien comprendre à ce débat dont vous changez les termes tous les quatre matins, quand ce n’est pas au soir de discussions de couloir entre le premier secrétaire du parti socialiste, le président du groupe socialiste à l’Assemblée et les chefs de la droite. Vous êtes en train d’armer une bombe à fragmentations qui créera une fracture avec 3,7 millions de binationaux en France et à l’étranger et vous affaiblissez l’image de la France. Le modèle français est fondé sur le droit du sol et l’égalité. De grâce, n’introduisez pas le ver raciste dans le fruit ! Vous ne servez que Marine Le Pen et tous ceux qui croient que seuls les Français de souche sont de vrais citoyens, des « patriotes », comme elle dit !
Troisième motif : le caractère inconstitutionnel de cette révision. La Constitution n’est pas un texte fourre-tout où l’on range les petites humeurs d’un gouvernement ayant le goût des bottes qui claquent ; c’est un texte que l’on touche avec précaution tant il régit l’ensemble de notre droit. Seule l’énonciation des libertés fondamentales et du fonctionnement des institutions publiques peut le composer. Il est contestable d’y insérer une sanction pénale. Surtout, le temps de la modification constitutionnelle n’est pas celui des circonstances ; c’est un temps plus long qui doit laisser place à la réflexion.
Il faut donc regarder de plus près l’article 89 de la Constitution qui prévoit les circonstances dans lesquelles celle-ci peut être révisée. Cet article a pour objet de limiter l’arbitraire et de s’assurer que l’essence de notre texte fondamental ne soit pas atteinte par des révisions opérées dans la précipitation. Son quatrième alinéa dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Or l’article 412-1 du code pénal définit un attentat comme suit : « Constitue un attentat le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ». C’est précisément pour ce motif que vous avez mis en place un dispositif d’exception. Par conséquent, je soutiens que les conditions de révision de la Constitution ne sont pas réunies, à moins d’en violer l’article 89. Un renvoi en commission est donc nécessaire afin d’examiner si les conditions d’une telle révision sont réunies.
Quatrième motif : l’inefficacité de vos mesures. La formulation vague des mesures d’urgence et l’absence de toute autorisation judiciaire préalable ont entraîné une application excessive, dépassant la stricte proportionnalité requise par la situation. D’après les statistiques officielles, les autorités ont procédé à 3 242 perquisitions entre le 14 novembre 2015 et le 29 janvier 2016. Quatre perquisitions ont abouti à l’ouverture d’une enquête pénale pour une infraction effectivement liée au terrorisme selon le droit français. De même, l’inefficacité de l’article 2 du projet de loi est patente. Quel djihadiste peut être convaincu de s’arrêter dans sa folie meurtrière par peur d’être déchu de sa nationalité ?