Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 9h30
Protection de la nation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante, écrivait Montesquieu, et bien sûr à la loi constitutionnelle, il ne faut toucher qu’après mûre réflexion et délibération. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre Constitution prévoit que pour la modifier, une majorité qualifiée des trois cinquièmes est requise, majorité qui bien souvent ne peut être réunie que par-delà les clivages politiques habituels.

Réviser la Constitution est un acte exceptionnel dans la vie politique de notre pays. C’est aujourd’hui une circonstance inédite, exceptionnelle, dramatique qui nous conduit à examiner le projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez, monsieur le Premier ministre.

Les attentats qui ont meurtri la France ont conduit à décréter l’état d’urgence, pour la première fois d’ailleurs dans de telles circonstances. Ils nous ont conduits à constater la nécessité d’inclure l’état d’urgence dans le bloc constitutionnel. L’état d’urgence présente en effet la curieuse caractéristique d’être hélas régulièrement utilisé, sans être sécurisé sur le plan juridique.

L’article 1er est pour nous la seule véritable raison d’être de la révision constitutionnelle. Seul l’article 1er répond à cette nécessité sous le double effet d’une loi relative à l’état d’urgence adoptée antérieurement à notre Constitution, ce qui crée une insécurité juridique, et, depuis 2008, de la possibilité ouverte d’invoquer cette insécurité juridique à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Nous souhaitons que l’état d’urgence puisse être constitutionnalisé. Il peut arriver, dans l’histoire, qu’il soit nécessaire de donner des moyens exceptionnels, temporaires, à l’État, au gouvernement lorsqu’un drame frappe le pays et exige une réaction forte et rapide. Face au terrorisme, le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison de décréter l’état d’urgence, que le Parlement a ensuite prorogé.

Nous avions dès alors dit qu’il nous faudrait inscrire dans notre droit, hors état d’urgence, que des moyens exceptionnels devaient pouvoir permettre de faire face à une telle menace. En effet, si la menace est d’une gravité exceptionnelle, elle n’est hélas pas temporaire. Et ce n’est pas en vivant sous un état d’urgence permanent que nous pourrions y faire face.

C’est la raison pour laquelle, avec le président Vigier, qui préside notre groupe à l’Assemblée nationale et le président Zocchetto, qui préside le groupe UDI-UC au Sénat, nous vous avions dit, monsieur le Premier ministre ainsi qu’au Président de la République, qu’il fallait prolonger l’état d’urgence jusqu’à l’adoption de futures lois. Ce devrait être chose faite avant la fin de la session, et cela nous paraît être la voie la plus raisonnable.

Si nous souhaitons tous ici faire entrer l’état d’urgence dans le bloc constitutionnel, c’est d’abord pour l’encadrer, monsieur le Premier ministre, afin d’éviter toute dérive car des gouvernements moins précautionneux à l’égard des libertés publiques pourraient un jour en faire un mauvais usage.

Celui qui est aujourd’hui garde des sceaux et qui était jusqu’à il y a peu président de notre commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, et le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, ont innové lors de l’institution de l’état d’urgence, faisant en sorte de garantir un véritable contrôle parlementaire. Pour ce faire, ne le cachons pas, ils ont eu besoin que le Gouvernement en soit d’accord. Le travail réalisé ici par Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson, le travail aujourd’hui fait en notre nom pour vérifier que l’État, le Gouvernement n’abusent pas des pouvoirs qui leur ont été confiés, ne va pas de soi : il n’est pas prévu aujourd’hui dans notre droit.

Une autre majorité pourrait parfaitement recourir un jour à l’état d’urgence sans contrôle parlementaire, à des fins qui mettraient en péril notre système démocratique. Notre devoir de constituant, chers collègues, est d’aller au-delà des circonstances et de la majorité actuelles. Car toute modification de la Constitution reste pour longtemps gravée dans le marbre. Nous devons garantir aux Français que l’état d’urgence ne pourra jamais être utilisé pour attenter aux équilibres démocratiques auxquels nous sommes tous attachés.

À cet effet, le groupe UDI souhaite que trois verrous soient prévus afin de garantir que l’état d’urgence sera utilisé pour protéger les Français, et non un jour restreindre leurs libertés ou limiter notre système démocratique. Le premier de ces verrous consiste en un contrôle parlementaire automatique, ne dépendant ni de la majorité à un moment donné, ni de l’accord du gouvernement alors en place, qui pourrait vouloir abuser de ses pouvoirs. Dans la rédaction retenue par la commission, même si ce n’est pas le texte que nous examinons, ce contrôle automatique est insuffisamment assuré. Il est simplement dit que le contrôle du Parlement est de droit, mais cela figure déjà dans la Constitution.

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