Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 9h30
Protection de la nation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

… afin de permettre au moins d’adopter la constitutionnalisation de l’état d’urgence, qui représente une garantie pour les libertés publiques des Français.

S’agissant de cet article 2 relatif à la déchéance de la nationalité, il ne nous paraît pas indispensable de l’inscrire dans la loi fondamentale. La loi suffit : la déchéance existe, même si, et nous le regrettons profondément, elle crée une inégalité entre Français. On peut être déchu de sa nationalité, en fonction non du crime qu’on a commis, mais de son hérédité, de la nationalité de ses parents. Cette inégalité, nous la refusons absolument.

Si nous débattons de la déchéance de la nationalité, c’est parce que le 16 novembre dernier, le Président de la République a affirmé sa volonté de sortir de notre famille nationale ceux qui commettent un crime contre la Nation. Vous-même, monsieur le Premier ministre, avez souligné la rareté et le caractère essentiellement symbolique d’une telle mesure.

Nous sommes majoritairement d’accord pour dire que ceux qui combattent la France, qui renient toutes les valeurs qui ont fait notre nation, qui rejettent ce qui fait notre envie et notre fierté d’être français, ne peuvent être considérés comme des membres de la nation française. La nation française, ce n’est pas d’abord une émotion, comme le disait le garde des sceaux, c’est d’abord une volonté, un attachement, une adhésion, un partage des valeurs communes qui ont façonné notre histoire depuis la Révolution.

Nous savons le caractère symbolique de la déchéance de nationalité, mais un peuple vit aussi de symboles. Le drapeau tricolore, l’hymne national, la devise nationale sont autant de symboles qui nous permettent de nous rattacher à la Nation, quels que soient nos divergences et nos désaccords. La déchéance prévue dans le texte de loi n’est pas une idée neuve dans notre histoire ni notre législation. Elle n’est ni de gauche, ni de droite, ni du centre.

À plusieurs reprises, elle a été utilisée par la République, contrairement à ce que j’ai pu entendre lors de la défense des motions de procédure. Les premières Constitutions de notre République l’avaient prévue pour faire sortir de la Nation ceux qui combattaient la République, c’est-à-dire précisément l’outil en train de façonner l’idée nationale ; pour en faire sortir également ceux qui pratiquaient l’esclavage, c’est-à-dire ceux qui ne partageaient pas la conception fondatrice de notre nation, à savoir les droits de l’homme et du citoyen.

Oui, la déchéance est possible, elle est républicaine, notamment lorsqu’il s’agit de combattre ceux qui rejettent les valeurs fondamentales de la République. Mais le chemin que vous empruntez, monsieur le Premier ministre, nous paraît accidenté et incertain.

Dans la première version de l’article 2, vous prévoyiez que seuls les crimes – et sur cela, nous étions d’accord – pouvaient conduire à une déchéance de nationalité, mais cela ne pouvait concerner que des binationaux, c’est-à-dire des personnes qui, n’ayant pas de parents ou de grands-parents français, se voient infliger – en étant même parfois affligés – une double nationalité dont ils ne peuvent pas nécessairement se défaire. Ils seraient ainsi pris en otage en raison de leur naissance, au moment où la loi s’appliquerait à eux.

Ni dans la loi fondamentale, ni dans la loi ordinaire, ni même dans les conventions internationales que vous nous inviterez à ratifier, nous ne voulons voir figurer de différences entre les Français. C’est contraire à notre vision du citoyen français. Quand on devient français, on le devient totalement, pleinement, entièrement, pas provisoirement, pas sous conditions, pas avec une clause de révision !

On juge quelqu’un pour ce qu’il fait, pour le crime qu’il a commis. On ne le juge pas en fonction de son hérédité, de ses parents, de son origine. C’est un principe fondamental de la République. Et pour nous, il n’est pas question d’y déroger, ni dans la loi fondamentale, ni dans d’autres lois, car il n’y a qu’une seule catégorie de Français.

Dans la deuxième version de cet article 2, vous avez prévu que tous les Français pourraient être déchus de leur nationalité, mais cette fois aussi bien pour des crimes que des délits. Nous ne sommes pas d’accord sur le fait qu’un délit pourrait conduire à la déchéance – nous en débattrons dans la suite de la discussion. Selon nous, seul le crime contre la Nation peut être sanctionné par une peine symbolique d’une gravité exceptionnelle.

Vous avez indiqué devant la commission des lois, monsieur le Premier ministre, que la loi ne devait pas opérer de distinction entre les Français, nous ne pouvons que vous approuver sur ce point, et que vous nous inviterez à ratifier la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Mais vous avez ajouté que dans la loi ordinaire, il serait prévu de ne pas créer d’apatrides. Et là, monsieur le Premier ministre, plus personne ne s’y retrouve !

À l’initiative du général de Gaulle, la convention de 1961 prévoit qu’un individu ayant porté gravement atteinte à la Nation puisse être déchu, qu’il soit mononational ou binational.

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