En définitive, l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution relève moins de l’argument juridique que de l’opportunité politique.
Venons-en maintenant au feuilleton à rebondissements de la déchéance de nationalité. Les multiples volte-face de l’exécutif sur une nouvelle rédaction de notre norme suprême nous obligent à rappeler l’intention initiale de l’exécutif, indispensable pour appréhender tout l’esprit de cet article 2. Cet article, tel qu’il vient en discussion, et conformément à l’annonce faite par le Président de la République au Congrès de Versailles, prévoit la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme.
Ce dispositif qui opère une distinction entre deux catégories de Français symbolise la division de la communauté nationale si chère à l’extrême droite et aux islamistes qui ne croient pas dans notre capacité à vivre ensemble, dans notre unité par-delà une diversité de cultures, de croyances ou d’origines.
Dans l’amendement gouvernemental, présenté la semaine dernière, les binationaux n’apparaissent plus en tant que tels. Pour autant, en pratique, ils restent les seuls concernés par la déchéance de la nationalité. En effet, dans l’avant-projet de loi du même nom, il est prévu que cette peine ne peut avoir pour effet de rendre la personne condamnée apatride. Cela est d’ailleurs conforme à votre déclaration, monsieur le Premier ministre, du 6 janvier dernier, dans laquelle vous repoussiez l’idée de créer des apatrides.
Ce subterfuge ne change pourtant rien au fond : l’esprit de cet article, à défaut de sa lettre, distingue deux catégories de Français. Les oppositions à cette inégalité fondamentale sont si larges et si nombreuses que l’exécutif a continué de s’enfoncer dans l’embrouillamini qu’il a lui-même créé – « seul, comme un grand », pourrait-on dire.
D’où la dernière écriture, avant-hier, de cet amphigouri : le Gouvernement renoncerait, dans une énième contorsion, à faire figurer l’interdiction de l’apatridie dans le projet de loi portant réforme de la déchéance de la nationalité. En résumé, il s’agit de mettre en place la « déchéance pour tous ».