Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 9h30
Protection de la nation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Et pourquoi d’ailleurs assumer une telle responsabilité ? La proposition n’a aucun intérêt ni en droit ni en pratique. Quel serait, en effet, le sens de cette peine ? Ni de dissuader le djihadiste fanatique de passer à l’acte, ni de punir le bourreau qui pourra brandir sa déchéance comme un trophée. En définitive, cette mesure est tout aussi inopportune qu’inefficace, quelle que soit d’ailleurs la version finale qui sera retenue.

On ne bricole pas avec la Constitution, quand le contexte exige fermeté, détermination et exemplarité. L’efficacité doit être notre premier objectif, tant la menace terroriste reste prégnante.

Les terroristes agissent aujourd’hui au nom de Daech. Il faut donc d’abord s’en prendre à cette organisation terroriste qui parvient à recruter ses kamikazes chez nos concitoyens. Daech n’est pas un phénomène spontané. Daech a une histoire, une histoire dont les racines ont proliféré dans la situation de chaos provoquée par les interventions occidentales au Moyen-Orient.

Nous devons mesurer les conséquences des guerres globales contre le terrorisme sur le recrutement de ces terroristes, autrement dit sur le terreau qui alimente cette armée. Cela signifie que la seule riposte militaire ne peut suffire. Il faut à la France une stratégie politique visant au retour de la paix et au développement de toute la région.

Il faut également bâtir des stratégies pour terrasser notre ennemi en asséchant ses mannes financières colossales. Nous devons enfin remettre en cause les compromis passés avec les puissances fondamentalistes de la région au prétexte qu’elles sont libérales économiquement.

Je le dis avec gravité : nous ne serons pas en mesure d’offrir la sécurité légitime à laquelle notre peuple aspire sans résoudre ces questions qui vont bien au-delà de nos frontières.

À l’intérieur de nos frontières, il y a urgence aussi à mettre en place des réformes efficaces, d’abord pour nous permettre d’empêcher de nouveaux recrutements parmi les enfants de notre République. La déradicalisation est une chose indispensable sur le court terme. Empêcher la radicalisation l’est encore plus sur le moyen terme.

Cela fait froid dans le dos, mais c’est une réalité : la France est aujourd’hui l’un des premiers pays fournisseurs de djihadistes. Les violences de jeunes Français qui tuent aveuglément et prennent pour cible des citoyens désarmés sont en effet le symptôme d’un système économique toujours plus inégalitaire, le symptôme d’un système social discriminant, le symptôme d’un système démocratique en ruine ; un système qui livre aux idéologues fanatiques et criminels des esprits fragiles, des relégués sociaux qui ont la folie de croire qu’ils vont donner un sens à leur existence.

Il nous faut donc actionner tous les leviers, de l’école au monde du travail, en passant par la culture et l’éducation populaire pour ne plus fournir de chair à canon à Daech.

De même, nous appelons le Gouvernement à se donner les moyens humains et financiers de remplir ses missions régaliennes. La défense, la police, la justice, l’école, la santé, nul ne doit être démuni.

Dans ce cadre, il convient de repenser l’organisation de la lutte contre le terrorisme car, malgré le courage de nos forces de police, des dysfonctionnements majeurs sont apparus dans nos dispositifs de renseignement, de surveillance et de répression des terroristes. La fusion, décidée par Nicolas Sarkozy, de la direction de la surveillance du territoire avec les Renseignements généraux a eu des effets dévastateurs. Comme le souligne Marc Trévidic, ancien juge d’instruction au pôle antiterroriste, nous y avons « beaucoup perdu, notamment en termes de renseignement local et de maillage du territoire. […] La question est de savoir comment ce qui est récolté par les renseignements va pouvoir être utilisé par le judiciaire. »

À l’ensemble de ces mesures de fond qui s’inscrivent sur le long terme, vous avez privilégié le spectaculaire, même si, monsieur le ministre, vous trouvez le mot excessif : l’affichage politique d’une réforme constitutionnelle effaçant l’exigence d’efficacité et de dissuasion. « À force de sacrifier l’essentiel, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »

Pour conclure, nos concitoyens n’ont rien à gagner et les terroristes rien à craindre de cette réforme constitutionnelle, symbole d’une République du repli, de la peur et du rejet, d’une République qui s’abaisse plutôt que de grandir.

Parce que nous sommes respectueux de notre norme juridique suprême, porteuse de valeurs fondamentales non négociables, mais aussi par honnêteté envers nos concitoyens qui aspirent à un État protecteur, c’est en toute responsabilité que nous voterons résolument contre cette modification de notre Constitution.

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