Intervention de Audrey Azoulay

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 21h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Article 1er ter

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Pour commencer, je me réjouis que cette disposition soit discutée ce soir devant vous, dans une proposition de loi sur l’indépendance des médias. C’est un grand moment de ce quinquennat, qui était très attendu. Ainsi que vous l’avez rappelé, elle a fait l’objet de positions transpartisanes. C’est donc une fierté pour les pouvoirs publics en général. Je souhaite y associer le Gouvernement à travers le présent amendement, très proche de ce que vous avez prévu mais qui prévoit certains ajustements que je vais vous présenter pour tenter de vous convaincre.

Je salue aussi le travail de la commission des affaires culturelles, qui a pris l’initiative d’inscrire cette disposition dans la proposition de loi.

Je vais d’abord vous présenter les lacunes de la loi de 2010 sur la protection du secret des sources des journalistes. Nous avons tous identifié ces lacunes, que je citerai rapidement : le fait de ne pas couvrir suffisamment le recel de violation du secret de l’instruction ; le fait de n’accorder la garantie du secret qu’aux seuls journalistes et non à toute la chaîne de production de l’information ; le flou qui accompagne la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public », cette notion mal définie permettant une appréciation assez large de la possibilité de porter atteinte au secret des sources des journalistes, avec comme seul garde-fou, a posteriori, une annulation de la procédure par le juge judiciaire à l’issue d’une procédure qui peut être longue.

Depuis le début de cette législature, vous avez beaucoup travaillé pour améliorer ces dispositions. C’est le cas aussi de la chancellerie, de mon ministère et de l’ensemble du Gouvernement, qui a cherché à trouver le juste équilibre. L’amendement que je vous présente en son nom est le fruit de ce travail commun.

Je souhaite également saluer Marie-Anne Chapdelaine, qui a rapporté la projet de loi de 2013 devant la commission des lois, ainsi que Michel Pouzol et, bien sûr, Patrick Bloche, qui ont contribué à enrichir le texte lors de son examen par la commission des affaires culturelles.

Ce travail commun permet aujourd’hui de déposer, au nom du Gouvernement, cet amendement que je vous présente brièvement car nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion qui va suivre.

Premier sujet : élargir le bénéfice du secret des sources à tous ceux qui concourent à la recherche de l’information. Cela a été dit, je n’y reviens pas.

Deuxième préoccupation : interdire qu’un journaliste soit condamné pour délit de recel. C’est très important. L’amendement apporte une précision sur ce sujet : cette garantie concerne tous les éléments que le journaliste détient, quel qu’en soit le support, ce qui permet de couvrir le cas où il a stocké des données sur un serveur distant ou chez un hébergeur de données, comme le souhaite la commission des affaires culturelles.

Troisième sujet, certes procédural mais en réalité majeur : la garantie que les éventuelles atteintes à la protection des sources, quand elles sont justifiées au regard de la loi, soient soumises à l’autorisation préalable d’un juge. La nouvelle rédaction de l’article 2 de la loi de 1881 précise donc que, dans le cadre d’une enquête de police ou d’une instruction, aucune mesure ne pourra être prise qui porte atteinte au secret des sources sans la décision préalable d’un juge, dans les conditions précisées par le code de procédure pénale qu’il est par ailleurs prévu de compléter sur ce point.

L’amendement du Gouvernement précise ainsi qu’à peine de nullité, tout acte tendant à porter atteinte au secret des sources devra être préalablement autorisé par une ordonnance spécialement motivée du juge des libertés et de la détention. Cette règle s’appliquera à tous les actes de l’enquête judiciaire ou de l’instruction, comme des écoutes téléphoniques, des réquisitions aux fins d’obtenir les facturations téléphoniques détaillées ou des perquisitions. C’est une avancée déterminante par rapport à la loi en vigueur.

Quatrième avancée : l’amendement définit de façon plus précise et limitative les cas exceptionnels dans lesquels il pourrait être porté atteinte au secret des sources. Ces atteintes ne seront possibles que si cette mesure a pour objet de prévenir ou de réprimer la commission de crimes ou de délits limitativement visés parmi les plus graves de notre code pénal. Le choix d’inclure dans ces infractions les délits prévus au titre I et au titre II du livre IV du code pénal est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les « impératifs prépondérants d’intérêt public » et aux recommandations formulées par le Conseil d’État lorsqu’il avait été consulté sur le projet de loi de 2013 auquel vous faisiez référence.

La particulière gravité des infractions commises est quantifiée par les peines de prison encourues. Cette solution avait été proposée par la commission des lois dans le cadre de l’examen du projet de loi. L’amendement du Gouvernement a retenu comme mesure de la gravité une peine homogène de 7 ans de prison. En outre, aucune atteinte au secret des sources ne pourra être effectuée sans qu’en soient, au préalable, appréciées la stricte nécessité et la proportionnalité, en fonction de la gravité des faits, des circonstances de préparation ou de commission de l’infraction, du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause.

Enfin, cinquième point, tout aussi important : le texte modifie le code pénal pour introduire l’atteinte au secret des sources comme circonstance aggravante de plusieurs infractions existantes. C’est le cas pour les violations de domicile, l’atteinte au secret des correspondances, l’intrusion et la dégradation d’un système de traitement de données, qui feront donc l’objet de peines aggravées lorsqu’elles auront été commises dans le but de porter atteinte au secret des sources de façon injustifiée. Les peines seront même plus lourdes lorsque ces infractions seront commises par le représentant d’une autorité publique.

Pour toutes ces avancées, et sans préjuger de la discussion que nous allons avoir, je vous propose, mesdames et messieurs les députés, d’adopter l’amendement no 64 du Gouvernement.

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