C’est en tout cas le but de ma plaidoirie.
Ce texte doit rassembler, disais-je, d’abord parce qu’il fait consensus entre les deux chambres, ensuite parce qu’il correspond à une évolution souhaitée par tous et que votre assemblée a déjà adopté les dispositions qu’il contient, non seulement le 4 juin 2013, mais aussi le 3 juin 1998 et le 6 octobre 1998. Il doit également rassembler parce qu’il vient mettre le droit en conformité avec une pratique suivie par tous les gardes des sceaux depuis 2009 et enfin parce qu’il s’inscrit dans une certaine vision de la justice.
De fait, ce point fait consensus. Il y a trois ans, le 14 mars 2013, le Gouvernement déposait un projet de loi portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature – CSM. Sa vocation était de renforcer les pouvoirs de cette instance en la mettant à l’abri de toutes les interventions politiques, tant en ce qui concerne sa composition que son fonctionnement. L’article 1er de ce texte revenait sur la composition du CSM, afin que les magistrats y soient majoritaires. Cela marquait une différence avec la révision constitutionnelle de 2008. L’article 2, lui, prévoyait que la nomination de l’ensemble des magistrats du parquet, y compris des procureurs généraux, soit subordonnée à l’avis conforme du Conseil.
Deux mois plus tard, votre commission des lois, sous la responsabilité éclairée de son rapporteur Dominique Raimbourg, modifiait substantiellement le contenu de ce texte. Celui qu’elle adoptait le 22 mai fit en effet évoluer la composition du CSM, pour établir une parité entre magistrats et personnalités extérieures. Parallèlement, la commission des lois amendait les modes de désignation de ces dernières et ajustait quelques-unes des attributions du CSM. Mais l’article aux termes duquel les magistrats du parquet devaient faire l’objet d’une nomination avec avis conforme fut maintenu en l’état. Lors des débats en séance dans cet hémicycle, d’abord le 28 mai 2013, puis lors du vote solennel le 4 juin, ce même article fut à chaque fois adopté.
Lors de son examen par le Sénat, d’abord en commission le 19 juin, puis en séance publique les 3 et 4 juillet, les débats furent tout aussi riches ; et naturellement, l’écriture du texte s’en trouva à nouveau modifiée. Ainsi, toutes les dispositions relatives à la composition du CSM furent rejetées. Mais aucun changement ne vint altérer la volonté affichée par le Gouvernement en matière de nomination du parquet. Bref, à aucun moment, dans aucune des deux chambres, l’avis conforme ne fut remis en question.
Cependant le Gouvernement, constatant l’écart entre les ambitions initiales et les textes adoptés par les deux assemblées, décida de suspendre le parcours législatif du projet de loi. C’est dans ce cadre que j’avais déclaré – puisque l’on a souvent rappelé ces propos – que, dans la mesure où le texte était vidé de « son coeur », c’est-à-dire la modification du CSM, je comprenais, en tant que président de la commission des lois, l’attitude du Gouvernement. La confrontation sur la composition du CSM paraissait indépassable, la déception était forte, le projet de loi était suspendu.
Pourquoi, dès lors, vous en saisir à nouveau trois ans plus tard ? Parce que, dans tous les débats, que vous avez sans doute relus et que j’ai brièvement rappelés, l’ensemble des orateurs ont souligné que cette disposition représentait une « avancée essentielle » ; parce que dans tous les débats, l’ensemble des orateurs ont souligné qu’elle était un point de consensus – non pas de compromis, mais de consensus, autrement dit de rassemblement.
Une telle évolution, c’est le deuxième point de mon propos, est donc largement souhaitée. Les magistrats du parquet, que vous connaissez et rencontrez, vivent leur métier avec passion ; mais, comme le procureur général Jean-Louis Nadal l’écrivait dans son rapport remis à Christiane Taubira en novembre 2013, « ils ressentent un malaise devenu insupportable face aux critiques sur l’ambiguïté de leur statut ». Membres de l’autorité judiciaire en vertu de la Constitution, chargés par la loi de veiller au respect des droits et libertés des justiciables, ils réclament régulièrement la reprise de la procédure de révision constitutionnelle. Relisez l’ensemble des communiqués et des conférences des procureurs, y compris généraux : vous y trouverez la trace de ce souhait.
Cette évolution est aussi largement souhaitée par bien des responsables des formations politiques représentées sur les bancs de votre hémicycle. Le président Roger-Gérard Schwartzenberg, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 13 décembre 2011, écrivait ainsi, en parlant du parquet : « l’exécutif ne pourra plus procéder aux nominations n’ayant pas reçu un avis favorable du CSM ».
Lors de ses derniers voeux aux hautes juridictions le 13 janvier 2012, le président Nicolas Sarkozy, pour sa part, indiquait vouloir dorénavant demander « au Conseil supérieur de la magistrature de rendre un avis conforme pour la nomination des magistrats du parquet, comme c’est le cas avec la nomination des magistrats du siège ».
Éric Ciotti, dans une proposition de loi datant du 5 mai 2014, préconisait une « nouvelle étape » en soumettant « les nominations au parquet à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ». Plus récemment encore, Georges Fenech, répondant aux questions du quotidien L’Opinion du 3 juin 2015, estimait que cette « réforme du Conseil supérieur de la magistrature paraît aller dans le bon sens ».
Chacun d’entre vous pourra lire aussi les déclarations d’Alain Juppé qui, page 155 de son livre Pour un État fort, écrit : « Il faut à mon sens inscrire cette pratique dans la loi pour que nul n’ait de doute sur les conditions d’indépendance dans lesquelles sont nommés les membres du parquet » – propos qu’il réitère d’ailleurs à la page 229. Je pourrais même ajouter une phrase du livre Faire de François Fillon, qui, page 190, proclame – même si la justice n’occupe pas l’essentiel de l’ouvrage – que l’« indépendance [du parquet] doit être renforcée à l’égard du pouvoir », sans toutefois préciser les modalités de cette indépendance.
Cette convergence de vues ne doit d’ailleurs pas surprendre. Le 3 juin 1998, lors du vote solennel qui engageait l’Assemblée nationale, bien des députés RPR avaient alors voté la disposition dont nous parlons : Bernard Accoyer, Gilles Carrez, Patrick Devedjian, Thierry Mariani, Patrick Ollier, François Vannson, Jean-Luc Reitzer, Marie-Jo Zimmermann, Jean-Luc Warsmann, André Schneider et même Christian Jacob… Ils étaient quatre-vingt-trois députés du groupe RPR, à l’époque, à approuver le texte ; seuls dix s’étaient prononcés contre et cinq s’étaient abstenus.
Pourtant, depuis que le projet de loi a été réinscrit à l’ordre du jour, j’entends dire que ces prises de position ou ces votes seraient à contextualiser, et qu’ils tiendraient à d’autres éléments, absents du texte ici proposé. Je peine à comprendre ces tentatives d’amodiation. Par exemple, je ne crois pas à la pertinence de l’idée selon laquelle cette réforme, si elle va dans le bon sens, reste insuffisante pour endiguer le réflexe corporatiste qui existerait au sein de la magistrature. Cet argument ne tient pas, dans la mesure où, en 2008, la révision du CSM était déjà motivée par cette crainte même. « Toutes les critiques sur le corporatisme vont disparaître », avait alors déclaré Rachida Dati devant la commission des lois le 30 avril 2008.
L’argument est d’ailleurs constant puisque, dès 1958, le rapporteur du projet de Constitution, Paul Coste-Floret, déclarait en présentant son texte devant l’Assemblée nationale : « [la] composition [du CSM] se tient à égale distance d’une subordination de la magistrature à l’Assemblée nationale et d’une inadmissible composition corporative du Conseil, [ce qui] paraît devoir donner toute satisfaction et réaliser le but à atteindre » – entendons, éviter le corporatisme. Le Constituant, dans la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, n’avait pas dit autre chose, non plus qu’Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux du gouvernement de Lionel Jospin, en 1998.
Reste que, actuellement, le CSM bénéficie d’une composition pluraliste, « les membres extérieurs à la magistrature acquérant une place prépondérante », écrit Jean-Luc Warsmann dans son rapport du 15 mai 2008 ; et personne, aujourd’hui, ne propose de revenir sur cette composition. Comment, dès lors, craindre un « corporatisme » que l’on jugeait hier impossible ?
Un certain nombre de députés expliquent que leur hostilité au texte actuel doit sa cohérence à leur souhait de voir interdire, dans le même temps, la syndicalisation des magistrats. J’imagine que leur but est de lutter contre ce que le président Bernard Accoyer appelle les « magistrats hautement politisés ».