Au cours des débats, j’ai pu entendre dire que certaines personnes prostituées souhaitaient l’être et qu’il s’agit d’une liberté sexuelle comme une autre, mais regardons les faits : 80 % à 90 % des personnes prostituées sont aujourd’hui des femmes et des hommes d’origine étrangère victimes de la traite des êtres humains. Une partie d’entre elles sont également sous la coupe de proxénètes.
La liberté, dans la prostitution, est du côté du réseau, du proxénète, et un tel marché se révèle très lucratif. D’après une étude réalisée en 2001 par l’agence Interpol, le revenu moyen d’un proxénète provenant d’une seule personne prostituée s’élèverait à environ 110 000 euros par an. La liberté est aussi du côté du client : il choisit la femme, le lieu, les pratiques – l’humiliation et les violences, si cela lui chante. Il lui reviendrait ce droit séculaire, appelé autrefois « droit de cuissage », « devoir conjugal » ou « repos du guerrier », dont les femmes n’auraient toujours pas fini de s’émanciper.
Le consentement de quelques-uns ou de quelques-unes n’est pas un argument irréfragable. Ne pas recourir à la prostitution est une question d’éthique et une question sociale. Il faut donc déplacer l’angle de vue et décoder ce que la prostitution donne à voir de la place des femmes dans notre société. À l’heure où nous cherchons à faire évoluer les représentations véhiculées sur les femmes et les hommes, je crois important de rappeler que l’égalité réelle entre les femmes et les hommes demeurera illusoire tant que des hommes pourront vendre, louer et acheter le corps des femmes.
La prostitution transforme le corps des femmes en réceptacle d’une virilité aux besoins prétendument irrépressibles. Elle assigne à une fraction de l’humanité la tâche d’être l’exutoire de la sexualité d’une autre fraction. Comment admettre l’idée que des femmes seraient chargées, comme on l’a si souvent entendu, de réguler les déviants pour protéger la sécurité des autres femmes ?
Tolérer l’achat de services sexuels, c’est continuer à nourrir dans l’esprit des hommes l’idée que le corps des femmes est à leur disposition. Qui d’entre vous, mesdames, n’a jamais été interpellée par un : « C’est combien ? » lancé par un conducteur qui avait ralenti à votre hauteur alors que vous sortiez de la boulangerie ?
La soumission de la sexualité des femmes par la prostitution est inscrite dans l’histoire de la domination masculine. Permettez-moi de vous en donner une version littéraire : celle de Théophile Gautier, selon lequel « la prostitution est l’état ordinaire de la femme ». Car dans une société où le corps des femmes s’achète, toutes les femmes sont vues comme potentiellement disponibles pour rendre un service sexuel. Une telle conception nourrit le harcèlement de rue, la déstabilisation quotidienne des femmes, le droit pour tous les hommes de voir en chacune de nous des femmes dont le corps pourrait être acheté, loué, vendu.
Pendant des siècles, la sexualité et le désir des femmes ont été niés. Les femmes n’étaient que les objets du désir des hommes. Nous nous sommes battues pour faire admettre que les femmes ont une sexualité fondée, elle aussi, sur le désir et sur le plaisir. Ce n’est que depuis peu que l’on reconnaît le désir ou l’absence de désir, parfois, le plaisir ou l’absence de plaisir, parfois aussi, des femmes.