C’est vrai, aussi bien au sein de nos assemblées que des différentes sensibilités politiques qui les composent. Je remercie d’ailleurs René Dosière et l’ensemble de ses collègues d’avoir bien voulu me confier la responsabilité d’être rapporteur de ce texte. Là encore, il n’est pas commun qu’un groupe politique de cette assemblée désigne un rapporteur d’un autre groupe. Je vous remercie de cette marque de confiance.
C’est pour moi une journée particulière, après un cheminement engagé de longue date. C’est le 31 août 2009, en tant que président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, que j’avais prononcé, devant son Congrès, une déclaration de politique générale annonçant la création d’une autorité de la concurrence et l’application de ce que l’on a appelé une loi anti-trust. Ce chemin, engagé il y a sept ans, va trouver sa fin aujourd’hui. C’est vous dire à quel point cette journée revêt une importance particulière, pour moi et pour la Nouvelle-Calédonie.
Bien sûr, cela n’a pas été un chemin de roses. Il y a dans nos petites îles des lobbies politiques, économiques ou financiers extrêmement puissants, qui ne sont pas particulièrement désireux de mettre en place des dispositifs destinés à favoriser la concurrence. Malgré tout, nous avons réussi à progresser, notamment dans le cadre d’une loi du pays, le 24 octobre 2013, laquelle a fixé le dispositif anti-concentration et a modernisé en profondeur notre droit de la concurrence.
Cette loi prévoit des mécanismes qui existent à l’échelle nationale, mais pas dans les DOM. Ils y auraient pourtant leur pertinence, notamment pour contrôler les opérations de concentration dans certains secteurs. S’agissant de la croissance externe, une autorisation doit être sollicitée dès lors qu’une opération d’acquisition d’une société par une autre dépasse 5 millions d’euros – montant correspondant au chiffre d’affaires cumulé des deux sociétés. Dans le cas des opérations de croissance interne, toute surface commerciale nouvelle supérieure à 350 mètres carrés doit aussi faire l’objet d’une autorisation.
L’objectif global poursuivit par la loi est qu’à terme aucune entreprise ni aucun groupe ne puisse détenir plus de 25 % des parts de marché d’un secteur, de façon qu’une concurrence puisse s’exercer a minima. Cela est indispensable pour favoriser la compétitivité de l’économie, mais également pour bénéficier de prix moins élevés qu’actuellement.
Je rappelle qu’en Nouvelle-Calédonie les prix sont en moyenne deux fois plus élevés que dans l’hexagone. L’indice Big Mac, que je me plais souvent à citer, mesure le prix de ce Big Mac – élément de référence s’il en est, puisque les produits sont hypernormés – dans soixante-cinq pays à l’échelle mondiale. Et la Nouvelle-Calédonie a le cinquième Big Mac le plus cher de la planète ! Un titre de gloire dont nous nous passerions volontiers...
Le niveau de concentration est extrêmement élevé dans la distribution alimentaire, où deux groupes se partagent 80 % des parts de marché, tout comme dans le secteur automobile. Plus d’1 milliard d’euros est ainsi concentré dans quelques mains, ce qui ne favorise pas des niveaux de prix compatibles avec les revenus des habitants.
Après l’adoption du texte par le Congrès de Nouvelle-Calédonie, il a fallu mettre en place l’autorité de la concurrence. À la fin de l’année 2012, un comité des signataires a décidé, de manière unanime, sous l’autorité du Premier ministre, que la Nouvelle-Calédonie devait être dotée de la compétence nécessaire pour créer des autorités administratives indépendantes. Cela a été mené à terme dans le cadre de la loi organique du 15 novembre 2013, laquelle nous a conféré cette compétence.
Le Congrès l’a exercée, dès le mois d’avril 2014. Il a créé cette autorité qui veille au jeu de la concurrence et au fonctionnement concurrentiel des marchés. Elle est composée d’un président et de trois membres, ainsi que d’un rapporteur. Le président et le rapporteur exercent leur fonction à plein-temps, les autres membres dans le cadre de vacations. Le problème, que nous sommes en train de régler, trouve sa source dans cette différence de statut.
Enfin, l’État, par le biais d’une ordonnance le 7 mai 2014, est aussi intervenu dans son domaine de compétence, c’est-à-dire dans tout ce qui relève des pouvoirs d’enquête et de voies de recours contre les décisions de l’autorité de la concurrence. Il était nécessaire qu’il le fasse, et il l’a fait de manière diligente. Que le Gouvernement en soit ici sincèrement remercié.
Mais après tout ce travail, nous n’en sommes pas pour autant parvenus à la création de l’autorité de la concurrence. C’était à désespérer ! En effet, pour une raison simple que j’avais identifiée de longue date, le régime d’incompatibilité prévu par ce texte rendait l’installation de cette autorité impossible.
De fait, autant le président et le rapporteur, qui exercent leur fonction à plein-temps, peuvent ne pas avoir d’emploi en parallèle, autant les autres membres, dont la fonction était incompatible avec un emploi public, auraient dû vivre des vacations versées par l’autorité, ce qui supposait soit qu’ils étaient immensément riches et pouvaient se passer d’une rémunération complète, soit qu’ils décidaient de vivre extrêmement modestement…
Aucun de ces deux cas de figure ne s’étant présenté, il fallait modifier la loi, sans quoi l’autorité serait restée lettre morte. J’avais soulevé ce problème dès le 2 octobre 2013 et déposé un amendement, prévenant que le texte serait un échec s’il était adopté avec ces conditions – à raison, hélas. J’avais d’ailleurs mis l’accent à l’époque sur l’avis défavorable du rapporteur et du Gouvernement.